Le Film Noir

FILM NOIR : BEAUTÉS FATALES

Il est surprenant de lire, ici et là, que le film noir est un genre exclusivement masculin, alors que la motivation du comportement de ses personnages est souvent le désir sexuel et que les drames y sont provoqués à cause d’une femme à la sensualité dévorante ou bénéficiant d’une beauté exceptionnelle.

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Lana Turner dans THE POSTMAN ALWAYS RINGS TWICE de Tay Garnett (1946)

Devenue l’icône désincarnée de ce prototype par son rôle dans Laura, la belle Gene Tierney en véhicule les ambiguïtés, d’autant plus que Darryl F. Zanuck lui offre ensuite un rôle de névrosée criminelle dans Leave Her Heaven (Péché mortel, 1945). Cette adaptation d’un roman de Ben Ames Williams présente une femme enfermée dans un sombre complexe d’Œdipe qui rencontre un jeune écrivain ressemblant à son père. Elle l’épouse et ne supporte plus ceux qui entourent son couple, allant jusqu’à provoquer la noyade du frère infirme de son mari, puis à se jeter dans les escaliers pour perdre l’enfant qu’elle porte.

Gene Tierney dans LEAVE HER TO HEAVEN de John M. Stahl (1945)

La réalisation est confiée à John Stahl, spécialiste du mélodrame, et le film est tourné en couleurs. Ces deux décisions pouvaient éloigner l’œuvre de la mouvance du film noir, mais le résultat l’y intègre de manière insolite sans jamais recourir à des cadrages oppressants, des éclairages angoissants ou des débordements de violence à l’hystérie outrée. C’est une description distante d’un enlisement sournois dans le crime et la folie. Gene Tierney n’y est plus seulement un beau minois et une beauté glacé de glace. Elle y est la part secrète de Laura, celle dont l’égoïsme était le seul moteur et qui contaminait ainsi tous ceux qui l’entouraient. 

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Gene Tierney dans LAURA d’Otto Preminger (1944)

Le film noir invente des figures de femmes fatales très diverses, mais l’homme est toujours séduit par ces corps somptueux ou ces visages sublimes qui peuvent aussi bien appartenir à des poules de luxe qu’à des serveuses, des employées ou des dactylos. Le comédien Mickey Rooney est souvent montré comme victime de ces créatures et l’aventure érotique le jette chaque fois dans des engrenages effrayants. Dans Quicksand (1950) d’Irving Pichel, il vole dans la caisse de son garage, commet une attaque à main armée et devient complice d’un meurtre à cause de la belle Jeanne Cagney qui désire avant tout un vison. Dans The Strip (1951) de Leslie Kardos, il est un batteur de jazz pris au piège par Sally Forrest. Dans Drive a Crooked Road (1954) de Richard Quine, Diane Foster l’entraîne dans un hold-up.
La petite taille de Mickey Rooney augmente le pathétique de ces manipulations. Toute une partie du public se reconnaît en lui, le plaint et rêve en secret de subir les mêmes mésaventures dans les bras de ces dévoreuses qui pullulent sur les écrans. Elles sont nombreuses à faire fantasmer le public masculin. En dresser la liste exhaustive serait fastidieux. Surtout que la série B en fait une grande consommation. Toutefois, on doit citer l’anglaise Jean Gillie qui incarne le chef de gang Margot Shelby dans Decoy (1946) de Jack Bernardt, et Leslie Brooks pour sa performance de perverse frigide dans le curieux Blonde Ice (1948). La comédienne Audrey Totter sert souvent dans ce registre. 

Barry Sullivan et Audrey Totter dans TENSION (1949)

Dans Tension (1950) de John Berry, elle est Claire, l’épouse de Warren (Richard Basehart), un vétéran du Pacifique devenu patron de Drugstore, se tuant au travail pour lui donner tout ce qu’elle souhaite. Mais elle a d’autres ambitions et le quitte pour le riche Barney. Désespéré, Warren tente vainement de la récupérer, puis calcule le moyen de tuer son rival et emprunte une autre identité pour échafauder son plan. C’est ainsi qu’il rencontre Mary (Cyd Charisse) dont il tombe amoureux. Renonçant à sa vengeance, il se rend chez Barney pour le lui dire, mais le trouve mort, assassiné. Rentré chez lui il a la surprise d’y retrouver Claire qui le manipule pour tromper la police, car c’est elle qui a tué son amant.

Cyd Charisse et Barry Sullivan dans TENSION (1949)

Tension est construit sur la voix en off de Collier (Barry Sullivan), un flic qui couche cyniquement avec Claire pour mieux la démasquer, Il est cruel, implacable et rusé, sorte de double inversé de la meurtrière. Quant à Audrey Totter, elle éblouit dans ce beau rôle de garce, parce que John Berry utilise sa sensualité de façon crue afin d’en faire une petite arriviste sans glamour qui ressemble à ces spectatrices du samedi soir qui rêvent de pouvoir se comporter comme les stars. À l’inverse, Cyd Charisse est figée dans une sophistication hollywoodienne pour incarner la saine et douce Américaine, histoire de souligner que le cinéma est un piège illusoire. Par cette opposition, Tension est un film très réaliste sur une société américaine à la recherche de sensations troubles pour oublier son mal-être. 

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Une autre femme fatale emblématique du film Noir est Lizabeth Scott surnommée « the throat » (la gorge) par le public. Elle marque le cycle au point d’en devenir un mythe essentiel et troublant. Excellente comédienne, elle décline ce prototype dans toutes les nuances possibles. Sa sophistication n’est jamais glamour. Son hiératisme froid s’accompagne d’un sourire de petite fille et d’un regard entre le sommeil et l’effarement, qui semble porteur d’une éternelle angoisse malheureuse et génératrice de possibles névroses conduisant à la folie et au meurtre. Elle est la diva des destinées à l’issue fatale.

Dan Duryea et Lizabeth Scott dans TOO LATE FOR TEARS

Too Late For Tears (La Tigresse, 1949) de Byron Haskin nous la montre en arriviste criminelle. Le film désigne les aspirations au luxe d’une petite-bourgeoise capable de voler, mentir, trahir et même tuer pour y parvenir. Jouant à être fragile, elle manipule son mari, trop honnête pour conserver l’argent qu’on leur a remis par erreur, et organise son assassinat avec un détective corrompu qui sera écœuré de découvrir ce qu’elle est vraiment, perdra alors son cynisme, commettra faute sur faute et se laissera empoisonner par celle qu’il pensait dominer, Entre l’onirisme des images d’extérieurs (routes et fleuves dans la nuit) et le réalisme neutre de toutes les situations en intérieur, à l’exception du final dans le palace, Lizabeth Scott tisse un personnage incapable d’aimer et adorant l’argent avec un fétichisme explicitement sexuel.  [LE FILM NOIR (Vrais et faux cauchemars) – Noël Simsolo – Cahiers du Cinéma Essais – (2005)]


LE FILM NOIR
Comment un cycle de films américains est-il devenu l’un des mouvements les plus influents de l’histoire du cinéma ? Au cours de sa période classique, qui s’étend de 1941 à 1958, le genre était tourné en dérision par la critique. Lloyd Shearer, par exemple, dans un article pour le supplément dominical du New York Times (« C’est à croire que le Crime paie », du 5 août 1945) se moquait de la mode de films « de criminels », qu’il qualifiait de « meurtriers », « lubriques », remplis de « tripes et de sang »…


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CHERCHEZ LA FEMME !
Belle, cruelle et amorale, la femme fatale, personnage qui a toujours hanté l’imagination des hommes, a conquis sa place sur les écrans à la faveur du film noir des années 1940. Nombreux furent ceux qui se laissèrent prendre au piège de sa vénéneuse séduction…

LES FEMMES DANS LE FILM NOIR
S’il y a beaucoup de femmes dans le film noir, la plupart n’existent qu’en tandem avec un partenaire masculin. De Double Indemnity (Assurance sur la mort) à Gun Crazy (Le Démon des armes), aussi dominatrice l’héroïne soit-elle, sans un homme d’une stature équivalente l’histoire ne tient pas. Pour qu’il y ait une femme fatale il faut un homme à détruire. Gilda (1946) et Nora dans Nora Prentiss (L’Amant sans visage, 1947) sont les personnages principaux. 

CES FEMMES FATALES
Du collant noir de Musidora à l’absence de dessous de Sharon Stone, l’accessoire ou son manque divinement souligné n’est jamais innocent et marque au fer rouge cette sublime pécheresse qui parcourt le cinéma, qu’il s’agisse du film noir hollywoodien qui en fit son égérie ou d’autres genres qu’elle hanta de son érotisme funeste. Car cette femme-là est fatale pour ceux qui l’approchent. Souvenirs de quelques figures mythiques entre Eros et Thanatos qui peuvent le payer cher dans un 7ème Art aux accents misogynes qui ne pardonnent pas.



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