Le Film français

LE TONNERRE DE DIEU – Denys de La Patellière (1965)

Tournée en 1965, cette comédie amère marque les retrouvailles de Jean Gabin et du réalisateur Denys de La Patellière. L’occasion pour l’acteur de collaborer également avec deux jeunes vedettes en pleine ascension, Michèle Mercier et Robert Hossein.

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Aussi surprenant soit-il, le « héros » du Tonnerre de Dieu a des airs de parenté avec d’autres personnages interprétés auparavant par Gabin. Par son côté asocial et revendicatif, le Léandre Brassac du film de Denys de La Patellière peut ainsi être rapproché du retraité insupportable des Vieux de la vieille, de l’hôtelier d’Un Singe en hiver ou du vagabond d’Archimède le clochard. Par ailleurs, du fait de son statut social élevé (Brassac a non seulement été un vétérinaire réputé mais a hérité de son père un château et des vignes), le personnage renvoie également aux « grands de ce monde » incarnés par l’acteur dans Les Grandes familles, ou Le Président : la fortune dont il jouit s’avère une composante importante du protagoniste, déterminant en grande partie ses relations avec ses congénères… Mais, plus encore que ce mélange de révolte populaire et de morgue bourgeoise, ce qui étonne ici c’est le côté très sombre du personnage. Tout au long de sa carrière, Gabin s’est plutôt tournés vers des héros positifs, et seul le peintre égoïste et cynique de La Traversée de Paris avait semblé en 1956 faire entorse à ce principe. Près de dix ans plus tard, l’acteur a donc l’audace de se colleter à un personnage a priori peu sympathique, même si l’on finit par trouver des excuses à son comportement. Preuve qu’à côté du caractère exemplaire de Jean Valjean ou du commissaire Maigret, Gabin a éprouvé le désir d’explorer également des recoins moins reluisants de la nature humaine. [Collection Gabin –  Eric Quéméré (2005)]

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Adapté d’un roman de Bernard Clavel, Le Tonnerre de Dieu puise dans une veine où Gabin a déjà eu l’occasion de s’illustrer au cours de ces dernières années : celle du vieux sage apparemment misanthrope, mais débordant de générosité. L’acteur incarne ici Léandre Brassac, vétérinaire à la retraite qui vit retiré dans un grand château à la campagne, avec pour toute compagnie celle de ses chiens adorés, et d’une épouse (Lilli Palmer) qu’il rudoie. Faisant un jour à Nantes la connaissance de Simone (Michèle Mercier), une prostituée, ce vieillard alcoolique décide de l’emmener loin de ce monde de turpitudes. Il lui offre l’asile – en tout bien tout honneur – afin que la jeune femme puisse démarrer une nouvelle vie. Ce qui ne sera évidemment pas du goût de son souteneur, le bouillant Marcel (Robert Hossein).

Le Tonnerre de Dieu est, en 1965, le troisième des six films tournés par Gabin sous la direction de Denys de La Patellière, après Les Grandes familles et Rue des Prairies. Pour ce projet, le réalisateur retrouve également Michèle Mercier, dont il avait encouragé la carrière en lui offrant son premier vrai rôle huit ans plus tôt, dans Retour de manivelle. Mais le statut de la jeune actrice vient de changer du tout au tout grâce au film Angélique, marquise des Anges, sorti quelques mois plus tôt. Le producteur Maurice Jacquin espère d’ailleurs profiter du triomphe de ce film en réunissant dans Le Tonnerre de Dieu son couple vedette, Michèle Mercier et Robert Hossein (même si les relations de la prostituée Simone et de son « patron » Robert n’ont guère à voir avec la passion d’Angélique et de Joffrey de Peyrac !). Mais la tête d’affiche du film reste Gabin, qui semble travaillé à l’époque par la question de la paternité. Il a en effet tourné l’année précédente L’Age ingrat, comédie dans laquelle il prenait ombrage du mariage de sa fille, ainsi que Monsieur, film dont l’intrigue présente des similitudes avec celle du Tonnerre de Dieu, puisque l’acteur y prenait déjà sous son aile une prostituée jouée par Mireille Darc. Ces trois rôles successifs dénotent d’autant plus dans la filmographie de Gabin que celui-ci n’avait joué que rarement des figures paternelles.  


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Produit par le trentenaire Raymond Danon, dont le nom reste attaché aux grands succès d’Alain Delon ou de Louis de Funès, Le Tonnerre de Dieu de Denys de La Patellière associe Gabin au couple vedette d’Angélique, Marquise des anges, triomphe des écrans : Robert Hossein et Michèle Mercier. Lui, acteur caméléon doublé d’un réalisateur de polars inspiré (Les Salauds vont en enfer, Toi le venin, La Mort d’un tueur), elle nouvelle blonde icône du cinéma (mais brune dans ce film) : « Le monument du cinéma qu’il était, n’en déplaise à ses détracteurs, me paralysait, et, le jour de notre première rencontre, je bus même un petit verre d’alcool pour me donner du cœur à l’ouvrage. Un petit verre et un second », certifie Michèle Mercier. En définitive, elle passe haut la main le difficile « examen de passage » devant « le Vieux » : « La Môme Mercier, c’est une vraie de vraie ! » dit-il d’elle.

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Adulé des foules depuis sa composition du comte Joffrey de Peyrac, Robert Hossein préfère au registre de bellâtre celui de malfrat auquel le cinéma la cantonné. Aussi, après l’enrichissante expérience de Crime et Châtiment, il accepte les yeux fermés de croiser à nouveau le fer avec Gabin dans le rôle de Marcel, le proxénète de Simone. [Jean Gabin inconnu – Jean-Jacques Jelot-Blanc – Ed. Flammarion (2014)]


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Un autre grand nom du cinéma vient par ailleurs compléter la distribution du film : celui de Lilli Palmer, actrice allemande ayant fait carrière en Angleterre et aux États-Unis. Gabin, qui l’apprécie depuis longtemps, se montre ravi de jouer face à elle – même si certaines répliques qu’il doit lui adresser sont d’une grande dureté. Denys de La Patellière et le scénariste Pascal Jardin ont en effet décidé de rendre le personnage de Léandre Brassac bien plus violent que dans le roman original de Bernard Clavel. Les reproches qu’il jette à la tête de son épouse, qui n’a pu avoir d’enfants, sont notamment d’une rare cruauté… Mais aux yeux du réalisateur, la justesse de l’histoire est à ce prix. Reste évidemment le risque de prendre à rebrousse-poil le public, qui n’a peut-être pas très envie de voir Gabin se muer en un tel tyran domestique.

Dans ce film inspiré du roman de Bernard Clavel « Qui m’emporte », tourné à Nantes et dans les environs, notamment au château de Legé, Gabin arbore un look inattendu, le cheveu ras, blanc et coupé en brosse. Il s’agit d’un rôle en or pour le vieux lion de l’écran, avec des dialogues taillés au scalpel par Pascal Jardin, plus inspiré que pour L’Age ingrat ; son travail d’adaptation « à la manière d’Audiard » plaît à Gabin, il l’imposera pour Le TatouéLa Horse, Le Chat et Le Tueur. Après Arletty, Edwige Feuillère et Suzanne Flon, la vedette austro-polonaise Lilli Palmer hérite du redoutable privilège d’incarner « la femme de Gabin », Marie, dite « la Schleuh », évident clin d’ œil à Marlène. Exercice dont elle se sort avec tous les honneurs ; trois ans plus tard, elle incarnera l’épouse de son associé Fernandel dans Le Voyage du père, film produit par leur société La Gafer.  

Georges Géret apparaît dans le rôle de Roger, voisin cultivateur amoureux de sa protégée. C’est une grande chance pour cet acteur qui partage de nombreuses scènes avec Gabin, mais dont ce sera pourtant l’unique apparition à ses côtés : « Contrairement à ce qu’il disait parfois, je suis persuadé qu’il aimait le cinéma, explique Géret. En revanche, je crois qu’il n’avait pas digéré la période noire dans laquelle il était resté durant cinq ou six ans. Il m’en a parlé et je peux dire qu’il était très amer. » À la technique, il y a « le clan », Jean Rieul au son, Robert Clavel pour les décors et Ralph Baum, fidèle producteur depuis Le Plaisir de Max Ophüls en 1955. Le grand chef opérateur Walter Wottitz (Le Jour le plus long) se joint à l’équipe, il sera encore là pour Le Jardinier d’Argenteuil, le Soleil des voyous et La Horse.  Si on retrouve deux « anciens » dans Le Tonnerre de Dieu – Paul Frankeur, impayable dans le rôle du gendarme Maurice, et Louis Arbessier en ministre Bricart -, il y a aussi un « petit nouveau » : Daniel Ceccaldi qui incarne le curé.

De retour à Paris, aux studios de Boulogne pour les intérieurs, l’équipe se quitte à l’issue d’une grande fête. Puis, à nouveau en compagnie de Denys de La Patellière, Gabin effectue son grand retour au polar avec Du Rififi à Paname dont le million d’entrées confirmera son bon goût dans les strictes conventions d’un genre éprouvé : la série noire. Même si l’adaptation du roman d’Auguste Le Breton par le réalisateur et les dialogues additionnels d’Alphonse Boudard ne font pas l’unanimité, la nouvelle équipe fonctionne plutôt bien ; parfaitement rodée, elle confectionnera ensuite Le Jardinier d’Argenteuil, Le Soleil des voyous et Le Tatoué.  [Jean Gabin inconnu – Jean-Jacques Jelot-Blanc – Ed. Flammarion (2014)]


Le triomphe connu par le film à sa sortie, le 8 septembre 1965, paraît donc d’autant plus étonnant : Le Tonnerre de Dieu sera même le film le plus rentable tourné par le comédien depuis la guerre, réunissant 800.000 spectateurs. Nul doute que la rencontre au sommet de Gabin et des nouvelles stars que sont Michèle Mercier et Robert Hossein n’est pas totalement étrangère à de tels résultats…


JEAN GABIN
S’il est un acteur dont le nom est à jamais associé au cinéma de l’entre-deux-guerres, aux chefs-d’œuvre du réalisme poétique, c’est bien Jean Gabin. Après la guerre, il connait tout d’abord une période creuse en termes de succès, puis, à partir de 1954, il devient un « pacha » incarnant la plupart du temps des rôles de truands ou de policiers, toujours avec la même droiture jusqu’à la fin des années 1970.

JEAN GABIN : LA STAR ET l’ARISTO
S’il n’est pas le réalisateur avec qui Gabin aura le plus tourné, Denys de La Patellière peut se targuer d’avoir dirigé l’acteur dans pas moins de six films, dont la plupart ont connu un grand succès public. Retour sur une relation faite de respect et d’estime réciproques.


Les extraits

DU RIFIFI À PANAME – Denys de La Patellière (1966)
Pour leur quatrième collaboration, Jean Gabin et le réalisateur Denys de La Patellière arrêtent le choix sur un roman d’Auguste Le Breton, matériau idéal pour un polar « de prestige ». Cosmopolite et brillant, le résultat fera partie des réussites du tandem.




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