Le seul film réalisé par l’acteur Charles Laughton est un coup de maître comme l’histoire du cinéma nous en a peu livré. Rarement l’angoisse et l’envoûtement ont été entrelacés avec une telle densité au grand écran. Dans ce conte hypnotique pour adultes empreint de sombre poésie et d’une parfaite maîtrise technique, Charles Laughton met au jour les angoisses profondes de l’enfance et un savoir-faire de cinéaste morbide pour livrer une fable d’une Immense beauté dans laquelle deux enfants fuient un prêcheur démoniaque, un adulte imprévisible et prêt à tout. Frissons garantis. [Film Noir 100 All-Time Favorite – Paul Duncan, Jürgen Müller – Edition Taschen – (2013)]
Dès le début, Charles Laughton, dont ce sera l’unique film en tant que cinéaste, a pensé à Robert Mitchum pour interpréter le rôle de Harry Powell, le faux pasteur mais vrai criminel, qui porte tatoués sur ses mains les mots « Love » et « Hate ». Souhaitant retrouver le style et l’atmosphère du cinéma muet, et notamment la manière dont celui-ci restituait la vie de la province américaine, Laughton revoit au Museum of Modern Art les films de David Wark Griffith. Il décide parallèlement de confier à Lillian Gish le personnage de Rachel qui prend soin des enfants abandonnés et symbolise, face à l’esprit malfaisant de Powell, la douceur et la tendresse. Laughton n’a jamais oublié Broken Blossoms (Le Lys brisé), de Griffith, qu’il avait vu en France, après l’armistice, et dont Lillian Gish était justement la vedette. La féminité de l’actrice et son côté maternel s’opposent à la sexualité affichée de Shelley Winters, à qui Laughton donne le rôle de Willa qu’assassinera Powell. [Le film noir – Patrick Brion – Editions de la La Martinière (2004)]
Robert Mitchum – le mauvais garçon d’Hollywood – livre une interprétation magistrale dans le rôle du mystérieux Harry Powell qui sillonne le pays déguisé en prêcheur. (…) À l’aide de perspectives et de cadrages inhabituels, la menace que représente ce meurtrier récidiviste est annoncée d’emblée. Harry Powell est omniprésent et se Joue des distances – en voiture, en train ou à cheval. On ne peut lui échapper. Telle une ombre noire toute-puissante, pénétrer dans des espaces apparemment verrouillés est pour lui un jeu d’enfant – ce qui n’augure rien de bon pour les petits John et Pearl. [Film Noir 100 All-Time Favorite – Paul Duncan, Jürgen Müller – Edition Taschen – (2013)]
Harry Powell parvient à épouser la veuve Harper (Shelley Winters). Après l’avoir impressionnée avec ses discours sur l’au-delà, il l’assassine afin de s’en prendre à ses enfants. Et pour maquiller son meurtre en accident, il fait disparaître dans la rivière la voiture dans laquelle il a placé le corps de la femme. L’image de la morte dans l’eau deviendra légendaire: ses cheveux dénoués flottent comme des algues – une image poétique de la mort, d’un romantisme noir, qui réunit l’épouvante et la beauté, la mort violente et la grâce pour en faire l’expression d’une infinie mélancolie. Tout au long du film, des éléments stylistiques expressifs empreints de maniérisme s’entremêlent avec des motifs onirico-cauchemardesques pour créer une atmosphère quasi surréelle, à la fois profondément étrange et subtilement horrifique. [Film Noir 100 All-Time Favorite – Paul Duncan, Jürgen Müller – Edition Taschen – (2013)]
Peinture d’une Amérique provinciale et portrait d’un meurtrier, La Nuit du chasseur est la vision cauchemardesque d’une Virginie idyllique basculant dans le crime. Les deux enfants fuient, poursuivis par Powell, alors que la nature elle-même devient menaçante. L’Amérique bucolique et rassurante, avec ses grands arbres et ses fleuves majestueux, celle de Mark Twain et des Aventures d’Huckleberry Finn, devient un monde terrifiant. On sait à quel point la littérature, dite pour enfants, des Contes de Perrault au Magicien d’Oz, recèle d’inquiétantes zones d’ombre et combien il est possible de passer brusquement dans un univers plus inquiétant que rassurant. Cet univers, c’est celui de La Nuit du chasseur ! [Le film noir – Patrick Brion – Editions de la La Martinière (2004)]
Dans ce scénario à l’esthétique extravertie, tout semble voué à se faire engloutir par les ombres et les ténèbres, mais John et Pearl parviennent au dernier moment à échapper au prêcheur en se sauvant dans une barque. Ils se réfugient chez Mrs. Cooper, une femme au grand cœur qui recueille les orphelins. C’est une véritable aubaine pour le film que d’avoir choisi la vedette du film muet, Lillian Gish, pour jouer le rôle de Rachel Cooper. Maternelle mais ferme, elle perce les intentions malveillantes de Powell et finit par le remettre à la police. La boucle est bouclée lorsque John, enfin libéré de son fardeau surhumain, dévoile la cachette du butin : il se trouve dans la poupée de Pearl, qui symbolise finalement bien plus que son enfance volée. [Le film noir – Patrick Brion – Editions de la La Martinière (2004)]
Confronté pour la première fois à la mise en scène – exception faite des plans tournés par lui pour The Man on the Eiffel Tower, de Burgess Meredith, Laughton réalise le film sans problème, ayant demandé à son chef opérateur Stanley Cortez, le directeur de la photographie de The Magnificent Ambersons (La Splendeur des Amberson, d’Orson Welles), de retrouver le ton des gravures et des images des livres pour enfants. Lillian Gish reconnaîtra : « Je dois remonter aux tournages de Griffith pour retrouver une telle atmosphère d’harmonie. Il n’y eut jamais aucun moment de doute, ni sur ce que nous faisions, ni sur la manière dont nous devions le faire. » Ayant réussi à créer une exceptionnelle ambiance entre ses interprètes et ses techniciens, Laughton est à même de pouvoir composer le film exactement comme il le souhaite. L’énorme scénario écrit par James Agee – un « annuaire téléphonique », selon Elsa Lanchester, la femme de Laughton, qui avait tenu à raconter en même temps que l’histoire, le drame et les problèmes de l’Amérique provinciale des années trente, a été totalement remanié et réécrit par Laughton qui choisit pourtant de ne pas figurer au générique en tant que responsable du scénario. [Le film noir – Patrick Brion – Editions de la La Martinière (2004)]
La vision d’Harry Powell au pied du réverbère, fulgurante matérialisation du Mal, celle d’un ciel constellé d’étoiles et devenu presque irréel, ou la vue de Willa dans la voiture immergée, telle une moderne Ophélie, ne sont que quelques-unes des idées de génie dont le film abonde. Tout en abordant plus qu’allusivement les thèmes psychanalytiques, Harry est arrêté comme l’avait été le père des deux enfants : le butin caché dans le ventre de la poupée, le couteau d’Harry qui s’ouvre brutalement dans la poche de celui-ci à la vue d’une strip-teaseuse symbolisant tout à la fois le désir sexuel et celui de tuer. Laughton a toujours tenu à équilibrer les rapports entre le fond et la forme, le soin apporté aux éclairages, à la musique et aux cadrages étant presque aussi important que l’histoire elle-même. L’apparition de Powell, comme une ombre chinoise, se découpant sur l’horizon à la clarté nocturne demeure une image inoubliable, porteuse de toutes les terreurs. Charles Laughton avait convaincu Lillian Gish de devenir son interprète en lui disant simplement : « Lorsque autrefois j’allais au cinéma, les spectateurs étaient rivés à leurs sièges et fixaient l’écran, droit devant eux. Aujourd’hui, je constate qu’ils ont le plus souvent la tête penchée en arrière, pour pouvoir mieux absorber leur pop-corn et leurs friandises. Je voudrais faire en sorte qu’ils retrouvent la position verticale. » [Le film noir – Patrick Brion – Editions de la La Martinière (2004)]
Le poignard dont Robert Mitchum se sert dans le film appartient en réalité à Davis Grubb. Celui-ci le trouva au bord de la rivière Ohio. L’arme portait une inscription : Harry Powell. C’est ainsi que Grubb choisit le nom de l’être démoniaque de La nuit du chasseur. Ce simple détail est à l’image de ce roman stupéfiant et du film unique qu’en tira Charles Laughton. Une de ces œuvres qui échappent aux classifications. Le mauvais accueil commercial et critique du film empêcha tragiquement Charles Laughton de tourner Les Nus et les morts d’après le roman de Norman Mailer. Laughton avait déjà écrit le scénario, Stanley Cortez effectué une partie des repérages et Robert Mitchum devait être le principal interprète du film. [Le film noir – Patrick Brion – Editions de la La Martinière (2004)]
L’histoire : Durant les années trente, en Virginie, Harry Powell (Robert Mitchum), criminel psychopathe, est incarcéré pour un délit mineur. En prison, il se retrouve avec Ben Harper (Peter Graves), condamné à mort pour vol et meurtre. Ben a volé dix mille dollars qu’il a cachés à l’intérieur de la poupée de sa fille Pearl (Sally Jane Bruce). Il a fait jurer à son fils John (Billy Chapin), qui sait où est caché l’argent, de ne jamais le révéler, Powell tente vainement de faire parler Ben avant l’exécution de ce dernier. Décidé à mettre la main sur l’argent, il séduit Willa Harper (Shelley Winters), la veuve de Ben, et l’épouse, croyant à tort qu’elle sait où est ce qu’il recherche. Comprenant qu’elle l’ignore, il la poignarde, l’ajoutant ainsi à la liste de ses précédentes victimes. Harry menace alors John de le tuer s’il ne parle pas, et Pearl, affolée, révèle alors où est l’argent. John parvient à étourdir Harry, et les deux enfants prennent la fuite. Harry les poursuit, Ils descendent la rivière alors que Harry les terrifie par sa présence obsédante. Les deux enfants sont recueillis par Rachel (Lillian Gish), une fermière charitable et volontaire, qui les prend sous sa protection et fait face à Harry Powell. Elle avertit la police el Harry est arrêté, comme l’avait été Ben Harper.
Les extraits
Fiche technique du film
Catégories :Le Film étranger, Le Film Noir
Robert Mitchum, un grand acteur. Cela fait toujours plaisir de croiser son chemin.
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film extraordinaire, un de mes préféré de tous les temps !!
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Chef d’oeuvre unique que je revois régulièrement.
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