Le Film français

L’HOMME DU JOUR – Julien Duvivier (1937)

C’est juste après La Belle équipe, que Duvivier tourne L’Homme du jour, film mineur dans la filmographie du réalisateur mais qui mérite d’être découvert. Cette grosse production met en vedette Maurice Chevalier tout auréolé de ses succès américains (notamment avec Lubitsch). L’Homme du jour bénéficie à nouveau de la collaboration de Charles Vildrac et de Spaak, mais on a souvent l’impression que l’acidité et l’ironie premières du propos sont combattues par les nécessités commerciales qui entourent la présence de Chevalier, sans que, pour autant, le film soit un succès public.

homme_du_jour_01
L’HOMME DU JOUR – Julien Duvivier (1937) avec Maurice Chevalier, Elvire Popesco, Josette Day, André Alerme et Renée Devillers

Pourtant cette histoire d’un brave électricien qui, à la faveur d’un don de sang fait à une tragédienne connue (Elvire Popesco), devient d’un jour à l’autre célèbre, et le lendemain oublié, n’est pas sans saveur. Le film commence comme un bon Capra, où Chevalier serait tout à la fois James Stewart et Gary Cooper. Mais Duvivier n’est ni Capra ni La Cava, et il n’épargne même pas son protagoniste (on ne le lui pardonnera pas), rapidement veule, mesquin, intéressé, fanfaron et parfois ivrogne. Autour de lui s’agite le monde futile et vulgaire de la fausse noblesse, de la presse, de la publicité, et L’Homme du jour offre d’étonnantes et sagaces perspectives sur une « société du spectacle » qui est encore bien incapable de se célébrer comme telle. On cherche en vain un apport positif, le seul personnage féminin vaguement valorisé étant délibérément sacrifié par l’intrigue, au profit d’un final qui hésite entre le moral méprisant et l’amoral vengeur : remplacé dans le cœur des voyageurs du métro par un phénomène qui arrive de Lisbonne en marchant sur les mains, Chevalier/Boulard retrouve sa fiancée, qui n’a pas hésité à le tromper avec un mécène potentiel : ces deux-là n’en ont sans doute pas fini de connaître une existence éminemment duvivéenne… [Julien Duvivier – Yves Desrichard – Bibliothèque du film – Durante – Collection Ciné-Regards (2001)]

homme_du_jour_02
L’HOMME DU JOUR – Julien Duvivier (1937) avec Maurice Chevalier, Elvire Popesco, Josette Day, André Alerme et Renée Devillers

La présence de Chevalier est à la fois un atout pour le film et un léger handicap pour le scénario. C’est un atout dans la mesure où il apporte son aisance souriante au personnage de Boulard, brave type un peu naïf, et se montre tout aussi excellent dans l’amertume et le dégoût, lors des scènes l’opposant à ses voisins de pension. Le fait de faire interpréter cet « homme du jour », à la très éphémère popularité, par celui qui est une des plus grandes – et des plus durables – vedettes françaises, dont le nom s’est imposé jusqu’à Hollywood, ajoute une dimension ironique. Mais la personnalité de Chevalier a aussi vraisemblablement affaibli quelque peu le propos de Duvivier, la fable sur l’inconstance et la méchanceté, dans la mesure où le scénario, écrit sur mesure, intègre son métier de chanteur et s’en encombre : on attribue ainsi à Boulard un talent vocal et des ambitions scéniques, éléments inutiles au thème du film mais qui permettent de glisser quelques créations ou succès de Maurice : « Y’a d’la joie », « Ma pomme », « Prosper », « Mon vieux Paris ». On reconnaît même l’introduction musicale de Valentine lorsque Boulard passe une audition et interrompt le pianiste : « Non, monsieur, c’est pas ça, moi je ne chante que du neuf ! » Les développements de cet aspect du personnage sont autant de « hors-propos » au détriment de l’étude psychologique des autres protagonistes, hâtive jusqu’à la caricature. [Julien Duvivier « Le mal aimant du cinéma français » Vol 1 : 1896-1940 – Eric Bonnefille – Edition L’Harmattan – 2002]

homme_du_jour_03
L’HOMME DU JOUR – Julien Duvivier (1937) avec Maurice Chevalier, Elvire Popesco, Josette Day, André Alerme et Renée Devillers

Ce qui est le plus intéressant, et où ‘l’on reconnaît davantage Duvivier, c’est  évidemment l’amère déception de Boulard dont la naïveté se brise en découvrant la vraie nature de ses contemporains. La première partie du film épouse la bonhomie de Boulard : on assiste à une gentiIle comédie populiste, entre l’ambiance amicale d’un petit hôtel et une satire sans grande méchanceté du monde du spectacle, Elvire Popesco se livrant à une amusante parodie de diva. Tout au plus commence-t-on à voir quelques pointes acérées dans les sarcasmes dont Mona est l’objet suite à son accident : « Ça devait lui arriver », commente une autre comédienne, « avec son fameux port de tête elle ne regarde jamais où elle met les pieds ». « La reine de l’attitude est toujours aussi piquée », lance un journaliste. [Julien Duvivier « Le mal aimant du cinéma français » Vol 1 : 1896-1940 – Eric Bonnefille – Edition L’Harmattan – 2002]

homme_du_jour_04
L’HOMME DU JOUR – Julien Duvivier (1937) avec Maurice Chevalier, Elvire Popesco, Josette Day, André Alerme et Renée Devillers

Mais brusquement la comédie se fige (tout comme le visage de Chevalier) lorsque Boulard prend conscience de la légèreté des apparences : Mona avait pour principale ambition de le mettre dans son lit et l’abandonne, l’opinion publique, également volage, l’oublie très vite au profit d’un nouvel « homme du jour », ses « braves » voisins le traînent dans la boue à la suite d’un petit malentendu et lui jouent un tour d’un cruel mauvais goût en organisant un rendez-vous amoureux à son insu. La force du film est de ne pas limiter ses attaques à un certain milieu bourgeois et snob, dans lequel évolue l’entourage de Mona et qu’il montre superficiel et mensonger (Mona est une croqueuse d’amants, son impresario et protecteur (Alerme) engage des jeunes filles pour motifs autres qu’artistiques) et en constante représentation (la mère de Mona (Marguerite Deval) est une espèce de poupée mécanique en perpétuel mouvement). Il est au moins aussi féroce envers les « braves gens » d’un milieu plus populaire, qu’il nous avait montrés sympathiques au départ, et qui deviennent presque monstrueux dans leur méchanceté gratuite. Il passe un véritable frisson dans la vision des locataires de l’hôtel ricanant de leur mauvaise blague : ce sont les mêmes qui, dix ans plus tard, pourront déverser leur haine sur le M. Hire de Panique.

homme_du_jour_07
L’HOMME DU JOUR – Julien Duvivier (1937) avec Maurice Chevalier, Elvire Popesco, Josette Day, André Alerme et Renée Devillers

Un autre personnage, rendu par son interprète (Renée Devilliers ) plus attachant que le traitement rapide que lui réserve le scénario, est aussi victime de la société : la jeune fleuriste bossue, amoureuse en secret de Boulard et cible, comme lui, de la méchanceté des locataires de la pension. Duvivier – peut-être faut-il le regretter – ne laisse cependant pas le malaise s’installer trop longtemps et revient à un ton de comédie rassurant. Boulard, qui pourrait devenir misanthrope à l’issue de cette fable, préfère en tirer une morale simpliste : « La place d’une dactylo c’est devant sa machine (…) et la place d’un électricien c’est pas devant le projecteur ». Il est vrai qu’il se sera quand même comparé à « un pantin que tout le monde laisse tomber après avoir joué avec ». [Julien Duvivier « Le mal aimant du cinéma français » Vol 1 : 1896-1940 – Eric Bonnefille – Edition L’Harmattan – 2002]

homme_du_jour_05
L’HOMME DU JOUR – Julien Duvivier (1937) avec Maurice Chevalier, Elvire Popesco, Josette Day, André Alerme et Renée Devillers

Lorsque le film sort, fin février 1937, à l’Olympia, l’accueil de la presse est assez largement hostile. Cela n’entache pas le prestige de Duvivier dont Pépé le Moko vient d’être applaudi, mais on estime qu’il s’est fourvoyé dans un scénario impossible. Mais en France, en 1937, pour les cinéphiles, L’Homme du jour, comme l’écrit alors Pierre Wolfro, « c’est Pépé le Moko et non cet électricien qui donne son sang pour sauver Mona Thalia ». De fait, le chef-d’œuvre avec Jean Gabin et Mireille Balin, sur les écrans depuis le 29 janvier, marque bien davantage les esprits, comme on va s’en rendre compte. [Julien Duvivier « Le mal aimant du cinéma français » Vol 1 : 1896-1940 – Eric Bonnefille – Edition L’Harmattan – 2002]

homme_du_jour_08
L’HOMME DU JOUR – Julien Duvivier (1937) avec Maurice Chevalier, Elvire Popesco, Josette Day, André Alerme et Renée Devillers
Les extraits musicaux
Les autres extraits
Fiche technique du film

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.