Un grand film de la fin des « années 1950 », signé Julien Duvivier et Henri Jeanson. Un véritable suspens, magistralement interprété par une pléiade de comédiens prestigieux. En 1944, ils formaient un réseau de Résistance. L’un deux a trahi. Des années plus tard « Marie-Octobre », seule femme du groupe, les réunit pour découvrir qui a trahi… Et, à la fin de l’enquête, le traître devra mourir !
C’est à une autre adaptation littéraire que s’attache Duvivier à l’issue de La Femme et le pantin : celle du roman de Jacques Robert, Marie-Octobre, publié en 1948, dans lequel sont observés, trois ans après la guerre, les doutes et réflexions d’anciens résistants et d’un ancien membre des Waffen SS. Le désenchantement se fait jour chez certains, et de douloureuses questions sont abordées : les fascistes doivent-ils être jugés suivant les méthodes fascistes ou selon les principes démocratiques ? Duvivier propose à Jacques Robert de travailler avec lui à l’adaptation. Le scénario n’aura d’ailleurs que peu de rapport avec le roman. Tout d’abord, la structure sera basée sur une unité de temps (une soirée) et de lieu (une demeure bourgeoise), ce qui n’était aucunement le cas du livre. Le film racontera les retrouvailles d’un groupe d’anciens résistants. Marie-Hélène Dumoulin, dite « Marie-Octobre », révèle que la dénonciation de leur réseau, qui a entraîné jadis la mort de leur chef, a pour auteur l’un d’entre eux. Chacun est soupçonné : qui est le traître ? Jacques Robert, en travaillant à ce scénario, se souvient de la trahison de Jean Moulin à Lyon en 1943, et de René Hardy, qui en est accusé, et dont il a suivi le procès. Quelque temps plus tard, Duvivier réunit son vieux complice Jeanson, et Jacques Robert lui-même, dans sa maison de Saint-Tropez, afin d’écrire, avec une précision maniaque, le découpage et les dialogues du film, Jacques Robert se souviendra que Duvivier imposait à Jeanson un minutage très précis pour chaque scène. [Julien Duvivier « Le mal aimant du cinéma français » Vol 2 : 1940 – 1967 – Eric Bonnefille – Edition L’Harmattan (2002)]










Le film devant se dérouler en décor unique, avec la totalité des (onze) acteurs présents dans la plupart des séquences, rien ne s’oppose à ce que le plan de tournage suive l’ordre du découpage, luxe rare au cinéma, apprécié notamment par les comédiens. Duvivier, à l’aide de figurines en carton représentant ses personnages, prépare et minute les déplacements des interprètes, les mouvements de caméra et les reporte sur des croquis. Tout est tellement précis que – autre fait rare – le tournage sera un peu plus court que prévu. Le décor dans lequel va se jouer le drame (œuvre de Georges Wakhevitch) représente l’intérieur d’une demeure cossue, s’inspirant du château de Morville. Afin de renforcer l’impression de huis clos, Duvivier tient à ce que le décor possède un plafond, qui doit apparaître dans de nombreux plans. Wakhevitch conçoit alors un plafond à caissons mobiles, qui permettront, en les poussant, de laisser passer des éclairages. De sérieuses contraintes sont donc imposées aux techniciens. Pour le rôle de Marie-Octobre, Duvivier retrouve celle qui est désormais son actrice préférée, Danielle Darrieux. Autour d’elle, Bernard Blier, Serge Reggiani, Noël Roquevert, Paul Frankeur, Daniel Ivernel et Jeanne Fusier-Gir, qui ont déjà tourné sous la direction du cinéaste, côtoient Paul Meurisse, Paul Guers, Lino Ventura et Robert Dalban.[Julien Duvivier « Le mal aimant du cinéma français » Vol 2 : 1940 – 1967 – Eric Bonnefille – Edition L’Harmattan (2002)]
Le film est pratiquement tourné dans un décor unique, et Duvivier en a travaillé la préparation un peu à la manière d’Hitchcock, répétant les mouvements de ses personnages avec de petites figurines, et réglant avec minutie leurs déplacements. Le procédé est brillamment appliqué, mais contribue à la froideur et à la dramaturgie un peu raide que nombre de critiques lui reprochent. Duvivier n’organise pas sa mise en scène autour de plans larges. Sa caméra reste au contraire extrêmement mobile, accentuant les problèmes de cadrage : c’est du gros plan en mouvement, et les ensembles sont soigneusement pesés même si, un peu paradoxalement, ce souci de souplesse se retourne contre le film. En déplaçant caméra et protagonistes, la réalisation s’impose des architectures trop complexes pour ne pas entraîner une certaine rigidité, oblige à des précisions à la seconde et au millimètre, dans les comportements comme dans les dialogues. Le tournage, aux studios de Boulogne, se déroule dans une entente parfaite et même, dira Danielle Darrieux, dans un « climat de loufoquerie ». Se retrouvant tous, quasi quotidiennement, pendant trois semaines, les onze acteurs évacuent la tension de l’histoire et des contraintes techniques en accumulant farces et plaisanteries entre les prises. Ainsi, un jour, Dalban, Ventura et Blier décident de jouer un tour à Roquevert en l’empêchant de parler : dès que celui-ci veut placer un mot, on le somme de se taire, et ce jusqu’à le mettre hors de lui. Duvivier est parfois pris de tels fous rires qu’il cède la place à son assistant Michel Romanoff ! Cela ne l’empêche pas de surveiller les moindres détails. [Julien Duvivier, Cinquante ans de noirs destins – Yves Desrichard – Efitions BiFi/Durante]
Pour ce qui sera son dernier film important, Duvivier allie la maîtrise d’une mécanique parfaitement réglée à une nouvelle exploration de quelques-unes de ses obsessions : le groupe d’hommes qui se déchirent, les masques qui tombent, le passé qui vient hanter le présent. Il profite, par ailleurs, du confort que procurent le suspense de l’histoire et la popularité des comédiens pour aborder l’ambiguïté de certains comportements sous l’Occupation. L’ensemble est d’une richesse à laquelle on n’a pas toujours rendu justice et que l’on a parfois eu tendance à ignorer au profit de l’habileté. (…) Pour filmer cette représentation et ses préparatifs, Duvivier utilise toutes les possibilités qu’offre la caméra pour les mettre en valeur, en souligner les effets ou observer les réactions. La profondeur de champ, les plongées et contreplongées montrent – de façon un peu ostentatoire – une parfaite maîtrise technique qui n’est pas, finalement, l’aspect le plus intéressant du film. La caméra traque chacun en gros plan, ou l’écrase au fond de l’image… [Julien Duvivier « Le mal aimant du cinéma français » Vol 2 : 1940 – 1967 – Eric Bonnefille – Edition L’Harmattan (2002)]
Dans le film, Paul Meurisse, Lino Ventura, Bernard Blier ou Paul Guers ont plutôt mal vieilli, et leur médiocre présent n’a plus rien à voir avec leur supposé glorieux passé. L’atmosphère est amère et désenchantée, qui préfigure l’avènement de la Cinquième République et le retour du « sauveur » de Gaulle. Le film semble parfois trop somptueusement composé, on a l’impression d’assister à une partie d’échecs verbale où Jeanson, se souvenant peut-être de ses propres mésaventures pendant la guerre, alterne entre le jeu de massacre et le règlement de compte – non sans malaise. Presque trop parfait dans sa façon, Marie-Octobre impose curieusement un des rares personnages féminins supérieurs de l’œuvre de Duvivier – il est vrai qu’il s’agit de Danielle Darrieux… Les personnages, s’ils sont relativement schématiques, forment cependant un échantillon d’humanité permettant à Duvivier d’exprimer son pessimisme sur la fragilité, le factice des liens unissant les êtres, et les mensonges les accompagnant. Comme les chômeurs de La Belle équipe, les anciens résistants de Marie-Octobre, d’abord unis face à l’adversité (l’Occupation), sont finalement confrontés à eux-mêmes, capables de se déchirer, de se lancer les pires accusations (et même, dans les deux films, de tuer par jalousie amoureuse). La peur qu’inspirent à Duvivier les noirceurs de l’âme resurgit : les lâchetés, les méfiances, la tentation du lynchage sont présentes (même si ces sentiments sont ici moins extrêmes que dans Panique). La scène d’accusation de Simoneau (Blier) est, à ce titre, la plus frappante : tous les autres le désignent par écrit comme coupable, mais « je ne peux rien affirmer », reconnaît Blanchet (Dalban), « j’ai le courage de mes opinions mais je les garde pour moi », déclare Vandamme (Roquevert) tandis que Thibaud (Ivernel) s’abrite derrière un peu courageux « Je ne suis pas le seul ». [Julien Duvivier « Le mal aimant du cinéma français » Vol 2 : 1940 – 1967 – Eric Bonnefille – Edition L’Harmattan (2002)]
Comme dans la plupart des grands films de Duvivier, les personnages de Marie-Octobre cachent dans leurs souvenirs des secrets plus ou moins lourds, mais leur révélation revêt ici une importance particulière car elle invite à une réflexion sur les ambiguïtés du comportement des Français sous l’Occupation, et sur la face cachée des « héros ». Or on sait que le cinéma français n’a, avant Le Chagrin et la pitié, que rarement nuancé l’image de la France occupée. La collaboration n’a pas été ignorée (Duvivier lui-même l’évoque dans La Femme et le pantin), mais, en 1959, la compromission quotidienne, non idéologique, n’a encore guère été évoquée. La traversée de Paris de Claude Autant-Lara en 1956 l’a fait, à sa façon. Dans Marie-Octobre, le sujet est plus discrètement abordé (aucune critique n’y fait d’ailleurs allusion à la sortie du film) mais chacun peut se sentir concerné. « Quel est le Français qui par la force des choses n’a pas eu de relation avec l’occupant ? », remarque Simoneau, et l’on comprend que même ces résistants n’ont, « par la force des choses », pas été absolument irréprochables : l’avocat Simoneau a plaidé devant des conseils de guerre allemands, le boucher Marinval a fait du marché noir avec les occupants et tous en ont profité (« mon beurre, à cette époque-là, vous lui trouviez pas un goût de vert-de-gris, hein ? » se défend-il), le fonctionnaire Vandamme a « obéi à ses supérieurs… », Rougier (Reggiani) a travaillé dans une imprimerie d’où sortaient des journaux allemands (ainsi que, il est vrai, des tracts et taux papiers). On peut supposer que Bernardi a, lui, profité de l’épuration : il possède à Pigalle une boîte reprise en 45… L’image du héros martyr, Castille, est elle-même entachée du fait qu’il était dans la vie privée « une brute, un égoïste, un personnage cynique, versatile ». Plus grave : Simoneau, avant-guerre, a été fasciste, a soutenu Franco, a fait partie du comité France-Allemagne avec De Brinon et n’a rompu avec l’extrême-droite qu’en 1942 ! Au-delà du fait évident dans sa gravité, que l’un d’eux a vendu le réseau, on voit donc que le film est beaucoup moins confortable qu’une description superficielle ne le laisse croire. Et les catcheurs, sur l’écran de télévision, ponctuant ironiquement le combat verbal auquel se livrent les protagonistes, peuvent aussi bien symboliser l’affrontement en chacun d’eux de la bonne et la mauvaise conscience.
[Julien Duvivier « Le mal aimant du cinéma français » Vol 2 : 1940 – 1967 – Eric Bonnefille – Edition L’Harmattan (2002)]
Comme le montre, justement, l’intrusion régulière dans le film de la retransmission de catch, Marie-Octobre est émaillé de pointes d’humour – ironie, allusions ou réparties jeansoniennes – toujours fort bien intégrées. Le dialogue réserve ainsi quelques bons mots dont Jeanson a, heureusement, le bon goût de ne pas abuser. Citons Bernardi évoquant sa compagne, une chanteuse dont Marinval cite les disques : « Moi, à la maison, j’ai les deux faces, et puis pas en cire, en chair et en os. Tu parles d’un microsillon ! » Des clins d’œil sont envoyés en direction de Duvivier lui-même : on apprend que Le Guéven (Guers), séducteur avant de devenir prêtre, était surnommé dans sa jeunesse « Au bonheur des dames ». Les allusions à Judas et Ponce Pilate, tout en étant adaptées au sujet du film, évoquent naturellement Golgotha, tant raillé autrefois par Jeanson : « Un Judas de plus ou de moins… « , « Tas de Ponce Pilate ! « , » Quand on se lave les mains, c’est qu’elles ne sont pas très propres « ,etc. Autre clin d’œil : Le Guéven, au piano, joue quelques notes de Premier rendez-vous, un des grands succès de Danielle Darrieux. On peut y voir également une forme d’ironie (sans méchanceté) rappelant que plusieurs des comédiens de Marie-Octobre ont dû, comme les personnages qu’ils interprètent, « par la force des choses » et pour continuer à travailler, accepter des « compromis » avec l’occupant, en tournant pour la Continental d’Alfred Greven – sans que cela, rappelons-le, soit déshonorant, ces productions n’étant en rien idéologiques. Darrieux, avec Premier rendez-vous (puis Caprices et La fausse maîtresse), en fut une des vedettes. Roquevert y a trouvé quelques-uns de ses meilleurs rôles (L’assassin habite au 21, Le corbeau, La main du diable). Blier (La symphonie fantastique, L’assassinat du père Noël, Caprices) et Meurisse (Défense d’aimer, Mariage d’amour, La ferme aux loups) y ont solidifié leur popularité grandissante, tandis que Jeanne Fusier-Gir y a poursuivi sa carrière d’éternel second rôle. Tout cela ajoute évidemment au trouble des interrogations que pose le scénario sur la frontière entre conciliation et compromission. [Julien Duvivier « Le mal aimant du cinéma français » Vol 2 : 1940 – 1967 – Eric Bonnefille – Edition L’Harmattan (2002)]

Marie-Octobre est une nouvelle fois un succès commercial, mais c’est aussi un chant du cygne. Duvivier, homme clé des années trente, cinéaste capable des années cinquante, n’a plus grand-chose à dire (mais encore moins à prouver) quand Truffaut, Chabrol, Rivette, mais aussi Molinaro ou Lautner, occupent les écrans. Comme par l’ironie du sort, en 1959, il est membre du jury du festival de Cannes, présidé cette année-là par son ami Marcel Achard, qui couronne du prix de la mise en scène Les Quatre cents coups (1959) de François Truffaut : ce même Truffaut qui a été chassé de ce même Festival l’année précédente pour avoir raillé le niveau de la sélection française, et dont les critiques dans Arts et Les Cahiers du cinéma sont aussi attendues que redoutées. A l’occasion, on interviewe le juré : « Que pensez-vous de la Nouvelle vague ? Qu’elle ne diffère guère de l’ancienne. Qu’elle nous apporte de bons films, des moins bons films, et des navets. (…) Elle sera suivie d’une autre, qui elle-même… »
[Julien Duvivier, Cinquante ans de noirs destins – Yves Desrichard – Efitions BiFi/Durante]
Les extraits

JULIEN DUVIVIER ou l’artisan consciencieux
La véritable carrière de Julien Duvivier débute en 1930. Et pourtant, à cette date, il est déjà l’auteur de dix-sept films, réalisés entre 1919 et 1929. Mais rien, dans cette production trop abondante, ne le distingue des nombreux faiseurs, qui, au même moment, travaillaient comme lui, en série…
Catégories :Le Film français
*Mon Cinéma A Moi, *
je vous souhaite un agréable week-end. Je vous remercie pour ce déroulé de communication cinématographique relatif à Julien Duvivier.
*Georges. *
J’aimeAimé par 2 personnes
Merci ! de très beau rôles, dont celui qui convenait si bien à Danielle Darrieux.
Amicalement 🙂
J’aimeJ’aime
Un film que j’adore avec des acteurs exceptionnels.
J’aimeJ’aime