Catégorie : Le Film Noir

I DIED A THOUSAND TIMES (La Peur au ventre) – Stuart Heisler (1955)

Roy Earle, auquel Jack Palance prête sa personnalité inquiétante, est un bandit qui sort de prison grâce aux bons offices de son chef de bande. En échange de ce service il doit piller un hôtel avec deux complices qui l’attendent dans les Montagnes Rocheuses. Une ancienne entraîneuse, hors la loi comme eux, complète l’équipe. C’est Shelley Winters qui reconstitue ici avec Jack Palance le couple de The Big Knife (Le Grand couteau). Mais ce dur a du cœur et veut sauver une infirme rencontrée par hasard sur la route et qu’il aime. Tout cela finira mal car le crime ne paie pas…

LE FILM NOIR FRANÇAIS

C’est un réflexe de curiosité qui nous portent vers le film noir français. En effet, quelle forme fut plus occultée en faveur du thriller américain et de sa vogue chez nous ? Quand Bogart-Philip Marlowe appartenait à nos mémoires les plus chauvines, Touchez pas au grisbi de Becker était à une époque invisible. La Nouvelle Vague avait opéré une fracture avec un certain cinéma sclérosé qu’elle allait remplacer. A l’exception de Renoir, elle se voulait sans ascendance nationale. Les noms de Gilles Grangier ou d’Henri Decoin faisaient rire dans les années 1960… mais il fallait-il rejeter leurs policiers denses et robustes des années 1950 ? Dans la mouvance du Grisbi, un genre s’était constitué avec sa durée propre, sa forme très codifiée, toute une mise en scène originale du temps mort.

LA VIOLENCE MASCULINE DANS LE FILM NOIR

Le film noir a toujours été un bon véhicule pour explorer la philosophie de la violence, surtout la violence masculine. Dans l’excellent roman de Jim Thompson The Killer Inside Me (1952), adapté à l’écran par Burt Kennedy en 1975 sous le titre français Ordure de flic, Lou Ford, sous son apparence de représentant de la loi respecté, s’avère être un meurtrier de sang-froid douloureusement conscient des démons qui l’habitent : « Tant que je vivrai, je ne serai jamais libre… »

IN A LONELY PLACE (le Violent) – Nicholas Ray (1950)

Si Nicholas Ray est reconnu pour son intégrité et sa sensibilité rares, en particulier avec les acteurs, aucun de ses films n’est plus abouti ni plus profond que In a Lonely Place (Le Violent). Parmi les deux douzaines de longs métrages qu’il a réalisés, chacun contient des scènes inoubliables, à commencer par Rebel Without a Cause (La Fureur de vivre, 1955). Mais plus d’un demi-siècle plus tard, c’est In a Lonely Place qui sort le plus nettement du lot et garde le plus de vitalité.

CLASH BY NIGHT (Le Démon s’éveille la nuit) – Fritz Lang (1952)

Clash by night est un film au scénario sans prétention, mais la banale histoire du triangle amoureux est rehaussée par l’étude subtilement graduée des personnages complexes qui ne sont jamais manichéens. Barbara Stanwyck, dans le rôle de Mae, campe une femme libre au passé douteux, trompant son mari, mais douée d’une grande liberté d’imagination et capable de reconnaître les failles de son propre système.

HIS KIND OF WOMAN (Fini de rire) – John Farrow et Richard Fleischer (1951)

En 1950, Robert Mitchum avait déjà à son actif quelques uns de ses meilleurs films mais il est encore jeune et au sommet de sa célébrité. Les studios se donnaient désormais le temps et les moyens de mettre en valeur ce sex-symbol dans des grosses productions, aux côtés de partenaires féminines à la hauteur.
Howard Hughes, en rachetant la R K.O., avait emmené Jane Russell avec lui dans ses valises et, His Kind of Woman devait être le véhicule royal des deux plus grandes stars du studio Hughes qui avait lancé Jane Russel qu’il avait lui même réalisé, orchestrant minutieusement la révélation publique de cette nouvelle bombe sexuelle.

PITFALL – André de Toth (1948)

Pitfall est le film noir clé sur le thème du mari volage perdant sa respectabilité bourgeoise. La distribution est pertinente : Raymond Burr, dans le rôle de Mack, est à la fois répréhensible et pathétique lorsqu’il essaye de se faire aimer de Mona, jouée par Lizabeth Scott, prototype de la femme fatale La beauté angélique de Dick Powell, qui en a fait le plus vulnérable des durs du film noir, et sa prédisposition à la mélancolie, soulignent l’ennui de l’homme dont la vie s’est enlisée. Quant à Jane Wyatt, elle représente l’épouse et la mère typiques, exact opposé de Lizabeth Scott, la brune et la blonde étant ainsi inversées par rapport aux codes romanesques habituels.

L’OBSCURITÉ ET LA CORRUPTION DANS LE FILM NOIR

Le film noir a toujours eu une conscience. C’est sans doute pourquoi tant de gauchistes et de victimes du maccarthysme comme Jules Dassin (The Naked City), Joseph Losey (The Prowler), Edward Dmytryk (Cornered), Albert Maltz (scénariste de The Naked City), Adrian Scott (scénariste de Crossfire) et Dalton Trumbo (scénariste de Gun Crazy ) y trouvaient là un genre salutaire. Ils voyaient la société avec un regard venant du bas de l’échelle sociale, du point de vue du loser, du délinquant, du malchanceux et du quidam prolétaire. Il était donc normal que le genre soit imprégné d’une certaine critique sociale.

LES HÉROS DU FILM NOIR

Surgissant de l’ombre épaisse du film noir, toute une génération d’acteurs américains allait s’affirmer, à partir des années 1940, grâce à la vogue du genre. Le héros du film noir se trouve toujours où il sait qu’il ne devrait pas être. Qu’attend-il dans l’ombre des rues, sur les trottoirs luisant de pluie ? Sa prochaine victime ? A-t-il fixé rendez-vous avec sa propre mort ? S’il n’est pas le jouet de quelque femme fatale ou d’un passé qui l’obsède alors peut-être est-il le tueur qui donnera sans sourciller.

TROIS HOMMES DU MILIEU (par Philippe Carcassonne)

Dans les années 1950, le film noir français découvre l’envers d’une morale. Si l’on entend par « cinéma noir » non plus la marque d’un genre, mais l’esprit même de la noirceur, ce goût très français – jusqu’à la complaisance – de l’ignominie morale, sociale ou psychologique, c’est presque toute la production d’avant la Nouvelle Vague qu’il conviendrait de dénommer ainsi.

BODY AND SOUL (Sang et or) – Robert Rossen (1947)

Body and Soul comporte des éléments rappelant les drames sociaux des années 1930. D’une certaine manière, on peut le considérer comme l’un des derniers films porte-parole du libéralisme avant que la commission d’enquête sur les activités anti-américaines n’écrase ses principaux tenants. Le thème central en est la corruption et les dollars tentateurs sont constamment agités devant les yeux de Charlie Davis. Il ne cessera de rejeter sa mère, sa petite amie et Short y dont l’honnêteté l’importune. C’est finalement la mort de la dernière personne valable autour de lui, Ben, qui va le pousser à se révolter contre les gangsters. La transformation positive finale, dans le sens de l’affirmation de soi, reflète l’idéalisme du metteur en scène, Robert Rossen et du scénariste, Abraham Polonsky.

LE DÉTECTIVE PRIVÉ DANS LE FILM NOIR

Si tout le monde s’accorde à considérer The Maltese Falcon (Le Faucon maltais) comme le point de départ de la période classique du film noir, cela signifie que le privé est depuis le départ la figure emblématique du genre. Qu’on l’appelle privé, limier ou fouineur, le prototype du héros du film noir est issu des polars hard-boiled, de la littérature à deux sous qui remplissait les pages de magazines bon marché comme Dime Detective ou  Black Mask au début de années 1920.

KISS OF DEATH (Le Carrefour de la mort) – Henry Hathaway (1947)

Kiss of Death était un hybride inhabituel, pris dans les limbes entre la photo stylisée et flamboyante de Norbert Brodine et l’approche presque documentaire du réalisateur Henry Hathaway, déjà utilisée pour The House on 92nd Street. Mature joue Nick Bianco, un lourdaud qui essaye de rentrer dans le droit chemin et se retrouve mouchard. Bianco dénonce Udo pour un casse que les forces de l’ordre n’arrivent pas à résoudre, mais l’affaire est mal présentée devant le juge et le cinglé est remis en liberté. Nick envoie sa famille au vert, sachant qu’il va devoir affronter un Udo vengeur.

LE FILM [noir] DE HOLD-UP

Criss Cross (Pour toi j’ai tué, 1949) associe un grand nombre des thèmes du film noir : l’obsession ou l’amour « fou » qui provoque la perte des amants fugitifs ; la narration à la première personne entrelacée avec une structure en flash-back ; un cambriolage complexe au cœur de l’intrigue ; une simple trahison. The Killers (Les Tueurs, 1946), autre film de Robert Siodmak, présente une juxtaposition d’éléments similaire sous la forme narrative suivante : un enquêteur cherche à comprendre pourquoi un homme s’est laissé abattre sans opposer la moindre résistance et reconstitue son histoire à partir d’entretiens évoqués dans des flash-back. Tout comme dans Criss Cross, le sort du héros (incarné par Burt Lancaster dans les deux cas) dépend d’une femme fatale et d’une trahison après un casse.

L’AMOUR EN CAVALE

La quintessence de ce que Buñuel appelle « l’amour fou » a très souvent été associée aux couples fugitifs, pas seulement dans le film noir mais au cinéma en général. Les couples en cavale sont des parias et des hors-la-loi, traqués et condamnés d’avance, généralement morts ou agonisants à la fin du film. En tant que sous-type, le couple fugitif a une longue histoire, de Scarlet Days de Griffith (1919) à Mad Love (De l’amour à la folie, 1995) et Yellowknife (2002). Mais, même en admettant quelques variantes modernes telles que Thelma et Louise (1991), les films entrant dans cette catégorie ne sont pas légion. Beaucoup, sinon la plupart, furent réalisés pendant la période classique du film noir, dans les 15 ans qui s’écoulèrent entre You Only Live Once (J’ai le droit de vivre, 1937) et Where Danger Lives (Voyage sans retour, 1950). Le caractère obsessionnel de l’amour et l’aliénation sociale des fugitifs sont par excellence des thèmes du Noir.