Catégorie : Le Film Noir

LADY IN THE LAKE (La Dame du lac) – Robert Montgomery (1947)

Lady in the lake est l’un des films expérimentaux d’Hollywood les plus exceptionnels car il est uniquement tourné d’un point de vue subjectif, la caméra valant pour le regard du détective. Le seul moment de rupture avec ce parti-pris survient quand Marlowe, assis à son bureau, donne au public plusieurs éléments embrouillés de l’intrigue, l’encourageant à démêler lui-même le mystère ; il doit « s’attendre, le prévient-il, à l’inattendu ». Ce procédé accentue la tension et l’efficacité de toutes les violences qu’a à subir le détective assommé par Lavery, aspergé d’alcool, obligé de se traîner pour traverser la rue ou menacé par l’arme de Mildred…

LE FILM POLICIER AMÉRICAIN DES ANNÉES 1950

Héritiers des films de gangsters des années 30 et des films noirs des années 40, les thrillers des années 50 sont marqués par un réalisme impitoyable, notamment dans l’expression de la violence. A l’aube des années 50, le cinéma policier américain porte en lui un double héritage. La construction dramatique des films de gangsters des années 30, fondée sur le principe classique qui veut qu’au bouleversement d’un certain ordre des choses succède l’instauration d’un ordre plus juste et plus solide, reste la référence de nombreux scénaristes. Mais ces films, qui retraçaient selon ce schéma l’ascension et la chute d’un malfaiteur, continuent d’exercer leur influence dans leur manière de décrire l’univers criminel des grandes villes américaines, ainsi que dans leur façon de faire culminer l’action dans certains types de séquences : poursuites de voitures, fusillades.

THE POSTMAN ALWAYS RINGS TWICE (Le Facteur sonne toujours deux fois) – Tay Garnett (1946)

Jeune chômeur ténébreux, Frank Chambers trouve un travail de pompiste à la station essence de Nick Smith. La femme du patron, Cora, est jeune et belle. Une idylle passionnelle se noue entre eux. Le couple illégitime décide de se débarrasser du mari gênant… (…) Le cinéaste hollywoodien évoque, lui, la dérive intime de son pays. Dès les premiers plans, désaxés, inquiétants, l’ambiguïté suggestive s’affiche. Un écriteau à double sens « Man wanted » annonce le désarroi social et affectif de l’Amérique du bout du monde, où le chômage rime avec la misère sexuelle. Le vertige amoureux dans lequel les deux amants maudits se laissent happer dégage des vapeurs nocives et douces à la fois, caractéristiques des chefs-d’œuvre du film noir. Sainte trompeuse vêtue de blanc, Lana Turner détourne tous les moyens de séduction habituels, face à un John Garfield magnifique, fébrile et secret. [Marine Landrot – Télérama]

CES FEMMES FATALES

Du collant noir de Musidora à l’absence de dessous de Sharon Stone, l’accessoire ou son manque divinement souligné n’est jamais innocent et marque au fer rouge cette sublime pécheresse qui parcourt le cinéma, qu’il s’agisse du film noir hollywoodien qui en fit son égérie ou d’autres genres qu’elle hanta de son érotisme funeste. Car cette femme-là est fatale pour ceux qui l’approchent. Souvenirs de quelques figures mythiques entre Eros et Thanatos qui peuvent le payer cher dans un 7ème Art aux accents misogynes qui ne pardonnent pas. [Isabelle Cottenceau – Le Facteur sonne toujours deux fois – L’Avant-Scène Cinéma (avril 2004)]

OSSESSIONE (Les Amants diaboliques) – Luchino Visconti (1943)

Gino, jeune vagabond, s’arrête dans un relais routier lépreux sur les berges du Pô. Entre lui et Giovanna, la patronne, l’attirance est immédiate, irrépressible. L’idée de tuer le vieux mari et de fuir ensemble s’impose vite aux deux amants… Ossessione fit en son temps l’effet d’une pierre jetée dans le jardin propret du cinéma fasciste. Le désespoir social de l’Italie mussolinienne y apparaît sans fard, et Visconti (débutant) fut à ce titre baptisé « néoréaliste ». Le label, alors inédit, ne convient plus guère au film, dont la beauté paraît aujourd’hui théâtrale, presque abstraite. Cette adaptation du Facteur sonne toujours deux fois frappe plutôt par son lyrisme, sa fièvre, sa poésie. Et par ses ambiguïtés. A la passion malheureuse des deux personnages clés s’ajoute celle de l’Espagnol, saltimbanque imaginé par Visconti, qui cherche un temps à détourner Gino de son funeste dessein. Et le mari, repoussoir dans l’histoire originale, suscite chez le cinéaste une affection paradoxale, non sans incidence sur la dramaturgie. Par son refus des jugements moraux conventionnels et sa puissance tragique, Ossessione contient en germe toute une part de l’œuvre viscontienne. [Louis Guichard – Télérama]

LE DERNIER TOURNANT – Pierre Chenal (1939)

On croit souvent que le roman noir américain est une découverte de l’après-guerre, et qu’il a fait son apparition en France à partir de 1945. Il n’en est rien. Un classique du genre, comme Le Facteur sonne toujours deux fois de James Cain était publié chez Gallimard, dans une traduction de Sabine Berritz, dès 1936 ; il est très significatif que ce roman célèbre qui fut porté à l’écran quatre fois, ait connu sa première adaptation cinématographique en France, et cela dès 1939. Elle précédait celles de Visconti (1942), de Tay Garnett (1946) et enfin celle de Bob Rafelson (1981). Il s’agit du Dernier tournant de Pierre Chenal.

THE DARK MIRROR (La Double énigme) – Robert Siodmak (1946)

Dès les premiers plans du générique, qui s’inscrit sur des motifs servant au test de Rorschach, apparaissent le thème du double et l’importance de la psychanalyse. Contrairement aux films qui décrivent l’aspect criminel et malsain qui peut se glisser au sein d’un individu, The Dark mirror pose le problème encore plus clairement en mettant en scène deux sœurs jumelles dont l’une est criminelle et l’autre innocente. Comme s’il existait en permanence en chaque être une lutte entre des pulsions criminelles et la volonté de satisfaire à la morale habituelle. Le thème du dédoublement de la personnalité n’a jamais été aussi clairement analysé, l’existence des deux sœurs jumelles rendant les déclarations des témoins impossibles à vérifier. Ce qui aurait pu être le sujet d’une comédie est cependant celui d’un drame criminel. Il y a eu en effet mort d’homme, et Teresa est prête – le cas échéant – à tuer de nouveau…

NIGHTMARE ALLEY (Le Charlatan) – Edmund Goulding (1947)

Nightmare alley (Le Charlatan) suit l’ascension sociale de Stanton Carlisle, alias « Stan » (Tyrone Power), dans sa poursuite du rêve américain. D’abord forain, puis illusionniste dans un hôtel de Chicago, puis soi-disant spirite, il commence par divertir la classe ouvrière pour quelques sous et finit par arnaquer la haute société pour des milliers de dollars. Mais en fin de compte, tous ces « pigeons » veulent savoir la même chose : s’ils vont gagner de l’argent et si leurs morts reposent en paix.

HIGH SIERRA (La Grande évasion) – Raoul Walsh (1941)

La renommée de Raoul Walsh est essentiellement basée sur ses films d’action et d’aventure. Mais They died with their boots On (La Charge fantastique), White heat (L’Enfer est à lui), The Roaring twenties, They Drive By Night (Une Femme dangereuse) et High sierra, présentent aussi des études intéressantes de personnages bien construits qui se battent soit à l’intérieur, soit à l’extérieur du système. Les protagonistes de Walsh sont des lutteurs, prêts à foncer pour vivre une vie libre dont ils maîtriseraient les règles.

THREE STRANGERS – Jean Negulesco (1946)

A Londres en 1938, une femme attire deux hommes inconnus chez elle le soir du nouvel an chinois car elle croit à une légende : elle possède une statuette en bronze de la déesse chinoise Kwan Yin qui est censée ouvrir les yeux ce soir-là et exaucer le voeu commun de trois étrangers. Ils achètent ensemble un billet de sweetstakes (loterie liée à des courses de chevaux)… La base du scénario de Three strangers a été écrite par le jeune John Huston qui s’est inspiré d’un épisode qui lui est réellement arrivé à Londres. Il aurait même projeté de le tourner lui-même après The Maltese Falcon (Le Faucon Maltais) mais la guerre a interrompu le projet.  Il le reprend quelques années plus tard avec Howard Koch pour le compte de Jean Negulesco. C’est le troisième film du réalisateur roumain avec le tandem Lorre/ Greenstreet, tourné avec un budget réduit. Le scénario est riche en histoires parallèles et en rebondissements ; le film offre ainsi un beau mélange d’intrigue policière et de mystère. C’est une belle fable sur la cupidité et la jalousie. Three Strangers n’est jamais sorti en France. [L’Oeil sur l’écran – https://films.oeil-ecran.com%5D

SUNSET BOULEVARD (Boulevard du crépuscule) – Billy Wilder (1950)

Un homme flotte sur le ventre dans une piscine ; les policiers tentent maladroitement de repêcher le cadavre. Le début de Sunset Boulevard est l’un des plus déstabilisants et en même temps des plus brillants de l’histoire du cinéma. Joe Gillis (William Holden), un petit scénariste sans succès, y raconte comment sa rencontre avec l’ancienne star du muet Norma Desmond (Gloria Swanson) l’a conduit à sa perte.

THE GLASS KEY (La Clé de verre) – Stuart Heisler (1942)

En 1942, la Paramount confie à Stuart Heisler une nouvelle version de The Glass Key (La Clé de verre), moins fidèle à la lettre que The Maltese falcon (Le Faucon maltais), mais reproduisant mieux l’univers de Hammet en insistant sur l’amoralité de la plupart des protagonistes et leurs comportements névrotiques. Tout y est violence et la mise en scène désigne les réalités masochistes, homosexuelles ou sadiques de certains personnages. Même si le happy end gâche l’ensemble, c’est la meilleure adaptation d’un roman hard-boiled. Beaumont, que George Raft avait remarquablement bien incarné en 1935 dans la version de Frank Tuttle, est interprété ici par Alan Ladd qui lui donne sa force en jouant d’un sourire d’ange au moment de déclarations terrifiantes, révélant ainsi sa cruauté et son goût pour le meurtre. Veronica Lake est sa partenaire – leur tandem est mythique depuis This Gun for Hire (Tueur à gages, 1942) de Frank Tuttle, transposition du roman de Graham Greene écrite par Albert Matz et William R. Burnett, où Ladd tient un rôle de prédateur froid et solitaire. [Le film Noir (Vrais et faux cauchemars) – Noël Simsolo – Cahiers du Cinéma Essais – (2005)]

LE DOCU-NOIR

Le néoréalisme italien exerça une influence considérable sur le film noir de l’après-guerre. Certains films furent montrés aux Etats-Unis où ils enthousiasmèrent les critiques et les cinéastes. Bien que beaucoup d’entre eux comme Ossessione (Les Amants diaboliques, 1943),  l’adaptation non autorisée du Facteur sonne toujours deux fois par Luchino Visconti, n’aient pas été importés, bon nombre de ces films révolutionnaires, tournés en décors réels avec des budgets dérisoires, avaient un sens particulier pour le Noir.

ANGEL FACE (Un si doux visage) – Otto Preminger (1952)

Dès la séquence d’ouverture, où Frank, l’ambulancier, est appelé dans la propriété de Diane, une menace plane. Cette sensation d’avancer au bord d’un précipice ne nous quittera plus jusqu’à la scène finale. Aussi fascinante que Laura, le grand classique de Preminger, cette histoire diabolique unit deux êtres très différents, mais qui ont en commun un certain mystère. Autant Mitchum, en chauffeur mono­lithique, intrigue par son caractère taciturne et son impuissance résignée, autant Jean Simmons — qui ne manqua pas de faire savoir à quel point Preminger fut tyrannique sur le tournage — déconcerte en offrant un visage double, maléfique et gracieux, intraitable et fragile. Calculatrice, cette garce de Diane l’est, mais par amour. Un amour nocif qui lui donne les idées les plus macabres. Dans un style ondoyant, sur un rythme lent marqué par des ruptures brusques, Otto Preminger décrit le processus irrémédiable d’une passion obsessionnelle. Le film repose moins sur l’identification aux personnages que sur la sensation d’un malaise constant, subtilement rendu via des détails réalistes, des répliques ou des silences inopinés. Les notes de piano crépusculaires de Dimitri Tiomkin couronnent cette partition pour un amour malade. [Jacques Morice – Télérama.fr]

FALLEN ANGEL (Crime passionnel) – Otto Preminger (1945)

On ne change pas une équipe qui gagne : après le mythique Laura, Preminger retrouvait Dana Andrews pour cet autre polar. Au passage, un peu de mystère s’est envolé, mais Fallen Angel (Crime passionnel) garde cependant l’atout du classicisme parfait : c’est une véritable encyclopédie du film noir. Eric Stanton, le très typique mauvais garçon, est un escroc à la petite semaine qui débarque dans une ville tranquille, et même mortellement ennuyeuse pour la brune incendiaire condamnée à tenir le bar du coin. Quand Stanton lui parle de l’emmener ailleurs, elle voit tous ses rêves prêts à devenir réalité, mais elle attend des preuves. Pour trouver les moyens de conquérir la brune, il faut séduire la blonde, une femme plus sage qui a touché un bel héritage.Trouble, mensonge et dollars, tout, dans ce scénario, semble écrit en lettres capitales. Mais les personnages ne restent pas des clichés, et le titre original du film, Fallen Angel, annonce d’ailleurs que ce polar sera aussi une sorte de parabole biblique. Tout en racontant les petits trafics et les escroqueries minables, Preminger s’intéresse à l’innocence qui persiste en chaque ange déchu. Et d’une blonde naïve, il fait une figure de la bonté. Avec lui, un petit film noir a vite de grands pouvoirs. [Frédéric Strauss – Télérama.fr]