Histoire du cinéma

[autour de Remorques] ROGER VERCEL : LE VOYAGEUR IMMOBILE

Remis au goût du jour par le Capitaine Conan de Bertrand Tavernier en 1996, l’auteur de Remorques a fait partie des écrivains importants des années 1930. Qu’ils décrivent la folie des hommes ou celle des éléments, ses romans ont inspiré plusieurs cinéastes.

Bien que sa passion pour le monde maritime l’ait souvent fait passer pour un Breton, c’est au Mans que Roger Vercel voit le jour en 1894. Vingt ans plus tard, ses études de lettres sont interrompues par la déclaration de guerre. Doté d’une vue médiocre, le jeune homme est envoyé comme brancardier sur le front de l’Est, où commence la guerre des tranchées. Le conflit s’éternisant, de nombreux soldats ayant un certain niveau scolaire se voient proposer de faire l’école militaire de Saint-Cyr : le jeune Vercel en sortira avec le grade de lieutenant. Envoyé sur le front d’Orient, il suit les offensives de l’armée française dans les Balkans, où il est blessé au bras. Bien que le conflit se termine en 1918, c’est seulement l’année suivante que l’armée d’Orient est enfin démobilisée, au terme d’une campagne très violente qui l’a vue affronter notamment l’Armée Rouge … Revenu à la vie civile, Roger Vercel obtient un poste de professeur de lettres à Dinan, petite ville bretonne où il passera le reste de sa vie.

Comme tous ceux qui ont survécu à la « grande boucherie », Vercel reste profondément marqué par les atrocités dont Il a été témoin. La littérature sera son exutoire : son premier roman, Notre père Trajan, revient en 1930 sur la tragédie de 14-18. Et quatre ans plus tard, Vercel décroche le Prix Goncourt avec Capitaine Conan, récit de la folie meurtrière d’un soldat devenu un « fou de guerre ». Situé dans les Balkans, le roman puise largement dans les souvenirs de l’écrivain, qui a réellement connu la plupart de ses personnages… Heureusement, Vercel se découvrira une autre source d’inspiration, moins sombre mais tout aussi romanesque : le monde de la mer. Dès 1931, il signe ainsi En dérive, avant de recevoir l’année suivante le Prix Fémina pour Au large de l’Eden. Au fil des ans, l’écrivain va devenir un spécialiste du genre, livrant entre autres Remorques (1935), Aurore boréale (1 947) ou la trilogie de La fosse aux vents (1951). Le plus étonnant étant que lui-même n’a jamais navigué : il base en fait ses romans sur les récits de ses amis marins. Se contentant de canoter sur la rivière qui traverse Dinan, Roger Vercel mourra en 1957 sans avoir connu les tempêtes qu’il a si bien décrites…

Jean Grémillon est, en 1939, le premier à signer avec Remorques une adaptation de Roger Vercel, écrivain fort réputé à l’époque. Curieusement, le succès du film ne suscite pas immédiatement d’autres projets : il faut attendre 1949 pour voir le réalisateur Bernard de Latour solliciter à nouveau l’écrivain. Et encore s’agit-il de porter à l’écran la vie de Du Guesclin, personnage historique auquel Vercel a consacré une biographie au début des années 1930. C’est également en 1949 que sortira sur les écrans Les Eaux troubles, film inspiré par la nouvelle Lames sourdes. Mais ce drame porté par Ginette Leclerc et le jeune Mouloudji ne connaîtra pas Je même accueil que Remorques… En 1954, c’est au tour de Jacques Pinoteau d’adapter Le Grand pavois, d’après un récit publié avec Jean Raynaud. Après quoi l’œuvre de Roger Vercel tombe dans un relatif oubli, tant de la part des lecteurs que des cinéastes. Jusqu’à ce que Bertrand Tavernier ne livre en 1996 un mémorable Capitaine Conan, qui contribue à faire du roman de Vercel l’un des succès de librairie de l’année.

Hommage

En adaptant en 1996 l’intrigue de Capitaine Conan, Bertrand Tavernier et le scénariste Jean Cosmos décident de donner au personnage de Norbert plus d’importance qu’il en avait dans le roman original. Ce soldat lettré et humain est en effet un autoportrait à peine voilé de Roger Vercel, et Tavernier juge important de faire valoir dans le film les valeurs positives que tente de défendre ce personnage, malgré tous les excès permis par la guerre. C’est à Samuel Le Bihan qu’échoit alors le privilège d’incarner ce « Norbert/Vercel », face à un Philippe Torreton terrifiant de sauvagerie. [Collection Gabin – Remorques – Eric Quéméré (n°32 – 2006)]


REMORQUES – Jean Grémillon  (1941)
Marin dans l’âme, Grémillon chérissait la mer, qu’il avait déjà célébrée dans Gardiens de phare en 1928. Remorques, situé à la pointe de la Bretagne, du côté de Crozon, fut un film compliqué à faire : scénario remanié, tournage interrompu à cause de la guerre, etc. Il tangue un peu comme un rafiot. On y retrouve néanmoins ce lyrisme sobre qu’on aime tant. Au fond, Remorques est l’envers de Quai des brumes, auquel on pense forcément : point de « réalisme poétique » ici, plutôt une poésie réaliste, sans effets ni chichis. 

JEAN GRÉMILLON : L’amour du vrai
Le succès de Remorques, en 1941, devait constituer pour Jean Grémillon une revanche sur quinze ans de déboires.  Curieusement, c’est au cœur d’une des périodes les plus noires de notre histoire, que ce « cinéaste maudit » va pouvoir le mieux s’exprimer, et dans l’œuvre de ce metteur en scène de gauche, s’il en fut, la période « vichyssoise » apparaît comme une trop brève saison privilégiée.



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