Les Réalisateurs

HENRI DECOIN : LA VIE À DEUX

La Vérité sur Bébé Donge apparaît par dessus la coupure de la guerre et de l’immédiate après-guerre comme le pendant de Retour à l’aube. Méditation sur l’impossibilité du bonheur conjugal : à la candeur d’Anita, la Hongroise, répond la fraîcheur d’Elisabeth, dite Bébé, la Provinciale ; à l’indifférence calme du jeune chef de gare, répond l’indifférence blasée de François Donge, bien assis dans l’existence et chéri des femmes. Anita prend rapidement conscience du vide de son existence grâce à une nuit enchantée. Bébé découvrira petit à petit l’amertume et le chagrin, et refusera la tricherie et le mensonge. Son mariage avec François a été un don total : « Je veux seulement t’aimer, François », disait-elle. Quand elle constate l’impossibilité de vivre son rêve, elle verse le poison. Qui sait si, par la suite, Anita, définitivement déçue, et lasse d’être bercée par le passage des rapides devant la gare, ne supprimera pas Karl ? Et si, celui-ci, ne comprendra pas trop tard comme François que, dédaignant le bonheur sous la main, il n’a trouvé que le désert et la mort. Danielle qui s’endormait encore dans les bras de Pierre Dux, s’arrache, cette fois, définitivement à l’étreinte de Jean Gabin ; la mort agrippe son mari, elle s’éloigne, insensible, indifférente à tous, vers son destin, laissant plantés dans le hall de sa résidence, comme les pions d’un jeu dérisoire, ceux qui par leurs mensonges, leurs faux-semblants, leur dissimulation finirent aussi par la tuer.

Une fois encore, Danielle Darrieux, revenue sous la houlette de son mari, imposait une figure pathétique dans son silence avec cette justesse et en même temps, cette économie de moyens, caractéristiques de son talent. A l’inverse de la ligne toute pure de Retour à l’aube, la construction de Bébé Donge adopte le procédé du flash-back, l’abandonne, y revient. Les comparses sont eux aussi étudiés attentivement : le médecin-arriviste (Jacques Castelot), le frère de François (Daniel Lecourtois), la sœur de Bébé (Claude Génia), la marieuse, collet monté et langue péremptoire (Gabrielle Dorziat), les plus modestes emplois étant tenus par des actrices notoires (Meg Lemonnier, Juliette Faber ou Madeleine Lambert.) Tout ce petit monde recompose artificiellement – mais il fallait que ce fut ainsi – un coin de province propice au désenchantement, cadre rêvé pour un drame du poison. Ce portrait brisé, dont les fragments se reconstituent peu à peu, pour se dresser à la fin dans un cadre voilé de crêpe a de la grandeur. La musique de Jean-Jacques Grunenwald la souligne, et la pitié gagne finalement sur l’amertume : pitié pour François qui, dans son agonie essaie de tendre une main moite vers sa femme murée à jamais dans sa décision, pitié pour Elisabeth dont on ne saura plus rien, qui devient une anonyme, un simple numéro, pitié même pour cette famille éclaboussée par le scandale et désignée aux affronts. Seule la douairière essaie de marteler les dalles de sa canne, mais sa démarche est moins assurée, et ses dernières paroles se font presque admiratives.

Au départ, ce beau film n’eut pas la critique qu’on pouvait en attendre, et le succès en dépit des têtes d’affiche fut seulement honorable. Présenter Gabin en vaincu, Darrieux en victime justicière, c’était, peut-être, aller trop carrément à l’encontre des idées établies chez le spectateur. La construction savante du film fut médiocrement appréciée, et Jacques Doniol-Valcroze écrivait, par exemple, dans L’Observateur : « Là où il fallait la pureté dramatique de Phèdre et le dépouillement de style des Dames du bois de Boulogne, on a choisi la psychologie du genre Climats d’André Maurois et le style dit réaliste. Cela est dommage parce que l’entreprise était originale et intéressante, parce que Henri Decoin connaît très bien son métier et parce que Danielle Darrieux est une des meilleures comédiennes françaises. » N’oublions pas toutefois que Simenon aime les tranches de vie, et soulignons que le travail de Maurice Aubergé, le scénariste, est un modèle du genre, enfin que La Vérité sur Bébé Donge reste un des grands films du réalisateur. [Henri Decoin – Raymond Chirat – Anthologie du cinéma (Avant-scène du cinéma, 1973)]


LA VERITÉ SUR BÉBÉ DONGE – Henri Decoin (1952)
Si le public de 1952 boude la sortie de La Vérité sur Bébé Donge, le film ne sombre pas pour autant dans l’oubli, et les générations suivantes répareront cette injustice en le considérant comme l’un des titres les plus marquants de la période. Même les pourfendeurs de la fameuse « qualité française », tant décriée par François Truffaut et ses amis des Cahiers du cinéma, se sentiront tenus de faire une exception dans la filmographie d’Henri Decoin pour La Vérité sur Bébé Donge.



HENRI DECOIN : MALDONNE
Après la Libération s’ouvre devant le responsable des Inconnus dans la maison, une période trouble et incertaine. Il lui faut faire la preuve que, pendant les quatre années écoulées, son activité de résistant a heureusement et abondamment prouvé que la collaboration à la Continental ne fut qu’un épisode malencontreux – mais relativement court.

HENRI DECOIN : SANG ET OR
Il faut éviter avant tout de se référer à l’histoire de Mathilde Carré, dite la Chatte, agent de l’Abwehr, alias « Micheline », alias « la dame au chapeau rouge », alias « Victoire » selon les différents réseaux, condamnée, traînée de prison en prison, graciée finalement. Les deux films de Decoin: La Chatte et La Chatte sort ses griffes prennent toute distance à ce sujet. « Il ne peut être question de retrouver dans ce film la personne qui a défrayé la chronique » lit-on en fin de générique. On joue sur un titre raccrocheur, l’opinion ayant été sensibilisée par les équivoques aventures de Mathilde Carré.



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