Les Réalisateurs

MICHEL AUDIARD

Le cinéma français a toujours été avide de dialoguistes brillants. Après Jacques Prévert et Henri Jeanson, pendant longtemps, Michel Audiard fut à peu près le seul à tenir cet emploi, qu’il remplit toujours avec le même brio.

Michel Audiard est né à Paris en 1920. Après des études médiocres, il exerce divers métiers, dont, si l’on en croit la légende, ceux de coureur cycliste et de vendeur de journaux. Après cette période obscure et agitée, il devient journaliste et dé bute dans la presse sous l’Occupation. C’est par le journalisme cinématographique et l’écriture de quelques romans policiers alimentaires qu’il dé bouchera dans le cinéma où sa réussite sera exceptionnelle comme scénariste et plus encore comme dialoguiste. Il débute grâce à André Hunebelle, pour qui il écrit une série de films à succès, Mission à Tanger (1949), Méfiez-vous des blondes (1950), Massacre en dentelles (1951), sortes de comédies policières au ton assez neuf, dont le personnage principal, le journaliste Georges Masse, était incarné par Raymond Rouleau, acteur plein d’abattage. C’est le début d’une brillante carrière qui compte, à ce jour, plus de cent films à son actif.

Au service de Gabin

Un premier virage important est pris en 1955, avec Gas-Oil de Gilles Grangier, qui marque la rencontre d’Audiard avec Jean Gabin, dont il devient le scénariste-dialoguiste attitré. Il en résulte une série de grands succès, parmi lesquels Maigret tend un piège (1957), Les Grandes Familles (1958), Maigret et l’affaire Saint-Fiacre (1959), Le Baron de l’écluse (1960), Le Président (1961), Le Cave se rebiffe (1961), Un Singe en hiver (1962), Mélodie en sous-sol (1963), Le Pacha (1967), et plusieurs autres, plus ou moins réussis. Cette collaboration privilégiée reposait sur une entente véritable entre l’acteur et le dialoguiste. Celui-ci s’en est expliqué dans un entretien avec la revue Cinématographe : « On dit que je faisais parler Gabin ; ce n’est pas vrai, Gabin avait un merveilleux langage dans la vie. Quand on a parlé plusieurs fois avec un acteur, on sent bien la tournure de son langage, son tempo, ses silences le cas échéant… » Pour avoir bien senti la tournure du Gabin deuxième manière, Audiard, même s’il s’en défend, a su le faire parler mieux que personne. Ainsi lancé, il ne se consacre pas au seul Gabin, et, avec d’autres, connaît également de grands succès comme Babette s’en-va-t-en guerre (1959), Un Taxi pour Tobrouk (1960) ou Les Tontons flingueurs (1963).

Derrière la caméra

En 1968, Audiard se laisse tenter par la mise en scène et entreprend une nouvelle carrière qui va durer six ans. Celle-ci commence par un grand succès, Faut pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages, qui va d’ailleurs lancer la mode des titres interminables. Mais la suite sera nettement moins brillante même si Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas… mais elle cause (1970) est conduit, avec le concours d’Annie Girardot, à un succès commercial très satisfaisant. Avec le recul, Audiard lui-même juge ses propres réalisations avec sévérité. Voici en quels termes, dans Cinématographe encore : « Un malentendu. Je n’ai réalisé qu’un seul film que je voulais faire, le premier. Mais dans ce métier absurde, on vous colle des étiquettes, il a fallu que je continue et je me suis retrouvé en train de tourner Une Veuve en or (1969), qui n’était pas du tout. mon genre. Alors, j’ai arrêté net. Je ne suis pas un metteur en scène ; à la rigueur, je peux mettre en images un truc à moi. Les Canards sauvages, sans porter de jugement, c’était ma façon de voir, et il n’y avait que moi qui pouvais le tourner. Et Le Cri du cormoran (1970), bien que je me sois planté. Les autres, c’étaient des commandes imbéciles. » Cette lucidité fait honneur à Audiard, et on ne voit pas qu’il y ait lieu de s’élever contre elle. De même son film de montage, Vive la France ! (1973), malgré des morceaux d’une verve anarchiste de droite assez réjouissante, n’était-il pas à la hauteur des espérances qu’il faisait naître.

Gouaille et… sobriété

En 1975, Audiard revint au scénario et n’eut aucune peine à retrouver la place de premier plan qu’il occupait avant cette incursion dans la mise en scène. Les producteurs reprirent aussitôt l’habitude de faire appel à lui, pour être le fournisseur des valeurs sûres de l’industrie cinématographique française, Philippe de Broca, Georges Lautner ou Yves Boisset. Gabin ayant disparu, il se mit à faire parler ceux qui étaient plus ou moins ses successeurs, Belmondo et Delon, avec semble-t-il une certaine prédilection pour le premier : L’Incorrigible (1976), Flic ou voyou (1977), Le Guignolo (1980), Le Professionnel (1981). Et pourtant, une réussite comme Mort d’un pourri (1977) de Georges Lautner, écrit pour Delon, se situait à un niveau supérieur, ne serait-ce que « par le regard jeté sans complaisance sur les mœurs politiques de la Ve République » (Jean Tulard). De même, Espion, lève-toi (1981) d’Yves Boisset, où Lino Ventura et Michel Piccoli se distinguaient dans des personnages classiques, parvenait-il, pour une bonne part, grâce à Audiard, à renouveler le film d’espionnage.

C’est pourtant avec Garde à vue (1981), réalisé par un des plus talentueux . Jeunes cinéastes français, Claude Miller, qu’Audiard devait signer peut-être son meilleur dialogue. Une fois de plus, il s’agit d’un rôle écrit sur mesure pour un acteur familier d’Audiard, Michel Serrault, en l’occurrence, qui y trouve l’occasion d’une de ses plus fortes compositions. Dans le rôle d’un notable suspecté de meurtre, Audiard lui fournit le prétexte à utiliser un registre dramatique très riche, qui en fait l’égal de Raimu. Cette rencontre Audiard-Miller-Serrault devait se reproduire avec autant de bonheur (sinon de succès commercial) dans Mortelle Randonnée (1983), moins soumis aux contraintes du réalisme mais d’un brio peut-être encore supérieur.

Michel Audiard, Jean-Paul Belmondo et Georges Lautner fêtent le millionième spectateur de « Flic ou voyou », le 18 septembre 1979. © Visual Press Agency

Il ne fait aucun doute que tout en restant lui-même, Audiard a su épurer sa manière et affiner son style. Il tend aujourd’hui vers plus de sobriété, voire de rigueur, que lorsqu’il faisait « du Gabin » sur mesure pour Verneuil ou La Patellière. Les facilités qu’on pouvait lui reprocher à juste titre, une verve un peu veule qui ne se contrôlait pas toujours, s’effacent au profit de ce qui fait le meilleur  d’Audiard, un mélange de gouaille parfois presque célinienne (encore qu’il se défende de beaucoup employer l’argot) et un sens de l’observation sociale capable de pousser loin et profond, joints à l’art de typer des personnages. En un mot, de ces qualités qui sont indispensables pour faire un grand dialoguiste, titre auquel Audiard a droit, incontestablement.




Michel Audiard, collabo impénitent
Le 17 mars 1947, Michel Audiard, futur cinéaste, est convoqué au commissariat du parc Montsouris par la Cour de justice de la Seine pour une fiche d’adhésion au groupe Collaboration datant de 1942. Audiard nie toute implication, affirmant avoir été inscrit à son insu, et n’est pas inquiété faute de preuves. En 1944, il est interrogé lors de l’arrestation de Robert Courtine, collaborateur notoire, mais est relâché après une nuit en garde à vue. Les activités d’Audiard sous l’Occupation, marquées par des écrits antisémites dans la presse collaborationniste, sont peu documentées. Il a notamment publié des récits haineux dans L’Appel et L’Union française, et a défendu l’œuvre de Louis-Ferdinand Céline. Après-guerre, Audiard critique les films sur la Résistance et loue Les Dieux du stade de Leni Riefenstahl.


LE SANG À LA TÊTE – Gilles Grangier (1956)
Drame conjugal sur fond de lutte des classes, le film de Gilles Grangier contribue au renouvellement du registre de Gabin, deux ans après le succès de Touchez pas au grisbi. Adapté du roman magistral de Georges Simenon « Le Fils Cardinaud », il livre un portrait sans concession d’une certaine bourgeoisie de province.

LE ROUGE EST MIS – Gilles Grangier (1957)
Sous la couverture du paisible garagiste Louis Bertain (Gabin) se cache « Louis le blond », roi du hold-up flanqué en permanence de Pépito le gitan, Raymond le matelot et Fredo le rabatteur. Un jour, ce dernier « lâche le morceau » à la police ce qui laisse planer le doute sur la trahison de Pierre, le frère du patron. Dès lors, tout s’emballe jusqu’au mortel affrontement avec Pépito. Comme au temps d’avant-guerre, Gabin meurt une fois encore une fois dans cette « série noire » au final tragique.

LE DÉSORDRE ET LA NUIT – Gilles Grangier (1958)
Sorti en mai 1958, ce film de Gilles Grangier met en scène un inspecteur de police qui, pour avoir du flair, n’en est pas moins très éloigné de la rigueur d’un Maigret. L’occasion pour Gabin d’une composition inédite, face à deux actrices d’exception. Tout est osé pour l’époque dans ce polar dur et tendre qui s’ouvre sur le visage en sueur d’un batteur de jazz noir dont le solo enflamme un cabaret du 8e arrondissement.

LE BARON DE L’ÉCLUSE – Jean Delannoy (1960)
Jean Gabin, après avoir tourné avec des actrices renommées, rêve de collaborer avec Micheline Presle dans ce film proposé par Jean Delannoy. Ce film léger, adapté d’un roman de Simenon, reforme le trio gagnant du premier Maigret : Gabin, Delannoy et Audiard. Gabin doit changer de registre pour un rôle plus tendre et doux-amer. Gabin joue Jérôme-Napoléon Antoine, un baron désargenté et mythomane qui, après avoir gagné le yacht Antarès au jeu, décide de profiter de la vie. Coincé à une écluse champenoise avec la charmante Perle, il va découvrir le monde des mariniers.

LE CAVE SE REBIFFE – Gilles Grangier (1961)
En 1960, Jean Gabin est au sommet de sa popularité. C’est la star du cinéma français. Depuis Gas-oil (1955), Michel Audiard lui peaufine des dialogues gouleyants, truffés de répliques qui tuent, de saillies imparables : les interrogatoires serrés de l’inspecteur Maigret, les enguelades mythiques du Président, les invectives d’Archimède. Le Cave se rebiffe est leur douzième collaboration.


LE CINÉMA DES ANNÉES « POMPIDOU
A l’instar des institutions et des mentalités, le cinéma français n’a pas échappé à l’influence de Mai 68. Les années qui suivirent ce printemps historique furent, dans ce domaine, celles d’une irrésistible évolution vers la permissivité.




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