Le Film français

LE SANG À LA TÊTE – Gilles Grangier (1956)

Drame conjugal sur fond de lutte des classes, le film de Gilles Grangier contribue au renouvellement du registre de Gabin, deux ans après le succès de Touchez pas au grisbi. Adapté du roman magistral de Georges Simenon « Le Fils Cardinaud », il livre un portrait sans concession d’une certaine bourgeoisie de province.

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LE SANG À LA TÊTE – Gilles Grangier (1956) avec Jean Gabin, Renée Faure, Paul Frankeur, Monique Mélinand, Claude Sylvain, Henri Crémieux, Georgette Anys et José Quaglio

Il est toujours surprenant de constater comme un acteur peut se voir réduit à un certain type de rôles. Concernant le héros du Sang à la tête, il y aurait ainsi un Gabin d’avant-guerre abonné aux personnages de rebelles (La Bandera, Quai des Brumes, La Grande illusion… ). Puis, à partir des années 50, un dur à cuire inexorable, qu’il soit truand (Touchez pas au grisbi), policier (Maigret) ou capitaine d’industrie (Les Grandes familles).

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LE SANG À LA TÊTE – Gilles Grangier (1956) avec Jean Gabin, Renée Faure, Paul Frankeur, Monique Mélinand, Claude Sylvain, Henri Crémieux, Georgette Anys et José Quaglio

Pourtant, si l’on considère ne serait-ce que les films de Gabin sortis en 1956, on constate à quel point sa palette était bien plus diversifiée. Sous la direction de Julien Duvivier, l’acteur commence par explorer le film noir avec Voici le temps des assassins, dans lequel il incarne le patron d’un restaurant parisien à la mode. Le Sang à la tête lui donne ensuite l’occasion de se couler dans la peau d’un armateur de La Rochelle, avant que Claude Autant-Lara ne s’amuse à casser l’image positive du comédien dans La Traversée de Paris : peintre qu’on qualifierait aujourd’hui d' »anar de droite », Grandgil passe une partie du film à se répandre en ignominies, sur la nature humaine. Si le commissaire qu’incarne ensuite Gabin dans Crime et châtiment correspond davantage à ce que le public attend de lui, il n’en ira pas de même du médecin progressiste dépeint par Jean-Paul Le Chanois dans Le Cas du Docteur Laurent, film que l’acteur tourne à la fin de 1956. Mais une telle diversité ne peut sans doute résister au passage du temps, et ce sont les rôles les plus marquants de Gabin qu’ont aujourd’hui en tête les cinéphiles… [Collection Gabin – Eric Quéméré – mars 2006]

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LE SANG À LA TÊTE – Gilles Grangier (1956) avec Jean Gabin, Renée Faure, Paul Frankeur, Monique Mélinand, Claude Sylvain, Henri Crémieux, Georgette Anys et José Quaglio

François Cardinaud est l’un des notables les plus influents de La Rochelle. Armateur, il règne en maître absolu sur le port, où son intransigeance lui vaut de nombreuses inimitiés. Mais en ce dimanche matin, c’est un problème d’ordre domestique qui le préoccupe : alors que toute la famille doit se rendre à la messe, Marthe, son épouse, reste introuvable. Une absence qui a peut-être à voir avec l’apparition dans le port d’un cargo venu d’Afrique…

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Après La Marie du port et La Vérité sur Bébé Donge, Le Sang à la tête offre à Gabin une troisième incursion dans l’univers de Georges Simenon, cet écrivain qu’il apprécie tant. C’est également l’occasion pour l’acteur d’élargir encore un peu sa palette de personnages, en incarnant un « self-made man » qu’une indéniable réussite sociale n’a pas rendu plus heureux. Considéré comme un parvenu par ceux qui l’ont connu simple docker, François Cardinaud est tiraillé entre deux mondes, problématique à laquelle Gabin ne s’était pas encore réellement frotté. [Collection Gabin – Eric Quéméré – mars 2006]

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LE SANG À LA TÊTE – Gilles Grangier (1956) avec Jean Gabin, Renée Faure, Paul Frankeur, Monique Mélinand, Claude Sylvain, Henri Crémieux, Georgette Anys et José Quaglio

L’ambition sociale, confinant parfois à l’arrivisme, ne concerne d’ailleurs pas seulement son personnage, mais la plupart de ceux qui l’entourent : la gouvernante Mademoiselle, qui rêve d’un mariage d’argent ; les parents de Marthe, qui n’hésitent pas à mettre à contribution leur gendre ; et plus généralement, tous ceux qui, à La Rochelle, envient l’aisance de Cardinaud. Seule Marthe semble aspirer à autre chose que l’aisance matérielle – mais cette chose, son mari ne semble pas pouvoir la lui offrir…

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LE SANG À LA TÊTE – Gilles Grangier (1956) avec Jean Gabin, Renée Faure, Paul Frankeur, Monique Mélinand, Claude Sylvain, Henri Crémieux, Georgette Anys et José Quaglio

Le tournage du Sang à la tête débute le 15 février 1956, pour s’achever deux mois plus tard. Si les intérieurs sont filmés en studios à Paris, la plupart des extérieurs sont réellement tournés à La Rochelle. La présence sur le port d’une célébrité comme Jean Gabin fait évidemment sensation, mais grâce à la simplicité de l’acteur, qui s’est toujours refusé à jouer les stars, les rapports entre l’équipe et la population s’avèrent excellents. L’acteur, grand amoureux de la mer, apprécie de découvrir l’activité des quais, et de plaisanter avec les pêcheurs et les poissonniers. [Collection Gabin – Eric Quéméré – mars 2006]

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Nature à la ville comme à l’écran, droit dans ses bottes, l’acteur achève le film en toute sérénité, en compagnie d’une équipe ad hoc, dont l’assistant-réalisateur Jacques Deray qui fait aussi de la figuration – il campe Alfred le conducteur de car. Au contact du grand comédien, le futur réalisateur de Borsalino, en élève appliqué, prend de sérieuses leçons de cinéma : « C’était un seigneur, confie-t-il. Chaleureux mais pas très causant sur un plateau, il tirait son fauteuil à l’écart. Surtout pas de siège à côté de lui pour que personne ne vienne « l’emmerder ». Il était seul, et il regardait. On pensait qu’il était un peu indifférent à tout ce qui se passait autour de lui mais ce n’était pas vrai : il avait un œil, il observait. » Car les règles du cinéma français sont strictes, les horaires de travail coulés dans le bronze, de douze à dix-huit heures voire dix-neuf heures, six jours sur sept ; depuis longtemps rompu à ce rythme, Gabin n’a jamais failli : chaque jour, il débarque sur le plateau à midi « tête faite » c’est-à-dire maquillé et, selon sa propre expression « texte su » ! Quand ça ne tourne pas rond, il se met en colère, raison sans doute pour laquelle sur ce film, Grangier doit changer à quatre reprises de chef opérateur ; le premier, un Anglais, tombe malade, le second ne reste que huit jours, le troisième ne tient guère plus, c’est le quatrième qui achèvera le film.  [Jean Gabin inconnu – Jean-Jacques Jelot-Bkanc – Ed. Flammarion (2014)]

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LE SANG À LA TÊTE – Gilles Grangier (1956) avec Jean Gabin, Renée Faure, Paul Frankeur, Monique Mélinand, Claude Sylvain, Henri Crémieux, Georgette Anys et José Quaglio

Sur le plateau, Gabin prend également plaisir à donner la réplique à Renée Faure qui, dans le rôle de Mademoiselle, partage avec lui plusieurs scènes importantes. Après cette première collaboration réussie, les deux acteurs se retrouveront d’ailleurs pour deux autres films, Rue des prairies et Le Président. Après quelques semaines de montage Le sang à la tête sort à Paris le 10 août 1956. Si les résultats en salles ne seront pas comparables à ceux des grands succès connus par Gabin au cours des années 50, ils s’avèreront tout à fait honorables pour un film qui prend le risque de montrer l’acteur sous un jour moins glorieux que dans Touchez pas au grisbi ou French Cancan[Collection Gabin – Eric Quéméré – mars 2006]

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LE SANG À LA TÊTE – Gilles Grangier (1956) avec Jean Gabin, Renée Faure, Paul Frankeur, Monique Mélinand, Claude Sylvain, Henri Crémieux, Georgette Anys et José Quaglio

L’histoire

Ancien débardeur, François Cardinaud (Jean Gabin) est devenu, après trente ans de travail acharné, un armateur important de La Rochelle. Il a sauvé de la ruine Hubert (Henri Crémieux) et Charles Mandine (Léonce Corne), devenus ses associés. Ce dimanche-là, un cargo, L’Aquitaine, ramène Mimile Babin (José Quaglio), un garçon du pays qui n’a pas réussi à faire fortune en Afrique. Mimile retrouve sa sœur, Raymonde (Claude Sylvain), serveuse dans un café, et sa mère, Titine (Georgette Anys), marchande de poissons à la criée. Chez lui, Cardinaud attend que sa femme, Marthe (Monique Mélinand), revienne de la messe. Mais Marthe n’est toujours pas rentrée à l’heure du déjeuner. Inquiet, Cardinaud se rend chez ses beaux-parents, qui végètent dans un quartier pauvre de la ville. Ils ne peuvent le renseigner. Cardinaud va alors chez ses parents, des artisans vanniers, qui ne sont pas habitués à ses visites. Là non plus, aucune trace de Marthe. En ville, on murmure qu’elle a quitté le domicile conjugal pour de bon. La gouvernante des enfants, mademoiselle (Renée Faure), se voit déjà la nouvelle maîtresse de maison.

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LE SANG À LA TÊTE – Gilles Grangier (1956) avec Jean Gabin, Renée Faure, Paul Frankeur, Monique Mélinand, Claude Sylvain, Henri Crémieux, Georgette Anys et José Quaglio

Deux jours plus tard, en l’absence de son mari, Marthe repasse chez elle, le temps de prendre une valise. Le soir, sur le port, Drouin (Paul Frankeur), capitaine de L’Aquitaine, apprend à Cardinaud que sa femme est partie avec Mimile Babin, son ancien amoureux. La ville est au courant, mais fait bloc contre l’armateur qu’on déteste à cause de sa réussite. Cardinaud arrache quelques renseignements à Raymonde et s’en prend publiquement à Titine Babin. Il retrouve la trace des amants dans un hôtel, mais arrive trop tard. De retour chez lui, Cardinaud y trouve son père, qui a reçu une lettre de Marthe expliquant qu’elle est mal à l’aise dans ce milieu de nouveaux riches. Se sentant délaissée par son mari, elle a besoin de renouer avec sa jeunesse. Cardinaud fait retirer sa licence à Titine Babin pour l’obliger à dire où est son fils. Il est dans l’île de Ré. Cardinaud prend le bac, mais il est suivi par Drouin, enragé contre Mimile qui l’a dénoncé à la douane. Les deux hommes en viennent aux mains, et Cardinaud assomme Drouin. Il arrive à l’auberge et y trouve Mimile, seul. Marthe est partie prendre le bac pour rentrer chez elle. Cardinaud réussit à la rejoindre et, sans un mot de reproche, revient avec elle à La Rochelle.

Les extraits
Fiche technique du film

 

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