Les Actrices et Acteurs

L’ÉLÉGANT PIERRE FRESNAY

Acteur à la diction parfaite et au jeu mesuré, Pierre Fresnay incarnera trente ans durant un certain idéal masculin, devant la caméra de cinéastes comme Abel Gance, Jean Renoir ou Henri-Georges Clouzot. Retour sur un parcours exemplaire.

Le choix d’un nom de scène n’est pas chose aisée : né en 1897 sous le nom de Pierre Laudenbach, le comédien fait ses débuts sous celui de Vernet, avant d’adopter finalement celui de Fresnay. Fils d’enseignant, le jeune homme a hérité d’un oncle comédien le goût du spectacle. Encore adolescent, il fait ses premiers pas sur scène, et entre au Conservatoire à 17 ans. Son talent lui vaut d’être bientôt admis à la Comédie Française, mais il doit partir à la guerre en 1917. De retour après l’armistice, Pierre Fresnay retrouve sa place au sein de l’illustre maison, où il va pendant dix ans se frotter à tous les grands rôles. En revanche, le cinéma, où il apparaît de loin en loin depuis 1915, le laissera longtemps insatisfait. Il lui faut attendre de jouer en 1931 le rôle-titre de Marius, dans l’adaptation de la pièce de Marcel Pagnol, pour devenir enfin une « vedette de l’écran ». Car l’énorme succès du film donnera lieu à deux suites, Fanny et César, dans lesquelles il reprendra son personnage de beau ténébreux, face à Raimu et Orane Demazis.

Pierre Fresnay devient donc au début des années 1930 un comédien fort demandé : il enchaîne des films sous la direction de réalisateurs aussi importants qu’Abel Gance (Le Roman d’un jeune homme pauvre), Georg Wilhelm Pabst (Salonique, nid d’espions), Marc Allégret (Sous les yeux d’Occident) et même Alfred Hitchcock (pour la première version de L’Homme qui en savait trop). Mais tous ces rôles se verront éclipsés par la prestation magnifique qu’il livre en 1937 dans La Grande illusion – aujourd’hui encore, Pierre Fresnay reste pour bon nombre de cinéphiles le capitaine de Boeldieu, dernier représentant d’une aristocratie destinée à disparaître… Après ce coup d’éclat, l’acteur signe en 1939 son unique réalisation, Le Duel, un film qu’il interprète aux côtés de son épouse Yvonne Printemps, et dont le scénario est écrit par Henri-Georges Clouzot. Passant à la mise en scène, ce dernier ne va d’ailleurs pas tarder à donner une tout autre image de Fresnay dans ses deux premiers longs métrages : l’acteur incarne en effet l’intraitable inspecteur Wens dans L’Assassin habite au 21, puis le Docteur Germain dans Le Corbeau, deux personnages révélant une facette plus sombre de son talent.

Pierre Fresnay doit répondre de ses films tournés pour la Continental (Le Dernier des six, La Main du diable, les deux films de Clouzot, la voix du narrateur dans Les Inconnus dans la maison) et de sa présidence à la tête du Syndicat des Acteurs, le seul organisme reconnu par les autorités à la fois françaises et allemandes. Il passe six semaines en prison avant de reprendre le chemin des théâtres. Dès 1945, il retourne en studio pour La Fille du diable d’Henri Decoin, victime lui aussi des comités d’épuration. Dès le premier jour, les prises de vues sont interrompues par une délégation de résistants de la profession venue lire la liste des morts de la Résistance du spectacle. Par la suite, Fresnay et Clouzot, ne travailleront plus jamais ensemble. « J’aimais beaucoup Clouzot, reconnaîtra pourtant le comédien. Son intelligence était une intelligence dont j’appréciais le caractère. Il avait le caractère de son état morbide. Il avait un pneumothorax. Il allait se le faire regonfler périodiquement, ce qui est quelque chose d’important dans l’équilibre d’un tempérament. J’appréciais les dons de Clouzot parce qu’ils étaient très contraires aux miens : il était méchant. Il n’a jamais été méchant avec moi. Mais enfin… il y a eu une rupture brutale avec Yvonne Printemps, bêtement… Il n’a pas supporté la franchise drôle d’Yvonne Printemps, alors qu’il acceptait très bien son propre caractère mordant à lui, et qui n’était pas dans la drôlerie, qui était dans la dureté. » Une amitié se termine.

Après-guerre, Fresnay aura malheureusement du mal à retrouver des rôles d’une telle envergure. En 1947, il se voit tout de même décerner le Prix d’interprétation à Venise pour Monsieur Vincent, film dans lequel il incarne Saint Vincent de Paul. Dans le registre des « grands hommes », il jouera également Jacques Offenbach dans La Valse de Paris, fantaisie pour laquelle il retrouve Yvonne Printemps, avant d’interpréter le célèbre Prix Nobel de la Paix dans Il est minuitf docteur Schweitzer. Mais les années 1950 ne lui apporteront guère de rôles gratifiants, et la composition la plus marquante de cette seconde période restera celle livrée en 1960 dans Les Vieux de la vieille : en compagnie de ses comparses Jean Gabin et Noël-Noël, Pierre Fresnay y casse allègrement son image d’homme sérieux et raffiné en jouant les insupportables retraités. Après quoi, l’acteur préfèrera se consacrer au théâtre, domaine où son flegme et sa distinction lui assureront un succès jamais démenti, jusqu’à sa mort en 1975.


LA GRANDE ILLUSION – Jean Renoir (1937)
« La Grande Illusion, écrivait François Truffaut, est construit sur l’idée que le monde se divise horizontalement, par affinités, et non verticalement, par frontières. » De là l’étrange relation du film au pacifisme : la guerre abat les frontières de classe. Il y a donc des guerres utiles, comme les guerres révolutionnaires, qui servent à abolir les privilèges et à faire avancer la société. En revanche, suggère Renoir, dès que les officiers, qui n’ont d’autre destin que de mourir aux combats, auront disparu, alors les guerres pourront être abolies : c’est le sens de la seconde partie, plus noire, qui culmine dans les scènes finales entre Jean Gabin et Dita Parlo, à la fois simples et émouvantes.

L’ASSASSIN HABITE AU 21 – Henri-Georges Clouzot (1942)
Paris est sous la menace d’un assassin qui laisse une ironique signature : Monsieur Durand. L’inspecteur Wens découvre que le coupable se cache parmi les clients de la pension Mimosas, au 21, avenue Junot… Un plateau de jeu (la pension), quel­ques pions colorés (ses habitants), et la partie de Cluedo peut commencer. 

LE CORBEAU – Henri Georges Clouzot (1943)
Il pleut des lettres anonymes sur Saint-Robin, « un petit village ici ou ailleurs », et, comme l’annonce le narquois Dr Vorzet : « Quand ces saloperies se déclarent, on ne sait pas où elles s’arrêtent… » Tourné en 1943 à la Continental, dirigée par l’occupant allemand, ce deuxième film de Clouzot fut honni de tous.


LES RISQUES DE L’OCCUPATION
En continuant à tourner dans la France occupée, les cinéastes s’exposaient à des risques divers : encourir les foudres de la censure national-socialiste, ou au contraire se voir accusés de « collaboration ».


Photo de tournage – The Man Who Knew Too Much – Alfred Hitchcock (1934)

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