En continuant à tourner dans la France occupée, les cinéastes s’exposaient à des risques divers : encourir les foudres de la censure national-socialiste, ou au contraire se voir accusés de « collaboration ».

Pendant les quatre années d’occupation allemande, le cinéma français est parvenu à se maintenir à un brillant niveau, tant en ce qui concerne le nombre des productions (220 longs métrages) que la qualité des œuvres. Mais si les cinéastes – et même ceux qui dépendaient financièrement des firmes allemandes – n’ont jamais contribué à la propagande national-socialiste, ni même soutenu ouvertement la politique de collaboration prônée par certains Français, ils n’en étaient pas moins soumis au contrôle rigoureux de la censure.

D’autre part les juifs, qui avaient joué un rôle considérable à tous les échelons de l’industrie cinématographique (en particulier comme producteurs, metteurs en scène, décorateurs, musiciens) se virent presque tous interdire le droit d’exercer leur profession. Toutefois, certains d’entre eux, bénéficiant d’amicales – et courageuses – complicités, parvinrent, malgré les lois, à travailler sous la couverture d’un pseudonyme, généralement dans des conditions périlleuses (et en changeant souvent de domicile) ; ainsi Jean-Paul Le Chanois, écrivant et signant pour la Continental les scénarios de La Main du diable, Picpus et Cécile est morte.

La censure opérait alors à deux niveaux. D’une part, le Conseil de contrôle, qui dépendait de Vichy (il fut présidé un temps par Paul Morand). Constitué de représentants des divers ministères (Famille, Intérieur, etc.), il favorisait bien évidemment les films exaltant les saines et rédemptrices vertus morales de la révolution nationale (vie au grand air, retour à la terre, sport… ). D’autre part, les censeurs allemands avaient pour mission d’écarter tout sujet hostile au IIIe Reich.

Au lendemain de la Libération, de nombreux artistes, et non des moindres, furent accusés de collaboration, et parfois pour des raisons qui apparaissent aujourd’hui bien peu évidentes. Le Corbeau fut ainsi interdit par la censure militaire et Clouzot et Louis Chavance (réalisateur et scénariste) furent « interdits » de cinéma jusqu’en 1947.

De même L’Éternel Retour (1943), de Jean Delannoy et Jean Cocteau, – suscita après la guerre de vives polémiques de la part des journalistes anglais. A cette moderne version de Tristan et Iseut, ils trouvaient de suspects relents wagnériens (oubliant sans doute qu’il s’agissait également d’une vieille légende celtique). Le Daily Express considéra L’Eternel Retour comme un film d’inspiration nazie, « imprégné d’un culte mystique de la mort ». Circonstance aggravante, le héros (Jean Marais) était blond et fâcheusement aryen. Le Daily Mail, à son tour, accusait le film de véhiculer toute une mythologie germanique. Et le Daily Telegraph concluait : « Il est regrettable que Cocteau et ses collaborateurs aient marqué leur œuvre d’une idéologie teutonique aussi voyante qu’une croix gammée… »
Après la fin de la guerre, la plupart des artistes qui avaient travaillé pour la Continental furent « épurés » et se virent interdire l’accès aux Studios pendant un temps plus ou moins long. S’agissait-Il, comme l’a prétendu le scénariste Michel Duran, d’un « classique règlement de comptes » où entraient pour une bonne part la rancune et la jalousie de ceux qui n’étaient pas parvenus à travailler pendant cette période difficile ? Il semble d’ailleurs que la production de la Continental n’ait pas été plus « orientée » politiquement que celle des autres firmes.

Il s’agissait en vérité d’un problème de conscience personnelle. Et la collaboration avec l’occupant se manifesta de plusieurs façons et à des degrés divers. Très peu d’artistes coopérèrent activement avec les Allemands ; d’autres, pour réaliser des projets personnels, acceptèrent le financement de firmes comme la Continental ; d’autres s’abstinrent, préférant le silence… Mais la plupart des auteurs continuèrent à travailler en ignorant complètement les Allemands.

Parmi les collaborateurs les plus notoires, seul Jean Mamy, réalisateur du documentaire antimaçonnique, Forces occultes, fut fusillé ; encore était-ce plutôt pour son activité de journaliste. Pierre Guerlais, producteur du Mariage de Chiffon et de Douce, préféra se suicider. Pierre Caron et les comédiens Robert Le Vigan et Maurice Rémy choisirent l’exil définitif en Amérique du Sud. Les comédiennes Mireille Balin, Corinne Luchaire, Josseline Gaël virent leur carrière brisée. Mais d’autres « épurés » illustres, comme Clouzot, Decoin, Pierre Fresnay, Arletty, Albert Préjean, etc., retrouvèrent leur place au bout de quelques années, voire de quelques mois. Sacha Guitry fut sans doute celui qui en conserva le plus d’amertume, et ses films d’après-guerre, comme Le Diable boiteux (1948), en portent la marque, Mais les chefs-d’œuvre de l’époque demeureront, bien après que les collaborateurs auront été oubliés. [La grande histoire illustrée du 7ème art – Editions Atlas – 1982]


LE CINÉMA FRANÇAIS SOUS L’OCCUPATION
Dès 1940, les Allemands entendent contrôler l’industrie cinématographique de la France occupée, et, surtout, favoriser l’exploitation de leurs propres films. Le cinéma français connaîtra pourtant une exceptionnelle vitalité. En juin 1940, après les quelques semaines de combats qui suivirent ce que l’on a appelé « la drôle de guerre », les Allemands occupent Paris, Le gouvernement du maréchal Pétain s’installe à Vichy, au sud de la Loire, et la France, coupée en deux, peut apparaître désormais comme un élément de l’ »Europe nouvelle » en cours d’édification…

1940-1945 : UN ESSOR SURPRENANT
Sous l’Occupation, le cinéma français, qui connait un surprenant essor, recueille quelques-uns de ses plus grands triomphes, et voit apparaitre une nouvelle génération d’auteurs de talent.

LE CINÉMA FRANÇAIS DE L’APRÈS-GUERRE
Tout de suite après la guerre, le cinéma français sembla revenir à ses thèmes traditionnels. Mais de nouveaux auteurs et de nouveaux ferments laissaient déjà présager le changement décisif qui allait intervenir.
Catégories :Histoire du cinéma