Avec le triomphe de la société de consommation les années 50 sont marquées par une âpre compétition pour la réussite individuelle. En célébrant le rêve américain, Hollywood en offre parfois un reflet amer et désenchanté….

Lana Turner et John Gavin dans Imitation of Life (Mirage de la vie, 1959) de Douglas Sirk, un des plus grands succès commerciaux de l’Universal. Produit typique du Hollywood des années 50 qui s’interroge sur le mythe de la réussite sociale et en dévoile doute la cruauté.
Le rêve américain des années 50 est celui de la promotion sociale et de la réussite matérielle. Les signes extérieurs de richesse et le standing deviennent les nouveaux dogmes de l’ère de l’opulence. Dans cette course effrénée pour conquérir une place au soleil des nouveaux quartiers résidentiels, la solidarité communautaire s’efface derrière l’individualisme le plus sauvage, sans que le sentiment national perde pour autant de sa force, l’individualisme étant une composante essentielle de l’américanisme, une valeur sacrée garantie par la constitution.

Willy Loman (incarné par Fredric March) alors qu’il vient de payer les faveurs d’une femme avec des bas Nylon dans Death of a Salesman Mort d’un commis voyageur 1951) de Laszlo Benedek, adaptation à l’écran de la célèbre pièce d’Arthur Miller.
La plupart des adultes avaient été durement marqués par la grande dépression des années 30 et le pays sortait à peine d’une crise économique sans précédent lorsque toutes ses forces vitales furent mobilisées dans la lutte contre les puissances de l’Axe. Pendant vingt ans, les Américains ont sacrifié le « moi » au « nous » ; l’ère Eisenhower sera celle du bonheur individuel, conditionné par les produits d’une technologie triomphante. Les paradis publicitaires de la société marchande sont à la portée de chacun et que le meilleur gagne. Les citoyens sont désormais des consommateurs. [La grande histoire illustrée du 7ème art – Editions Atlas – 1982]

Richard Conte et Susan Hayward dans la biographie cinématographique de l’actrice Lillian Roth, I’ll Cry Tomorrow (Une femme en enfer, 1955), réalisée par Daniel Mann.
Standing et conformisme
A la mobilité dans l’échelle sociale correspond celle des habitats. Les centres urbains asphyxiés sont de plus en plus réservés aux activités professionnelles, tandis que commence une longue migration vers les campagnes et les banlieues résidentielles. Les métropoles jadis florissantes, qui avaient servi de cadre aux rutilantes fantaisies cinématographiques des années 20 et 30, sont livrées à la dégradation. Pendant ce temps l’Américain moyen, dans son pimpant pavillon, arbore les signes extérieurs de la réussite sociale et évalue le standing de ses voisins.

Andy Griffith et Patricia Neal dans A Face in the Crowd (Un homme dans la foule, 1957) d’Elia Kazan, histoire d’amour orageuse entre une journaliste et un arriviste.
Dans cette course au bonheur matériel, quelques voix discordantes s’élèvent cependant pour dénoncer le conformisme ambiant et le caractère factice d’un mode de vie proposé en modèle au monde entier. John Kenneth Galbraith, qui allait devenir l’un des économistes les plus influents de l’ère Kennedy, jette déjà un regard fort critique sur la nouvelle société de consommation et stigmatise le culte du tout-puissant dollar dans « L’Ère de l’opulence » (« The Affluent Society »). Mais cet ouvrage prophétique ne rencontrera guère d’écho au cœur même du pays. Pour l’Américain moyen, « l’homme au complet de flanelle grise », plus préoccupé des mauvaises herbes qui envahissent sa pelouse que de sonder la mentalité collective, Galbraith et ses semblables sont à ranger dans le clan des « intellectuels de la côte est ». Ceux-là mêmes dont le sénateur McCarthy dénonce chaque jour les opinions progressistes et les sentiments anti-américains. Ceux qui font, consciemment ou non, le jeu de la propagande communiste en critiquant le mode de vie américain.

Barbara Stanwyck et Frederic March dans Executive Suite (La Tour des ambitieux, 1954) de Robert Wise
Les milieux politiques et les médias entretiennent bien sûr complaisamment, aidés en cela par les publicitaires, le culte du standing et de la promotion sociale, qui contribue puissamment à l’expansion économique et à l’essor industriel des années 50. Dans une nation riche, l’ascension individuelle devient un phénomène de masse. Mais il est aussi inévitable que la course au succès ait ses perdants, voire ses victimes, Le rêve américain porte en lui-même ses névroses et ses aliénations. Le patriotisme officiel des années 40, avec ses naïvetés et ses clichés, avait au fond une résonance plus authentique que le paradis factice des consommateurs, avec ses pitoyables et tragiques laissés-pour-compte. [La grande histoire illustrée du 7ème art – Editions Atlas – 1982]

Jack Palance et Ida Lupino dans The Big Knife (Le Grand couteau, 1955) de Robert Aldrich, d’après la pièce, du même nom, de Clifford Odets.
De l’arrivisme au cynisme
Miroir grossissant du rêve américain, Hollywood en révèle aussi les pièges et les ambiguïtés, jetant une lumière crue sur l’envers du décor : l’arrivisme cynique, l’égoïsme féroce et sans scrupule et l’hypocrisie foncière d’une société uniquement préoccupée par sa façade. Une société sur laquelle plane aussi le péril nucléaire et l’ombre menaçante de la guerre froide. Cette inquiétude latente, alliée à la soif frénétique de réussite, qui caractérise les années 50, explique sans doute en partie le cynisme généralisé qui envahit tous les genres cinématographiques. L’optimisme débordant de santé qui faisait sourire les Européens a pris des allures grinçantes.

Kirk Douglas et Jan Sterling dans Ace in the Hole / The Big Carnaval (Le Gouffre aux chimères, 1951) de Billy Wilder.
Il était un temps où le monde des affaires, impitoyable pour les faibles, symbolisait la vitalité d’un pays neuf : le mythe du « self-made man » fait partie de la saga américaine. Mais les metteurs en scène des années 50 mettent désormais l’accent sur la cruauté impitoyable d’une machine dont les rouages bien huilés sont prêts à broyer tout sentiment humain. Même si elles restent sous le couvert de la légalité, les grandes sociétés n’ont rien à envier, quant à leurs méthodes, aux gangs organisés. C’est le sujet d’un remarquable film de Robert Wise, Executive Suit (La Tour des ambitieux, 1954), qui dévoile sans complaisance les affrontements et les manœuvres sordides au sein des conseils d’administration, de même que Patterns of Power (1956) de Fielder Cook.

Frank Sinatra et Kim Novak dans The Man With the Golden Arm (L’Homme au bras d’or) d’Otto Preminger (1955) tiré du roman homonyme de Nelson Algren
Le dénouement faussement optimiste de ces deux films ne peut d’ailleurs tromper personne. L’arrivisme et l’âpreté sont les mots clés de la décennie, et même des œuvres aussi apparemment anodines que I Can Get it for You Sale (Vendeur pour dames, 1951) de Michael Gordon et A Woman’s World (Les femmes mènent le monde, 1954) de Jean Negulesco mettent en lumière l’atmosphère de compétition acharnée et l’inhumanité de la société.

Virginia Mayo et James Cagney dans White Heat (L’enfer est à lui) de Raoul Walsh (1949)
Thème traditionnel du cinéma américain, la peinture de la corruption a notamment donné au film noir toute sa violence subversive et son pouvoir de fascination. Il s’agit néanmoins d’un univers parallèle, que le spectateur n’identifie pas totalement au sien (du fait du climat nocturne et onirique), d’un univers de spécialistes, de professionnels du crime. Dans les films des années 50, au contraire, la corruption s’étale insolemment en plein jour, à peine masquée par la façade de fausse respectabilité. La dégradation morale fait partie du quotidien et c’est cette banalisation même qui rend un son si inquiétant.

Lana Turner, Diane Varsi et Hope Lange dans Peyton Place (Les Plaisirs de l’enfer) de Mark Robson, (1957), adapté du best-seller de Grace Metalious.
Aucune institution américaine n’échappe à ce pourrissement de l’intérieur qui aboutit, dans le meilleur des cas, à l’incompétence grotesque. Le monde du cinéma est cruellement démystifié dans The Bad and the Beautiful (Les Ensorcelés, 1952) de Vincente Minnelli et dans The Big Knife (Le Grand Couteau, 1955) de Robert Aldrich ; celui de la télévision est scruté sans complaisance dans Champagne for Caesar (Quitte ou double, 1950) de Richard Whorf, It’s Always Fair Weather (Beau fixe sur New York, 1955) de Stanley Donen et Gene Kelly et dans A Face in the Crowd (Un homme dans la foule, 1957) d’Elia Kazan ; les méthodes scandaleuses du grand journalisme sont dénoncées avec virulence dans Ace in the Hole / The Big Carnival (Le Gouffre aux chimères, 1951) de Billy Wilder et dans Sweet Smell of Success (Le Grand Chantage, 1957) d’Alexander Mackendrick. Les syndicats eux-mêmes n’échappent pas à la corruption, si l’on en croit l’inquiétant tableau du monde des dockers brossé par Elia Kazan dans On the Waterfront (Sur les quais, 1954). Quant aux gangsters s’ils se situent délibérément en marge de la société, leur code très particulier de l’honneur se désagrège lamentablement dans The Asphalt Jungle (Quand la ville dort, 1950) de John Huston. [La grande histoire illustrée du 7ème art – Editions Atlas – 1982]

Glenn Ford, Gloria Grahame dans The Big Heat (Règlement de comptes) de Fritz Lang (1953).
Le naufrage du code de censure
Une autre institution américaine historique va succomber au cynisme ambiant : ébranlé de toutes parts, le sacro-saint code cinématographique de censure perd son autorité et son prestige. C’est Otto Preminger qui lui donnera le coup de grâce en misant sur des situations et des dialogues particulièrement scabreux pour l’époque dans The Moon Is Blue (La Lune était bleue, 1953), avant d’aborder un sujet tabou entre tous – la drogue – dans The Man With the Golden Arm (L’Homme au bras d’or, 1956). D’autres interdits sont bravés impunément : le viol dans Outrage (1950) d’Ida Lupino, l’érotisme à la fois naïf et pervers de l’adolescence dans Baby Doll (Poupée de chair/Baby DoIl, 1956), l’insatisfaction et la frustration conjugale dans No Down Payment (Les Sensuels, 1957) de Martin Ritt.

HE RAN ALL THE WAY (Menace dans la nuit) réalisé par John Berry (1951) avec John Garfield et Shelley Winters
Comme le code Hays, certains des mythes hollywoodiens les plus typiques volent en éclats, comme minés par la névrose sociale : John Garfield, noble figure de prolétaire révolté des années 40, devient un petit truand minable et traqué dans le remarquable He Ran All the Way (Menaces dans la nuit, 1951) de John Berry. Quant à James Cagney, qui pendant trente ans avait incarné les ennemis publics ou les dynamiques défenseurs de l’ordre, Raoul Walsh lui offre, à la fin des années 40, un rôle prémonitoire et significatif : celui du gangster hystérique et mégalomane de White Heat (L’enfer est à lui, 1949), dont les haines et les frustrations maladives ne trouvent d’exutoire que dans une explosion apocalyptique, sorte d’anéantissement cosmique d’un monde révolu. Les héros types des années 50 sont souvent des êtres paroxystiques, dont les nerfs à vif laissent affleurer l’angoisse : avec son physique inquiétant, Jack Palance incarnera idéalement les violents conflits entre les forces instinctives et les conventions sociales dès sa première apparition à l’écran dans Panic in the Street (Panique dans la rue, 1950), une allégorie policière sur le thème de la peste signée par Elia Kazan.

BABY DOLL réalisé par Elia Kazan (1956) avec Carroll Baker, Karl Malden et Eli Wallach
Le laxisme moral et l’arrivisme cynique des années 50 vont saper en profondeur les structures mentales d’une Amérique que n’avaient pu ébranler ni la Grande Dépression ni la Seconde Guerre mondiale. La poursuite fébrile de satisfactions matérielles éphémères prend des allures de fuite en avant. Cette dissolution des énergies vitales est particulièrement sensible dans les mélodrames de l’époque, où les règles du jeu social sont présentées comme un inéluctable destin tragique. Ce genre voué habituellement aux pires clichés larmoyants, dont l’archétype reste les inénarrables Peyton Place (Plaisirs de l’enfer, 1957) de Mark Robson, réserve ainsi d’agréables surprises lorsqu’il est sublimé par un Douglas Sirk, qui en fait de somptueux opéras au lyrisme baroque : All I Desire (1953), The Magnificent Obsession (Le Secret magnifique, 1954), All That Heaven Allows (Tout ce que le ciel permet, 1955), Written on the Wind (Ecrit sur du vent, 1956), Imitation of Life (Mirage de la vie, 1959).

ON THE WATERFRONT (Sur les quais) d’Elia Kazan (1954) avec Marlon Brando, Karl Malden et Eva Marie Saint. Le film traite de questions sociales et est basé sur une série d’articles de Malcolm Johnson publiés dans le New York Sun à la suite d’une véritable rébellion ayant eu lieu dans les docks de New York quelques années plus tôt.
Meurtries, insatisfaites ou névrosées les héroïnes des mélodrames sont toujours des victimes, comme celles des biographies larmoyantes dont Susan Hayward se fait une spécialité, incarnant la chanteuse Jane Froman, infirme à la suite d’un accident d’avion dans With a Song in my Heart (1952) de Walter Lang, ou la vedette alcoolique Lilian Roth dans l’ll Cry Tomorrow (Une Femme en enfer, 1955) de Daniel Mann. Dans les films policiers, les femmes ne sont guère plus favorisées : ébouillantées, comme Gloria Grahame dans The Big Heat (Règlements de comptes, 1953) de Fritz Lang, ou humiliées et corrompues dans Caged (Femmes en cage, 1950) de John Cromwell, l’un des films les plus saisissants sur les prisons de femmes. [La grande histoire illustrée du 7ème art – Editions Atlas – 1982]

NIAGARA d’Henry Hathaway (1953) avec Marilyn Monroe, Joseph Cotten et Jean Peters
La misogynie d’une société matriarcale
Sans avoir le caractère sadique du film policier, la comédie américaine des années 50 n’en témoigne pas moins d’une féroce misogynie, qui s’exprime par une vulgarité agressive et grinçante. Les symboles sexuels du passé, Louise Brooks, Clara Bow, Jean Harlow, ne manquaient ni de personnalité ni de caractère et les femmes fatales des années 40 dégageaient une aura trouble et fascinante. Durant la décennie suivante, l’érotisme perd son mystère suggestif pour devenir un bien de consommation et le sex-appeal s’évalue en centimètres. La surenchère, dans ce domaine, aboutit à la caricature plus ou moins consciente des mythes hollywoodiens : c’est Jayne Mansfield, à qui ses prodigieuses mensurations mammaires tiennent officiellement lieu de talent, encore qu’elle ait été très habilement utilisée, à des fins parodiques, par Frank Tashlin dans The Girl Can’t Help it (La Blonde et moi, 1956) et Will Success Spoil Rock Hunter ? (La Blonde explosive, 1957). Fascinant des millions de spectateurs par son déhanchement lascif dans Niagara (1953) de Henry Hathaway, Marilyn Monroe devient la même année le symbole d’un nouveau type de dévoreuse d’hommes, à l’avidité ingénue et sans complexe, dans Gentlemen Prefer Blondes (Les Hommes préfèrent les blondes, 1953) de Howard Hawks, et How to Marry a Millionnaire ? (Comment épouser un millionnaire, 1953) de Jean Negulesco. La misogynie explicite du cinéma américain des années 50 apparaît ainsi comme le reflet vengeur d’une société patriarcale, où les partenaires masculins ne sont considérés que comme les instruments de la promotion sociale et de la course aux richesses. [La grande histoire illustrée du 7ème art – Editions Atlas – 1982]

Jayne Mansfield et Tony Randall dans Will Success Spoil Rock Hunter ? (La Blonde explosive, 1957), comédie au vitriol de Frank Tashlin sur le monde du show business.
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