Les Réalisateurs

HENRI DECOIN : FOLIE DOUCE ET CAS DE CONSCIENCE

Entre Les Inconnus dans la maison et Le Bienfaiteur, Henri Decoin, pour le compte de la Continental avait essayé de revenir à la formule enjouée et sentimentale qui avait fait la fortune de Premier rendez-vous. Il rassembla quelques jeunes acteurs qui ne demandaient qu’à s’épanouir : François Perier, Paul Meurisse, Ceorges Rollin, autour de Juliette Faber, dont le registre restait singulièrement limité. Cela s’appela Mariage d’amour et fut un échec retentissant, prévu par le metteur en scène lui-même qui, en dernier ressort, refusa de signer le film. L’histoire démarrait allégro pourtant, soutenue par la musique de René Sylviano. Pierre, futur sculpteur, et Denise, étudiante en chimie, servent la publicité d’un grand magasin. Ils jouent à longueur de journée aux jeunes mariés, lui en jaquette, elle en robe blanche, descendent en voiture les Champs-Elysées, vont jusqu’à l’hôtel à la mode où ils distribuent des prospectus vantant l’établissement dont ils font partie. Un ordre de la Préfecture de Police oblige les agents parisiens à arrêter tous les mariés – faux ou vrais – qui se retrouvent pêle-mêle dans les commissariats. Toutes ces scènes, rapides, joyeuses, bien enlevées. La suite s’englue dans un sentimentalisme de mauvais aloi qui fait perdre tout son tonus à l’histoire. Jusqu’à la fin le récit se traine, pesant et languissant. Les amours de Pierre et Denise sont contrariées par leur propre patron, le beau Bernard, qui veut jouer aussi son rôle dans la publicité et, par la même occasion, courtise Denise : l’utile et l’agréable. L’action, tout en piétinant, se déplace dans une hôtellerie de campagne où Paul Meurisse joue du piano d’un air fatal ; on aura, chemin faisant, croisé un fou campé par Vitold, subi un agent de police – sorte d’Hercule idiot – qui désire avoir, sa statue, et côtoyé d’innombrables flics (à chaque mètre de pellicule il en surgit plusieurs). A quoi bon insister, la collaboration d’Henri Decoin avec la Continental s’arrête là, avec ce film sans nom d’auteur, le scénariste Marcel Rivet s’étant refusé, lui aussi à signer pareil monstre.

Une certaine forme de boulevard souriant invraisemblable mené bon train, confinant à la comédie musicale, tut célébrée fin 1943 dans Je suis avec toi, qui eut mauvaise critique en son temps, mais bon accueil du public. L’auteur Fernand Crommelynck qui, lui aussi, ne fut pas satisfait du résultat, à tort, d’ailleurs, était parti d’une histoire de sosie : Pourquoi Elisabeth, mariée depuis dix ans à François qu’elle adore, veut-elle l’éprouver ? Elle feint de partir pour New York, mais revient à Paris, sous une autre identité, et faisant en serte de rencontrer son mari à l’hôtel, se présente à lui comme Irène, Bruxelloise bon teint. La gaieté d’Irène compense la réserve d’Elisabeth. Un ami du ménage avoue son amour longtemps caché. François triomphe aisément auprès d’Irène. la jeune femme devient jalouse d’elle-même ; tout finit bien, sous les bénédictions d’une tante excentrique, donc Américaine.

Film de mouvement et quiproquos, bien défendu par deux acteurs chevronnés du boulevard, qui, malheureusement dans le même temps, provoquaient la plus grosse critique qu’on puisse faire à l’histoire. On souhaitait des acteurs jeunes et Yvonne Printemps et Pierre Fresnay remplaçaient la fraîcheur et la spontanéité, par le brio du métier et le savoir-faire. Travail prestigieux et périlleux; certaine scène sur les toboggans de Luna-Park prouvait cruellement que ce qui est convaincant au théâtre devient sur l’écran vaguement ridicule : Yvonne Printemps s’accommodant mieux des grâces froufroutantes de Trois valses. Cependant, là encore, elle chantait et enchantait en s’enchantant. Pour Decoin, travail rigoureux et, peut-être, nostalgique. Toutes les scènes filmées dans les beaux décors de Lucien Aguettand qui reconstituaient le transatlantique « Ile-de-France » devaient lui rappeler des départs en triomphe, et des retours heureux. Il filait avec une science consommée du rythme et du montage les scènes de l’hôtel, où François retrouvant sa femme qu’il croit partie, déclenche un scandale et une bagarre. Les scènes finales, fort bien montées, elles aussi, terminaient en beauté sur les quais du Havre cet exercice de voltige. L’interprétation groupait de très solides seconds rôles : Blier, Palau, Jean Meyer, Paulette Dubost et Luce Fabiole, ce qui achevait de classer Je suis avec toi au palmarès des bonnes comédies de boulevard. Ce qui est moins négligeable qu’on ne le pense.


Auparavant Henri Decoin avait retrouvé Simenon, les pavés luisants de pluie. l’eau qui clapote le long des quais, les rails mouillés dominés par la cabine de l’aiguilleur. L’Homme de Londres parait aujourd’hui un peu trop simple, et certains procédés datent : le camarade de Fernand Ledoux qui cite des versets de l’Evangile à toute occasion ou le leitmotiv des vagues ; mais le début du film calqué sur l’introduction des Inconnus dans la maison qui nous fait découvrir tout le paysage nocturne du port sous la bruine, tandis qu’une fille chante la chanson qui reviendra aux dernières images, mais les scènes qui nous introduisent dans la famille de l’aiguilleur, avec la grande fille, le gamin et la bonne ménagère, puis – plus tard – les parents mi-figue mi-raisin rejoignent une des constantes pointillistes du cinéma français, la célébration du Français moyen, effectuée ici avec peu de gentillesse et beaucoup d’ironie ; mais deux grands acteurs, parfaitement dirigés, imposent leurs créations : Ledoux – assassin presque malgré lui, embarrassé de sa fortune et de ses remords, maladroit, hésitant, en proie à de brusques colères et retombant collé dans la résignation – et Jules Berry – le chapeau triste, la paupière lourde, le regard d’une insurmontable mélancolie, vieux clown déchu qui fuit ses responsabilités, se terre et meurt bêtement. Il faut voir le film pour la mise en place de ces deux acteurs plus que pour l’histoire. L’aiguilleur Malouin, bon ouvrier, bon époux et bon père assiste fortuitement à l’arrivée, puis à la dispute de deux Anglais qui viennent de débarquer. Brown précipite Teddy, cramponné à la valise objet de la dispute, dans les eaux du port. Malouin repêche la valise qui contient trois millions. Ebloui, il garde l’argent et tente de jouer à l’homme riche sans trouver cela amusant. Il finit par retrouver Brown terré dans une cabane, celui-ci l’attaque, il se défend et le tue. Ne pouvant en supporter davantage, Malouin se dénonce » à l’inspecteur britannique qui enquêtait sur ces disparitions mystérieuses.

Une tranche de vie qui démontre facilement la difficulté pour l’homme d’améliorer sa condition. Naïve et un peu ténue, comme les tranches de vie, tournée avec rigueur, elle recompose habilement – en dépit d’un décor portuaire qui laisse bien voir ce qu’il est – les obsessions de Simenon. Tournée en 1943, elle sacrifie en ces temps de pénitence au goût de la confession et pousse les personnages vers le juste châtiment et la rédemption. Mises à part quelques silhouettes secondaires pittoresques, le film se ressent de ce parti pris d’austérité qui renvoie loin de Battement de coeur ou de Premier rendez-vous. Il est permis de regretter ces films-là. [Henri Decoin – Raymond Chirat – Anthologie du cinéma (Avant-scène du cinéma, 1973)]


HENRI DECOIN : UN FIS D’AMÉRIQUE
Henri Decoin promenait un regard vif et intéressé sur les méthodes de travail américaines. Déjà, au temps de la U.F.A. et des studios de Neubabelsberg, il était séduit par cette organisation bien huilée du travail d’équipe qui aboutit à la perfection technique. Il s’ingénie à saisir également le tour de main, les secrets de fabrication, qui, assimilés, digérés, donnent aux films cette sensation euphorique de mécanique admirablement réglée, de fini, de poli. On pourra constater, dès son retour en France, qu’il saura appliquer intelligemment à la production française, le fruit de ses observations.

HENRI DECOIN : CÉSAR À L’HEURE ALLEMANDE
Les Inconnus dans la maison obtint un très beau succès. La publicité s’établit sur le nom de Raimu, regagnant les studios parisiens – à contre-cœur, semble-t-il – comme l’a prouvé ensuite le jeu du chat et de la souris qu’il mena avec les agents allemands de la Continental, mais aussi sur les tendances sociales de l’œuvre axées sur les problèmes de la jeunesse. Tout cela était déjà en puissance dans le roman de Simenon, cependant, à la sortie des Inconnus, un journal corporatif insistait dans son compte rendu sur le fait que « pour la première fois, le film soulève au cours d’une scène capitale, le problème de l’éducation morale de la jeunesse et de la responsabilité des parents ainsi que de la trop longue négligence des pouvoirs publics.»


Catégories :Les Réalisateurs

Tagué:

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.