Les Actrices et Acteurs

GENE TIERNEY

Associant des traits fins à des pommettes saillantes et une bouche sensuelle, éduquée dans d’excellentes écoles d’Amérique et d’Europe, Gene Tierney était une femme splendide à la distinction sans faille mais à la beauté indéchiffrable. Hollywood mit plusieurs années à tirer parti de cette actrice originale, se contentant de miser sur sa splendeur alors que son véritable atout résidait dans son étrangeté. Dans un premier temps, la Fox ne trouva d’emploi à cette énigme vivante qu’en lui offrant des rôles de beautés exotiques. La critique accueillit avec sévérité les premiers pas de celle qui semblait être une femme au charme exceptionnel, mais sans grand talent d’actrice. Puis le miracle se produisit, aidé par beaucoup de passion et de travail. Hollywood lui proposa des rôles correspondant à sa nature, elle apprit à poser sa voix et à laisser parler le mystère de son regard.

Gene Tierney devint Laura, la belle absente. Sa carrière changea de dimension grâce aux films noirs auxquels son maintien aristocratique donnait une aura de noblesse théoriquement étrangère à ce genre. Si sa beauté lisse s’accommodait tellement bien des rôles de femmes troubles, c’est peut-être parce qu’une âme fragile se cachait derrière l’éducation sans faille de Gene Tierney. Ses troubles psychiques apparurent après qu’elle eut subi plusieurs coups du sort : la séparation de ses parents, dont les querelles avaient rythmé son enfance, un triste procès contre son père qui s’était institué son agent, la naissance d’une enfant très lourdement handicapée, puis la fin abrupte de son histoire d’amour avec un jeune homme plein d’avenir du nom de John Fitzgerald Kennedy… Sa vie la conduisit dans les terres obscures de la folie, également explorées par ses meilleurs rôles de cinéma, qu’il s’agisse d’une déraison douce et poétique. (…) Mais la manière dont elle parvint à s’extraire de son épreuve personnelle contribua à renforcer sa légende de femme à la fois digne, indépendante et finalement maîtresse de son destin. [Gene Thierney, l’absente magnifique -Hollywood, la cité des femmes – Antoine Sire – Ed.Institut Lumière / Actes Sud (2016)]


Le nom de Gene Tierney et celui d’Otto Preminger sont étroitement associés. Elle est avec Linda Darnell, l’actrice à qui le cinéaste a recouru le plus volontiers et le plus souvent : quatre films ensemble. Et c’est avec ce dernier qu’elle a le plus collaboré, devant à Preminger quelques-uns de ses plus beaux rôles, même si on n’oublie pas ce qu’elle a fait avec des réalisateurs de l’envergure de Fritz Lang, Sternberg, Lubitsch ou Man­kiewicz. Cela est – tellement vrai qu’on croit souvent que sa carrière commence avec Laura (1944), alors qu’il s’agit de son douzième film. Mais pour elle, comme pour Preminger, ce fut bien le vrai départ pour la gloire. C’est à l’âge de vingt ans (elle est née en 1920 à New York) que Gene Tierney débute à l’écran avec un fameux western de Fritz Lang, The Return of Frank James (Le Retour de Frank James, 1940), où elle est la parte­naire de Henry Fonda. En 1941, elle tourne quatre films dont Tobacco Road (La Route du  tabac) de John Ford et surtout The Shanghai Ges­ture (Shanghai) de Josef von Sternberg. Elle y fait sa première grande création, dans un per­sonnage de fille déchue, égarée dans un tripot chinois, qu’elle sait rendre boule­versant. Après ce chef-d’œuvre, on note une réussite bien différente, une exquise comédie fantastique de Lubitsch, Heaven Can Wait (Le Ciel peut attendre, 1943). Puis c’est, en 1944, la rencontre avec Preminger et leur triomphe commun, Laura, film noir à l’ambiance quasi onirique, où certaines apparitions de Gene Tierney, fil­mée avec dévotion par le cinéaste, sont proprement sublimes. Tous deux se retrouveront en 1949 pour Whirlpool (Le Mystérieux Dr Korvo), moins connu mais aussi réussi que Laura, où Gene Tierney est encore admirable en kleptomane aux prises avec un charlatan, puis, en 1950, pour Where the Sidewalk Ends (Mark Dixon détective), autre classique du film noir. Ces trois films constituent l’essentiel de la collaboration Preminger-Tierney.

Dans l’intervalle, l’actrice a fait quel­ques autres créations mémorables, comme dans Leave Her to Heaven (Péché mortel, 1946), flamboyant mélodrame de John Stahl et surtout deux films de Joseph Mankiewicz, Dragonwyck (Le Château du dra­gon, 1946) et plus encore, The Ghost and Mrs. Muir (L’Aventure de Mme Muir, 1947), son meilleur film avec ceux de Preminger. Jusqu’en 1955, les bons rôles ne vont pas lui manquer, et sa filmographie est une des plus séduisantes que puisse rêver un cinéphile : Night and the City (Les For­bans de la nuit, 1950) de Jules Dassin, Way of a Gaucho (Le Gaucho, 1952) de Jacques Tourneur, Plymouth Adventure (Capitaine sans loi, 1952) de Clarence Brown, etc.

En 1955, la carrière de Gene Tierney subit un coup d’arrêt fatal, imputable aux effets d’une vie privée agitée, dont les épisodes marquants furent un mariage manqué avec Oleg Cassini, célèbre dessi­nateur de mode new-yorkais, la naissance d’une enfant qui aura un déficit intellectuel, deux romances tumultueuses avec Ali Khan et John F. Kennedy, futur président des Etats-Unis… Ensuite ce fut le cycle classique des dépressions nerveuses, des séjours en clinique psychiatrique, sans parler de quelques faits divers qui vont défrayer la chronique. En 1962, on la croit guérie et Preminger (toujours lui) lui fournit l’occa­sion d’un superbe retour dans Advise and Consent (Tempête à Washington) ; elle est toujours aussi belle, à peine marquée par les ans et meilleure actrice que jamais. Mais cette rentrée sera sans lendemain, et après deux films insignifiants, Gene Tierney dit un adieu définitif au cinéma en 1964. Tant d’années après, les cinéphiles n’ont pas oublié la créatrice de Laura et de Lucy Muir, « l’étrange fascination se dégageant de son visage, cette allure à la fois meurtrie et mystérieuse, déchirée et distante » ( Bertrand Tavernier). Au Pan­théon du septième art, Gene Tierney a sa place inscrite et personne ne peut pré­tendre la lui disputer. [La grande histoire illustrée du 7ème art – Editions Atlas (1983)]


HEAVEN CAN WAIT (Le Ciel peut attendre) – Ernst Lubitsch (1943)
A travers ce portrait d’un Casanova infantile et attachant, Lubitsch brode une apologie de la félicité conjugale. Il traite de l’amour, du deuil, de la trahison, du plaisir et de la mort avec la pudeur de ceux qui connaissent la fragilité du bonheur. Le Ciel peut attendre n’est pas du champagne : c’est un alcool doux et profond. Avec ce film testament, Lubitsch gagna à coup sûr son billet pour le paradis.

LAURA – Otto Preminger (1944)
On ne peut pas citer Laura sans rendre hommage à Gene Tierney, l’une des comédiennes les plus belles et les plus sensibles de l’histoire du cinéma. Il faut aussi souligner le talent de Preminger, qui a traité cette histoire d’amour « noire » d’une façon totalement originale. La première scène d’amour n’est-elle pas celle de l’interrogatoire de Laura ? Plus le passé de Laura se dévoile, plus les questions de l’inspecteur, dont on devine la jalousie, deviennent violentes et cruelles. Le visage de Laura reste émouvant sous la lumière du projecteur. L’inspecteur finit par détourner cette lumière violente de son visage. Premier geste d’amour…

LEAVE HER TO HEAVEN (Péché mortel) – John M. Stahl (1945)
Tourné la même année que Duel in the Sun (Duel au soleil), Leave her to heaven est au film noir ce que le film de King Vidor, produit par David O. Selznick, est au western : une œuvre passionnée et fulgurante qui utilise avec génie les tons du Technicolor de l’époque, devenus ici un élément dramatique indispensable. 

DRAGONWYCK (Le Château du dragon) – Joseph L. Mankiewicz (1946)
1844. Miranda Wells (Gene Tierney) quitte sa famille du Connecticut pour rejoindre son riche cousin Nicholas Van Ryn (Vincent Price) qui vit avec sa femme dans la sombre demeure de Dragonwyck. Van Ryn traite ses métayers avec la dureté de ses ancêtres et souffre parallèlement du fait que sa femme, Johanna (Vivienne Osborne), a été incapable de lui donner un héritier mâle. Johanna tombe bientôt malade et meurt. Peu de temps après, Nicholas demande à Ephraim Wells (Walter Huston), le père de Miranda, la main de sa fille…

WHERE THE SIDEWALK ENDS (Mark Dixon, détective) – Otto Preminger (1950)
Le principe de l’intrigue de Where the sidewalk ends peut se résumer en quelques mots : un policier qui, lors d’un interrogatoire, a tué sans Le vouloir un suspect récalcitrant essaie d’effacer cette « bavure » (d’autant plus absurde qu’il entendait prouver l’innocence de ce suspect). Mais il convient d’ajouter que cette volonté de faire disparaître un passé récent a pour effet de faire remonter un passé ancien, et ce paradoxe, qui trouve des échos dans La personnalité même du réalisateur Otto Preminger, renvoie à certaines constantes de son œuvre et à la définition du genre dit du film noir. 

THE GHOST AND MRS. MUIR (L’Aventure de Mme Muir) – Joseph L. Mankiewicz (1947)
on Berkeley Square et The House on the Square. Il s’agit d’une nouvelle adaptation de la pièce de John L. Balderston Berkeley Square, inspirée par The Sense of the Past d’Henry James.

NIGHT AND THE CITY (Les Forbans de la nuit) – Jules Dassin (1950)
Harry Fabian (Richard Widmark, magistral) appartient à ce petit peuple d’escrocs dérisoires qui se débattent dans l’univers du film noir. Toujours en quête d’un ailleurs radieux et confus, de la combine parfaite pour y parvenir. Des projets, Harry, rabatteur dans un night-club londonien, en change comme d’œillet à sa boutonnière, et fait le désespoir de son amante, Mary, à laquelle Gene Tierney prête sa grâce aérienne. Cette fois, l’éternel perdant tente de « voler » le business des spectacles de lutte à la pègre locale. 



3 réponses »

  1. actrice envoûtante dans Shanghai gesture sensuelle dans tobacco road vénéneuse dans pecher mortel et m’a définitivement conquis dans laura gene restera une étoile intemporelle

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