Les Réalisateurs

JOSEPH L. MANKIEWICZ

En 20 films, et autant de chefs-d’œuvre, Joseph L. Mankiewicz s’est installé au panthéon des plus grands réalisateurs hollywoodiens. Après avoir été dialoguiste et producteur, il met en scène ses propres scénarios, écrits d’une plume vive et acérée. Il fait tourner les plus grands – Ava Gardner, Marlon Brando, Humphrey Bogart, Bette Davis, Henry Fonda… –, décortique les rapports humains et moque avec finesse les différences sociales. Mais surtout, de Madame Muir à La Comtesse aux pieds nus, d’Eve à Cléopâtre, il filme ses actrices, les femmes, la Femme, avec virtuosité et élégance, dans un style si parfait qu’il en devient invisible. [Murielle Joudet – La Cinémathèque française]

joseph_mankiewicz_04
JOSEPH L. MANKIEWICZ

Frère cadet du célèbre scénariste Herman J. Mankiewicz (Citizen Kane, 1940), Joseph Leo Mankiewicz est né en 1909 en Pennsylvanie. Après un bref passage dans le journalisme, à Berlin en 1928, il put débuter assez facilement à Hollywood, où son frère était alors scénariste à la Paramount. Il commença par rédiger des intertitres pour des versions muettes de films parlants, ceux-ci ne pouvant passer dans nombre de salles qui n’étaient pas encore équipées pour le son. A partir de 1930, Joseph Mankiewicz écrivit quelques dialogues, notamment pour des films comiques interprétés par Jack Oakie, qui fut quelque temps vedette, avant de faire une longue carrière de second rôle amusant.

guepier_pour_trois_abeilles_100
JOSEPH L. MANKIEWICZ (On set – The Honey Pot)
Scénariste et producteur

Peu après, le dialoguiste occasionnel, devenait scénariste complet, fonction qu’il tint avec un brio croissant jusqu’à 1935. De cette première période, plusieurs titres méritent d’être retenus, notamment Million Dollars Legs (1932) d’Eddie Cline, qui fut un des plus grands succès de W.C. Fields, Alice in Wonderland (Alice au pays des merveilles, 1933) de Norman McLeod ou I Live My Life (Vivre sa vie, 1935) de W.S. Van Dyke, sans oublier les dialogues d’un chef-d’œuvre de King Vidor, Our Daily Bread (Notre pain quotidien, 1934). Pour ses débuts de scénariste à la MGM, en 1934, Mankiewicz commence par un coup de maître avec Un drame à Manhattan (Manhattan Melodroma) de Van Dyke qui décroche l’Oscar du meilleur scénario. En 1936, à peine âgé de vingt-sept ans, il devient producteur à la MGM et se voit confier tout de suite les plus importantes productions. La première : Fury (1936) de Fritz Lang, avec Spencer Tracy et Sylvia Sidney. Suivront, jusqu’en 1942, près d’une vingtaine de films, parmi lesquels d’intéressantes réalisations de Clarence Brown, Van Dyke, Cukor Philadelphia Story (Indiscrétions, 1940) et surtout de Frank Borzage : Mannequin (1938), Three Comrades (Trois Camarades, 1938) et Strange Cargo (Le Cargo maudit, 1940).

Apprentissage et Oscar

En 1943, il quitte la Metro pour passer à la Fox. Il y produit d’abord un film de John Stahl, un grand succès, The Keys of the Kingdom (Les Clés du royaume, 1943) d’après le roman de Cronin, qui impose Gregory Peck en vedette. Puis, en 1946, il réalise enfin sa première mise en scène, avec un film produit par Ernst Lubitsch, Dragonwyck (Le Château du dragon), dont il écrit lui-même le scénario. La façon dont il dirige Gene Tierney montre déjà quel grand directeur d’actrices sera Mankiewicz. Ce premier film et les quatre suivants constituent un peu ses années d’apprentissage de réalisateur. Des quatre films tournés en 1946- 1948, The Late George Apley (Un Mariage à Boston, 1946), The Ghost and Mrs. Muir (L’Aventure de Mme Muir, 1947), Somewhere in the Night (Quelque part dans la nuit, 1947) et Escape (L’Évadé de Dartmoor, 1948), le meilleur est certainement The Ghost and Mrs. Muir , délicieuse histoire de fantôme, où il retrouvait Gene Tierney, entre George Sanders et Rex Harrison qui deviendra un de ses interprètes favoris.

escape_100jpg
ON SET (Photo de tournage). Au centre, Joseph L. Mankiewicz dans ESCAPE (L’Évadé de Dartmoor), 1948

En 1948, Mankiewicz connaît son premier grand succès, comme metteur en scène, avec A Letter to Three Wives (Chaînes conjugales), pour lequel il obtient à la fois l’Oscar du meilleur scénario et celui de la meilleure mise en scène. En France, le film retient l’attention de la critique, mais ne connaît qu’un succès d’estime. Le suivant, House of Strangers (La Maison des étrangers, 1949), qui traitait des relations entre père et fils, sujet auquel Mankiewicz tenait, fut partout un échec, en dépit d’une remarquable interprétation d’Edward G. Robinson et d’un prix à Cannes en 1949, pour ce dernier.

Eve, Cicéron… et César

La revanche allait venir l’année suivante, non pas avec l’intéressant No Way Out (La Porte s’ouvre, 1950), bien enlevé par un remarquable trio d’acteurs (Richard Widmark, Linda Darnell, Sidney Poitier), mais avec ce qui reste un des films les plus célèbres de son auteur, All About Eve (Eve, 1950). Cette fois, ce fut un triomphe mondial que vint de nouveau sanctionner un double Oscar (mise en scène et scénario). Sur un scénario partiellement original de Mankiewicz lui-même, il s’agissait d’une remarquable description des milieux de théâtre new-yorkais et d’une impitoyable peinture de caractère féminin, celui d’une ambitieuse avide de succès et dépourvue de scrupule. Cette œuvre sur le théâtre bénéficiait d’une interprétation exceptionnelle avec Anne Baxter (Eve), Bette Davis et George Sanders. A leurs côtés, on remarquait dans un petit rôle, une débutante qui douze ans plus tard serait morte et immortelle, Marilyn Monroe. Aujourd’hui encore, ce film reste un des chefs-d’œuvre de Mankiewicz.

eve_100
Marilyn Monroe et Joseph L. Mankiewicz sur le tournage de ALL ABOUT EVE (1950)

Après l’injustement méconnu People Will Talk (On murmure dans la ville, 1951), dans lequel Cary Grant incarnait un étonnant docteur Praetorius, nouveau grand succès pour le cinéaste avec Five Fingers (L’Affaire Cicéron, 1952), le seul chef-d’œuvre du film d’espionnage, ainsi que l’a qualifié Bertrand Tavernier. Il faut dire que cet épisode authentique de la dernière guerre mondiale a l’air inventé par le plus imaginatif et le plus débridé des romanciers du genre. L’atmosphère d’Ankara pendant la guerre, avec ses complots d’ambassade dont Von Papen, ambassadeur allemand, croit tirer les ficelles alors qu’il se fait manœuvrer par plus fort que lui, a particulièrement bien inspiré Mankiewicz dont la mise en scène ne fut jamais si nerveuse et efficace. La maîtrise du récit est absolue, jusqu’à l’éclat de rire final par lequel cette histoire absurde et vraie se résout dans un climat d’humour noir que le meilleur Huston n’a jamais égalé.

affaire_ciceron_100
Joseph L. Mankiewicz sur le tournage de FIVE FINGERS avec James Mason et Danielle Darrieux

Après Cicéron, César… Il s’agit bien, cette fois, d’une histoire romaine, avec l’adaptation du chef-d’œuvre de Shakespeare, Julius Caesar (Jules César, 1953). Il suffit de dire que de tous les films inspirés par Shakespeare (et ils sont innombrables) celui-ci reste, avec ceux de Welles, un des meilleurs, grâce à des interprètes exceptionnels, de Marlon Brando (Marc Antoine), à John Gielgud (Cassius) et de James Mason (Brutus) à Louis Calhern (César). Et puis, dès qu’il s’agit de théâtre, Mankiewicz se retrouve à son affaire. On remarque que le film est produit par John Houseman qui avait vécu en 1937 l’aventure du « jules César » monté en chemises brunes par Orson Welles au Mercury Theatre.

Tous amoureux de la comtesse !

Mankiewicz, la même année, redevient son propre producteur et fonde la Figaro Inc., compagnie qui produit en 1954 The Barefoot Contessa (La Comtesse aux pieds nus). De Truffaut à Chabrol et Domarchi, toute une génération de cinéphiles fut amoureuse de la fameuse comtesse, et de sa superbe interprète, une Ava Gardner éblouissante, autant que dans Pandora and the Flying Dutchman (Pandora, 1951), et dans un film d’une tout autre qualité. Nulle œuvre, sans doute, n’a fait plus que celle-là pour la réputation de Mankiewicz, auteur complet de cette belle histoire qu’il a su raconter avec la maîtrise incomparable qui est dorénavant la sienne. Fourvoyée par mégarde dans la comédie musicale, avec Guys and Dolls (Blanches Colombes et vilains messieurs, 1955), cette maîtrise nous vaudra sans tarder un nouveau chef-d’œuvre, avec The Quiet American (Un Américain bien tranquille, 1957), d’après Graham Greene. Ce film sur la guerre du Viêt-nam (déjà) frappe par son intelligence extraordinaire et sa rigueur, et, sur le plan de la réalité des choses, il laisse loin derrière lui ceux de Coppola et de Cimino. En quelques plans limpides, Mankiewicz nous montre le Saigon de la guerre, comme nous ne le reverrons jamais, et son art est ici à son sommet.

Soudain… Cléopâtre

Retour au théâtre avec Suddenly, Last Summer (Soudain l’été dernier, 1959), pièce tarabiscotée comme toutes celles de Tennessee Williams, mais dont Mankiewicz, par une mise en scène au scalpel, va réussir à faire un grand film, avec le concours de trois acteurs de génie (Hepburn, Taylor et Clift). Et puis avec de nouveau Elizabeth Taylor, c’est l’aventure démesurée de Cleopatra (Cléopâtre, 1961-1963). On a tout dit sur cette production insensée, les millions de dollars gaspillés (quarante environ), le scénario remanié par une dizaine de personnes (dont Lawrence Durrell), Mankiewicz remplaçant au pied levé Mamoulian, se brouillant avec Zanuck, puis rappelé par lui pour terminer le film, les caprices d’Elizabeth Taylor, son idylle tapageuse avec Richard Burton, un tournage de plus de deux ans réparti sur plusieurs pays (Italie, Espagne, Egypte, Angleterre), le montage modifié à la dernière minute après une mauvaise preview… Tout cela pour aboutir finalement à un très beau film, avec des parties magnifiques, mais qui sera un désastre financier pour la Fox. Mankiewicz, qui n’y est pour rien et n’a pas à rougir du film, même si ce n’est pas exactement le sien (on voit avec l’extraordinaire César de Rex Harrison, ce qu’il voulait en faire), aura bien du mal à s’en remettre.

Mankiewicz devra attendre quatre ans avant de pouvoir faire un nouveau film, qui sera The Honey Pot (Guêpier pour trois abeilles, 1967), lointaine transposition de Volpone, écrite, produite et réalisée par lui-même. Malgré une nouvelle composition savoureuse de Rex Harrison, ce ne sera pas non plus un succès commercial. Nouveau délai de trois ans jusqu’au There Was a Crooked Man (Le Reptile, 1970), « curieux western au scénario subtilement élaboré » (Jean Tulard), avec Kirk Douglas et Henry Fonda. Et puis ce sera le dernier film, Sleuth (Le Limier, 1972), film-labyrinthe à la construction d’une extraordinaire subtilité, divertissement raffiné autant que brillant, et dans lequel Laurence Olivier et Michael Caine composaient un mémorable duo. Après cet ultime chef-d’œuvre, Mankiewicz se retire de l’industrie cinématographique, il meurt en 1993 à quelques jours de 84e anniversaire. [La grande histoire illustrée du 7ème art – Editions Atlas – 1982]


joseph_mankiewicz_02
JOSEPH L. MANKIEWICZ

DRAGONWYCK (Le Château du dragon) – Joseph L. Mankiewicz (1946)
1844. Miranda Wells (Gene Tierney) quitte sa famille du Connecticut pour rejoindre son riche cousin Nicholas Van Ryn (Vincent Price) qui vit avec sa femme dans la sombre demeure de Dragonwyck. Van Ryn traite ses métayers avec la dureté de ses ancêtres et souffre parallèlement du fait que sa femme, Johanna (Vivienne Osborne), a été incapable de lui donner un héritier mâle. Johanna tombe bientôt malade et meurt. Peu de temps après, Nicholas demande à Ephraim Wells (Walter Huston), le père de Miranda, la main de sa fille…

THE GHOST AND MRS. MUIR (L’Aventure de Mme Muir) – Joseph L. Mankiewicz (1947)
on Berkeley Square et The House on the Square. Il s’agit d’une nouvelle adaptation de la pièce de John L. Balderston Berkeley Square, inspirée par The Sense of the Past d’Henry James.

SOMEWHERE IN THE NIGHT (Quelque part dans la nuit) – Joseph L. Mankiewicz (1946)
Réalisé par Joseph L. Mankiewicz, Somewhere in The Night (Quelque part dans la nuit) place la figure du détective privé dans le dispositif des films sur les amnésiques. Sa forme repose sur les transcriptions visuelles de l’angoisse d’un homme sans mémoire qui cherche l’individu susceptible de l’éclairer sur son passé, puis découvre avec stupeur que celui qu’il veut retrouver n’est autre que lui-même. Et qu’il est un détective privé qu’on soupçonne de vol et d’assassinat.

A LETTER TO THREE WIVES (Chaînes conjugales) – Joseph L. Mankiewicz (1949)
Un samedi de mai, Deborah, Lora Mae et Rita délaissent leurs maris pour organiser un pique-nique sur les bords de la rivière avec un groupe d’enfants orphelins. Juste avant d’embarquer sur le bateau, elles reçoivent une lettre : Addie Ross leur apprend qu’elle a quitté la ville avec le mari de l’une d’entre elles. Pendant la promenade, chacune s’interroge pour savoir s’il s’agit du sien…

ALL ABOUT EVE (Ève) – Joseph L. Mankiewicz (1950)
Le 23 mars 1950, les Academy Awards (Oscars) sont décernés pour les films sortis l’année précédente. Joseph L. Mankiewicz est l’un des grands triomphateurs de la soirée, puisqu’il obtient, pour A Letter to Three Wives (Chaînes conjugales), l’Oscar du meilleur scénario et celui de la meilleure mise en scène de l’année. C’est une véritable consécration. Trois semaines plus tard, il commence le tournage d’All About Eve, le film le plus célèbre de sa période Fox

PEOPLE WILL TALK (On murmure dans la ville) – Joseph L. Mankiewicz (1951)
1951 est l’année la plus prestigieuse de la carrière de Joseph L. Mankiewicz, qui, pour All About Eve (Eve), va obtenir en quelques semaines les Oscars du meilleur film, du meilleur réalisateur,  et du meilleur scénario adapté. La cérémonie des Oscars a lieu le 29 mars. À ce moment-là, Mankiewicz a débuté depuis neuf jours le tournage de People Will Talk, sans aucun doute son film le plus curieux. L’intrigue présente une grossesse non désirée, un souhait d’avortement, une tentative de suicide et une commission d’enquête sur fond de délation, tout ceci dans une atmosphère qui oscille entre la comédie et le drame.

THE BAREFOOT CONTESSA (La Comtesse aux pieds nus) – Joseph L. Mankiewicz (1954)
Il y a des films qui tombent sous le sens. Des films que rien ni personne ne peuvent enfermer dans une langue définitive ou livrer aux limbes de l’oubli. Tout a été dit sur le cinéma de Joseph L. Mankiewicz. A peu de choses près. mais cette comtesse qui s’avance pieds nus depuis l’année 1954 garde dans nos coeurs une place à part, une place de choix, une place que bien des films voudraient lui prendre.

GUYS AND DOLLS (Blanches colombes et vilains messieurs) – Joseph L. Mankiewicz (1955)
Guys and dolls a été joué à Broadway à partir du 21 novembre 1950, au théâtre de la 46e rue. Samuel Goldwyn est l’un des spectateurs de la première et, avant même la fin du second acte, il a décidé de produire une adaptation cinématographique du spectacle. Ce ne sera pourtant qu’en 1954 qu’il parviendra enfin à acquérir les droits tant convoités. Il l’emportera sur ses rivaux en garantissant un million de dollars plus 10 % des bénéfices au-dessus de dix millions de dollars. Un engagement considérable qui rend, dès le départ, le succès financier du film très problématique



joseph_mankiewicz_03
JOSEPH L. MANKIEWICZ

Catégories :Les Réalisateurs

Tagué:

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.