Héritier d’une tradition artistique et théâtrale forgée en Europe, Edward G. Robinson méprisait le septième art. Cela ne l’a pas empêché de devenir l’un des piliers du cinéma américain.

A un journaliste qui l’interrogeait sur le métier d’acteur, en 1963, Edward G. Robinson fit cette réponse : « Il faut être vrai pour durer, conserver son intégrité personnelle, et travailler. Pour chaque nouveau rôle, je travaille aussi dur, probablement même plus dur, qu’à mes débuts. De mon point de vue, l’acteur assume une grande responsabilité en jouant le rôle d’un autre être humain. C’est comme prendre en charge la vie d’autrui. Il faut le faire aussi sincèrement et aussi honnêtement que possible. »

C’est probablement parce qu’il se faisait une très haute idée de son métier qu’Edward G. Robinson supportait mal d’avoir été identifié, une fois pour toutes, au rôle qui lui avait valu une notoriété mondiale, celui de Rico dans Little Caesar (Le Petit César, 1930) de Mervyn LeRoy. C’est dans ce rôle que le public l’avait découvert et voulait continuer à le voir.

De son vrai nom Emmanuel Goldenberg, Edward G. Robinson est né le 12 décembre 1893 à Bucarest, dans une famille juive aux mœurs rigoureuses, mais où les arts étaient à l’honneur. Emigré aux États-Unis avec les siens, au tout début du siècle, il put très vite, après de brèves études à l’université de Columbia, donner libre cours à sa passion pour le théâtre, et il a déjà changé son nom lorsqu’il se produit pour la première fois sur une scène, en 1913. Après la Première Guerre mondiale, où il avait servi dans la marine, il s’était fait très vite une solide réputation à Broadway, jouant dans de nombreuses pièces de qualité, notamment celle qu’il écrivit lui même en collaboration avec Jo Swerling « Kibitzer ».

Rico, le gangster
Dès 1923, Edward G. Robinson avait tourné The Bright Shawl (Le Châle aux fleurs de sang), un film dans lequel il incarnait un aristocrate espagnol. Lorsqu’il se vit à l’écran, il fut proprement horrifié, et son aversion pour le cinématographe ne fit que s’accroître avec les quelques films dans lesquels il fut amené à jouer avant Little Caesar. Indifférent au langage spécifique du septième art, Edward G. Robinson expliquait le succès de ce film par des arguments culturels auxquels la plupart des spectateurs auraient été probablement insensibles : « Rico est un homme qui défie la société, et qui est fauché par elle et par les dieux sans avoir compris ce qui lui était arrivé. Si le film a bien supporté l’épreuve du temps, c’est parce qu’il est construit comme une tragédie grecque. » Le paradoxe est qu’après ce film de gangsters, le premier du genre, Edward G. Robinson devint l’un des piliers du cinéma américain, en dépit des sentiments pour le moins mitigés que celui-ci lui inspirait.

Acteur de caractère marqué par une apparence physique dont la laideur ne laissait pas d’être fascinante, Edward G. Robinson fit des créations mémorables dans les années 30, notamment avec Barbary coast (Ville sans loi, 1935) de Howard Hawks, et surtout The Whole town’s talking (Toute la ville en parle, 1935), délicieux film de John Ford dans lequel il était un petit employé de banque timide et effacé, mais que sa ressemblance avec un gangster pourchassé par la police entraînait dans toutes sortes d’aventures. Edward G. Robinson jouait à la perfection, les deux rôles, démontrant ainsi l’étendue de ses talents.

Rétrograde et… progressiste
Cependant, Edward G. Robinson aspirait à incarner des personnages qu’il jugeait plus conformes à ses conceptions dramatiques. C’est la raison pour laquelle il a toujours gardé une préférence pour Dr. Ehrlich ‘s Magic Bullet (La Balle magique du docteur Ehrlich, 1940), film de William Dieterle dédié à la mémoire du savant allemand Paul Ehrlich, inventeur, avec le Japonais Hata, de l’arsénobenzène et vainqueur de la syphilis. On a cependant quelque mal à expliquer pourquoi il accordait si peu d’importance aux deux films qu’il avait tournés sous la direction de Fritz Lang, The Woman in the window (La Femme au portrait, 1944) et Scarlet street (La Rue rouge, 1945), qui auraient pourtant dû le convaincre des possibilités du cinématographe. Mais en matière artistique, Edward G. Robinson avait des convictions résolument élitaires et quelque peu rétrogrades. Pour lui, le cinéma n’était guère bon que pour la foule et demeurait un mode d’expression des plus subalternes, ce qui, curieusement, ne l’a pas empêché de contribuer à prouver le contraire !

Propriétaire d’une collection d’impressionnistes de premier ordre, ami intime des plus hautes personnalités du monde musical américain, Edward G. Robinson professait en politique des idées beaucoup plus progressistes, comme en témoigne sa participation courageuse au film semi-documentaire produit, en 1939, par les frères Warner et réalisé par Anatole Litvak, Confessions of a nazi spy (Les Aveux d’un espion nazi), c’est-à-dire à une époque où l’opinion américaine était loin d’être entièrement défavorable au régime hitlérien. Après la Seconde Guerre mondiale, ses opinions le feront d’ailleurs soupçonner de sympathies communistes et lui vaudront d’être inscrit sur les « listes noires » durant près de trois années.

Le premier et le patron
Si sa carrière n’en fut pas pour autant brisée, celle-ci n’en devait pas moins prendre une nouvelle orientation. Tout en continuant de paraître sur les scènes de New York (notamment dans- « Le Zéro et l’infini » d’Arthur Koestler), Edward G. Robinson s’est consacré, à la fin de sa vie, à des rôles cinématographiques de second plan. Certains d’entre eux ne manquèrent d’ailleurs pas de lui apporter de réelles satisfactions, tel celui du fantasque réalisateur de Two weeks in another town (Quinze jours ailleurs, 1962) de Vincente Minnelli.

Dans The Cincinnati kid (Le Kid de Cincinnati, 1965) de Norman Jewison, Edward G. Robinson adressait à Steve McQueen cette réplique quasi symbolique : « Tant que je suis dans les parages, tu n’es que le deuxième ; autant te faire à cette idée. » Lors de la disparition, en 1973, de celui qui avait été presque malgré lui l’un des plus grands comédiens de Hollywood, on aurait pu citer ce propos de Raymond Chandler : « Il lui suffisait d’entrer dans une pièce pour être le patron. »


LITTLE CAESAR (Le Petit César) – Mervyn LeRoy (1931)
« Et, R-I-C-O, le Petit César, c’est qui ! » braille Edward G. Robinson au téléphone. Hollywood comprend vite le message : alors âgé de 37 ans et loin des canons de beauté habituels de l’époque, Robinson n’en est pas moins une star de premier plan. Qui plus est, les cinéphiles plébiscitent les films de société sans complaisance sur la Grande Crise de 1929 : un genre qui fera le succès de la Warner Bros.

DOUBLE INDEMNITY (Assurance sur la mort) – Billy Wilder (1944)
Billy Wilder choisit deux vedettes à contre-emploi. Barbara Stanwyck, l’héroïne volontaire et positive de tant de drames réalistes – et même de comédies – va incarner une tueuse, et Fred MacMurray, acteur sympathique et nonchalant par excellence, va se retrouver dans la peau d’un criminel.

THE WOMAN IN THE WINDOW (La Femme au portrait) – Fritz Lang (1944)
Le thème central de Woman in the Window est le doppelgânger avec sa problématique du double, du bien et du mal. Wanley est lui- même la clé de cet univers contradictoire ; d’une part, père de famille bourgeois, responsable, sobre, que parfois effleure l’ennui, d’autre part, aventurier impulsif qu’une liaison pourrait fort bien mener au meurtre ou au suicide…

SCARLET STREET (La Rue rouge) – Fritz Lang (1945)
Tout à fait dans la manière de Fritz Lang, Scarlet Street est un film très sombre relatant l’histoire d’un homme ordinaire aux prises avec les forces du mal ; il succombe d’abord au vice, puis au crime. Kitty March et Johnny Prince comptent parmi les « méchants » les plus désinvoltes du film noir, amoraux jusqu’à en être troublants.
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