Les Réalisateurs

HENRI DECOIN : UN FIS D’AMÉRIQUE

Abus de confiance est un beau mélodrame. Selon la règle, il oscille entre le sordide et l’opulence, s’ouvre sur l’image d’un cimetière, trouve sa conclusion dans un prétoire. La vertu de Danielle Darrieux, orpheline de bonne éducation, éprouvée par la pauvreté, subit les pires assauts, et, si la jeune fille écoute les funestes conseils d’une amie, c’est à la fois par lassitude, par imprudence, et par goût secret du romanesque. Or, du moment où elle accepte l’idée d’un abus de confiance, où, tendant une correspondance jaunie, elle se présente comme l’enfant de l’amour d’un romancier célèbre, tout autour d’elle devient clair et fleuri. Adieu gargottes et meublés douteux, à nous l’hôtel particulier, le jardin aux allées ratissées, le cabinet de travail propice et quiet : la félicité ne s’acquiert que dans l’imposture, le bonheur s’identifie sur la tromperie. Le dénouement survient, rapide sinon ingénieux : le triomphe de l’avocate qui défend avec quelle éloquence et quel tact une jeune délinquante coupable de la même faute qu’elle, rejoint des précédents célèbres. Le tribunal pour enfants Abus de confiance renvoie à la Cour d’Assises du Coupable où le procureur doit requérir contre son fils naturel, et à combien d’autres scènes à grande figuration où la Croix de ma mère sert à découvrir le pot aux roses enfoui sous les toques et les toges. Réservé aux âmes sensibles, le film combine la mansuétude de Charles Vanel, l’indulgence de Valentine Tessier, et l’espièglerie mesurée de Pierre Mingand pour sécher les larmes et ramener le sourire de Danielle.

Abus de confiance – Henri Decoin (1937)

La première partie nerveuse, morcelée en courts épisodes, propose une série de cartes postales de genre : l’inconnu du cimetière trop poli pour être honnête, le logeur libidineux, le patron cauteleux, le bon copain qui a des idées derrière la tête. Le Paris de 1936 reparaît dans ces croquis, avec les étudiants qui parcourent les couloirs de la Fac de Droit, faluche sur la tête, aux accents du monôme, les petits restaurants du quartier Latin, les hôtels à enseignes lumineuses de Luna-Park. L’héroïne, fraîche, sage et triste, traverse avec un désespoir de bonne compagnie les vicissitudes imposées par ces différents décors et l’atmosphère est épaisse, louche et équivoque. Le crime n’est pas loin. Le temps s’y prêtait. Violette Nozière, la parricide, avait passionné les foules peu d’années avant et Weidmann allait entamer sa série d’assassinats. On regrette que Decoin inspiré par la pluie, les flaques, les escaliers tristes qui annoncent les coins de rues lugubres de la petite ville des Inconnus dans la maison ou les reflets dans l’eau du port de L’Homme de Londres ait dû transporter son héroïne à Neuilly ou à Auteuil, parmi le marbre, la soie et le tulle : il n’y a plus de surprise dans cette belle lumière et le film coule, limpide, jusqu’à l’heureuse conclusion. Revenant sur l’impression laissée par l’inquiétant début, on pense à ces boîtes de peinture qui proposaient autrefois aux enfants des couleurs sans danger.

Abus de confiance – Henri Decoin (1937)

Abus de confiance s’imposa tout de suite. Il venait à son heure : celle des grandes enquêtes journalistiques menées par Alexis Danan, chroniqueur généreux et chaleureux, sensible aux misères et à l’existence précaire d’une certaine jeunesse. Le film fut présenté le 29 novembre 1937 au cinéma Madeleine, à l’occasion d’un gala patronné par Paris-Soir au profit des œuvres de l’enfance malheureuse. Cela aussi c’est l’air du temps.

Port-Arthur – Nicolas Farkas en deux versions, française et allemande, tourné à Prague (1936)

1936. Tout se passe à Prague où Danielle Darrieux est venue interpréter le rôle d’une jeune Japonaise dans Port-Arthur de Nicolas Farkas. Henri Decoin participe au film qui adapte un médiocre roman de Pierre Frondaie et donne, une fois encore, dans la mode des scénarios célébrant la blanche Russie. Le film n’a pas une importance considérable, en revanche les à-côtés de la réalisation auront une influence certaine sur la carrière de l’actrice et sur celle du metteur en scène. Carl Laemmle vient de quitter Universal Films, il fonde une nouvelle maison de production à Hollywood et cherche à rencontrer Danielle. D’autre part, Monsieur S.F. Ditcham, directeur d’Universal à Londres, arrive à Prague en avion, afin de discuter des modalités d’un engagement. De son côté Decoin menait plusieurs projets de front, il avait signé l’adaptation de Port-Arthur, secondait Farkas pour la version française. L’opérette « Normandie », dont il avait écrit le livret qui célébrait à sa manière le célèbre paquebot et où allaient être employés Ray Ventura et ses collégiens, entrait en répétition. Il en est resté au moins une scie de l’époque : « Ça vaut mieux que d’attraper la scarlatine… » Et le 22 décembre 1936 avait lieu aux Galeries Saint-Hubert de Bruxelles, la première d’une autre comédie « Jeux dangereux ».

Henri Decoin et Danielle Darrieux

Les pourparlers furent poursuivis avec succès avec les Américains et le couple qui devait s’embarquer pour les Etats-Unis le 23 août 1937 ne partit finalement que le 22 septembre à cause d’une avarie à l’hélice de Normandie. Parmi les autres voyageurs Cole Porter, la championne de patinage sur glace Sonja Henjie, Jane Renouardt et Fernand Gravey, engagé lui aussi à Hollywood. Le départ de Danielle qui à cette époque incarnait véritablement un certain idéal féminin attrista le cœur des midinettes.

La Coqueluche de Paris (The Rage of Paris) – Henry Koster (1938)

Il fallut longtemps attendre à Hollywood avant de tourner. Grâce au contrat de Danielle, Decoin avait droit de regard sur le scénario et sur le choix des interprètes. Finalement ce fut l’ex-Autrichien Henry Koster qui signa The Rage of Paris (Coqueluche de Paris), comédie assez anodine bien enlevée, bibelot de série dont le scénario rappelle à s’y méprendre d’autres films à succès de Darrieux. Une petite Française, sans le sou, à New York, essaie de trouver un mari riche, mais est prise à son propre piège. Douglas Fairbanks Junior, Misha Auer, Helen Broderick épaulaient brillamment la vedette française.

La Coqueluche de Paris (The Rage of Paris) – Henry Koster (1938)

Cependant Henri Decoin promenait un regard vif et intéressé sur les méthodes de travail américaines. Déjà, au temps de la U.F.A. et des studios de Neubabelsberg, il était séduit par cette organisation bien huilée du travail d’équipe qui aboutit à la perfection technique. Il s’ingénie à saisir également le tour de main, les secrets de fabrication, qui, assimilés, digérés, donnent aux films cette sensation euphorique de mécanique admirablement réglée, de fini, de poli. On pourra constater, dès son retour en France, qu’il saura appliquer intelligemment à la production française, le fruit de ses observations. Au demeurant, le séjour à Hollywood est écourté, les deux Français retrouvent leur capitale avec plaisir et les Parisiens sont ravis de revoir Danielle Darrieux, auréolée cette fois du titre de vedette internationale. Rapidement on élabore et on met en chantier un film de rentrée.


Retour à l’aube – Henri Decoin (1938)

Retour à l’aube fut le cadeau de rentrée offert au public français par les deux transfuges d’Hollywood. Dans l’œuvre de Decoin, il occupe une place à part : la première. Il ne s’agissait plus de lancer, une nouvelle fois, Danielle à travers les gags d’une comédie plus ou moins pétillante : Henri Decoin voulait l’orienter du côté du drame, persuadé depuis la réussite d’Abus de confiance qu’elle pouvait tout faire (elle avait d’ailleurs exécuté des gammes. en artiste, dans Port-Arthur, dans Tarass-Boulba de Granowsky, voire dans le double rôle surchargé et conventionnel du Domino vert). Pierre Wolff, alors critique, fut de nouveau chargé d’établir le scénario et d’écrire les dialogues à partir d’une nouvelle de Vicky Baum, et, curieusement, cet homme de théâtre qui avait tiré les ficelles d’un certain nombre de pièces à effets autour de 1910 s’abstint de tout bavardage et offrit au metteur en scène la possibilité de composer de simples variations sur une ligne de récit toute droite dont les prolongements seuls glissent et se noient dans le rêve et la mélancolie.

Retour à l’aube – Henri Decoin (1938)

Anita, jeune paysanne hongroise accède, au début du film, à un certain rang : elle épouse le chef d’une petite gare. Calme mariage, vie tranquille seulement troublée par l’arrêt quotidien du rapide de Budapest qui, jusqu’alors, passait en trombe et qui révèle soudain à Anita une vie qu’elle ne soupçonnait pas. Un beau jour, appelée dans la capitale pour toucher un petit héritage, elle prend ce train, et, à partir du moment où elle arrive en ville, se met à vivre une sorte de conte de fées, qui, insensiblement, vire du rose au noir quand les escrocs internationaux se mêlent de jouer les princes charmants, et tourne au drame – ou plutôt au cauchemar. Meurtrie et sans espoir, elle reviendra au petit matin, retrouvera la gare tranquille, son bon mari un peu inquiet, et gardera pour elle l’éblouissant souvenir d’avoir « vécu sa vie », là-bas, et de l’avoir dévorée en quelques heures.

Retour à l’aube – Henri Decoin (1938)

Les défauts évidents du film le servent : Decoin, par coquetterie et par amusement, avait tenu à aller tourner en Hongrie, les extérieurs furent filmés au village de Buldog, réputé pour la beauté de ses costumes – d’où la séquence d’ouverture – ou dans Budapest même. Mais cette improbable Budapest, cette gare d’opérette jouent leur rôle, transforment la simple aventure voulue par le réalisateur et le scénariste en un mauvais rêve dont on se réveille mal, dont les décors incertains ont beaucoup moins d’importance que les dormeurs éveillés. Ainsi de l’emploi de certains acteurs français qui détonnent dans le contexte hongrois (cela est vrai surtout de Raymond Cordy et de Pierre Mingand – aussi de Thérèse Dorny) mais contribuent à cette atmosphère étrange et factice. Le travail d’Henri Decoin est sans bavures et, à l’accent, à la conduite de certaines scènes – notamment l’interrogatoire au commissariat – on constate que la leçon américaine a été bien assimilée : de même l’excellent montage de l’arrivée du train, et la direction de Pierre Dux, d’une singulière et étonnante présence en mari de l’héroïne, et de Jacques Dumesnil, gangster mondain sorti d’une gravure de modes : Danielle Darrieux enfin brillait de mille éclats, jouait avec une aisance souveraine, et, offrait lors de son arrestation la démonstration d’une virtuosité parfaitement maîtrisée et d’une sensibilité blessée à mort.

Retour à l’aube – Henri Decoin (1938)

Avec Battement de cœur, Henri Decoin voulut concurrencer les Américains sur leur propre terrain, et, ayant expérimenté leurs recettes, les doser pour le goût français. La mode était alors aux histoires d’un caractère oppressant : les filles, le trottoir, les truands, la pluie qui tombe, les ailleurs désespérants ; et de déclarer : « Voilà qu’on s’enferme dans une boîte noire d’où l’on ne sort plus jamais, d’où l’on oublie de s’évader. Toujours de la fumée, de la grisaille, du brouillard… Dans le cinéma aussi, il faut de la lumière et du soleil. Le cinéma français occupe à l’heure actuelle la deuxième place du marché mondial, mais s’il continue dans le genre noir, il l’aura vite perdue, comme ce fut le cas pour le cinéma allemand en 1930. L’esprit français s’adapte admirablement aux choses gaies. Le cinéma français est en train de perdre cet esprit, il est grand temps de renverser la vapeur.»

Battement de cœur – Henri Decoin (1940)

Réaction contre les événements : la guerre arrivait, Il fallait a tout prix se distraire et essayer d’oublier. Le film fut élaboré au Trianon de Versailles, et Michel Duran le présenta dans « Pour Vous » : « Nous avons écrit une comédie moderne que nous trouvons poétique, sans doute parce qu’elle est peu vraisemblable (mais « Lady for a day » était-elle une histoire vraisemblable ?). Pour un rien, nous affirmerions qu’elle est pleine de fantaisie. Il ne faudrait pas me pousser pour que je la déclare légère. Et si je ne vous dis pas que le dialogue est éblouissant, c’est que vous devineriez aussitôt qu’il est de moi. Pour des auteurs contents de nous, nous sommes des auteurs contents de nous. Et pour des auteurs contents de leur metteur en scène, nous le sommes aussi. »

Battement de cœur – Henri Decoin (1940)

Terminé à temps, Battement de cœur eut toutefois sa sortie différée en raison des événements. Il parut sur les écrans en février 1940, mais traversa la tourmente, l’armistice, et, en août 1941, lors de la présentation de Premier rendez-vous fêtait sa cinquante-deuxième semaine d’exclusivité. Le scénario avait été aussi présenté aux lecteurs de Pour Vous : « Le nouveau film de Danielle Darrieux ou le jeu du petit papier : Arlette, une petite orpheline s’échappe d’une maison de correction. Elle fait la connaissance par l’intermédiaire d’une annonce de journal d’un subtil professeur de vol à la tire. Saturnin Fabre, et de son plus brillant disciple, Carette. Il en résulte que, Arlette, embrigadée contre son gré dans une bande de pickpockets, tente de subtiliser dans un autobus, l’épingle de cravate de son Excellence André Luguet, ambassadeur… Il en résulte que l’ambassadeur engage Arlette à son service. Son Excellence a tout lieu de douter de la fidélité de son épouse Junie Astor, et la preuve de son infortune conjugale se trouve enfermée dans le boîtier de la montre d’un jeune attaché d’ambassade, Claude Dauphin… Il en résulte que, Arlette, en essayant de s’emparer pour le compte de l’ambassadeur de la montre du jeune diplomate, éprouve un sentiment imprévu, que l’amour naît en elle, qu’un monde nouveau s’entrouvre à ses yeux… Il en résulte Battement de cœur que réalise Henri Decoin. »

Premier Rendez-vous – Henri Decoin, (1941)

Reconnaissons une bonne foi que les points de départ de toutes ces comédies fabriquées pour Danielle se ressemblent étrangement : orpheline dans Abus de confiance et Battement de cœur, elle le sera encore dans Premier rendez-vous – et, par trois fois, elle pénétrera dans des milieux qu’elle pouvait croire inaccessibles, où sa présence agira aussitôt en puissant catalyseur, précipitant les intrigues et les quiproquos. Des trois films, Battement de cœur reste le plus frais et, le plus réussi. Il fuit le mélo et l’attendrissement, il rit tout du long et n’a pas pris une ride. Decoin avait su choisir des interprètes qui ne se bornent pas à être des faire-valoir de la vedette, mais qui jouent tous avec leurs tempéraments, leurs tics, leur personnalité plus ou moins dévorante, ils savent quand il faut en faire trop, ils devinent le moment où il faut mettre la sourdine – et, aux noms donnés plus haut, il faut ajouter ceux de Jean Tissier, diplomate distrait, et de Charles Dechamps, cocasse attaché d’ambassade. Ils mènent, entraînés par Danielle Darrieux, un train d’enfer, les scènes se succèdent sans temps morts, riches de gags, jusqu’à la dernière image, attendue, espérée, dans son ironique convention. Répit dans le milieu du film, Arlette-Danielle, étendue sur une chaise longue, au soleil du printemps parisien, seule, se met à fredonner une chanson : « Une charade… ». La chanson se mariait-elle trop bien à la douceur de cet instant privilégié, toujours est-il qu’elle accompagna bon nombre de spectateurs dans leurs tribulations au cours des quatre dures années qui suivirent et qu’elle les consola en leur rappelant les belles heures du paradis perdu et en les persuadant qu’ils les retrouveraient, pas tout à fait pareilles, mais encore chaudes et douces. Le message d’espoir que transmettait Battement de cœur rejoint la conclusion de Premier rendez-vous où la jeunesse prenait la relève. Pouvait-on mieux demander à des films dits de divertissement ? Un sourire, une chanson délivraient le meilleur des messages, celui du cœur et de l’esprit.

Premier Rendez-vous – Henri Decoin, (1941)

Il faut mentionner un projet des plus avancés, puisqu’en avril 1940, à Megève, Decoin tournait les scènes d’une nouvelle comédie Coup de foudre. Georges Rigaud était cette fois le partenaire de Danielle Darrieux. On retrouvait aussi André luguet. Le scénariste-dialoguiste restait Michel Duran. Tout cela fut rapidement balayé par le vent de la débâcle, comme un autre film que Decoin avait envisagé, tandis que Danielle Darrieux parlait à la radio pour les Américains – le titre : Ça n’est pas pour les enfants – l’histoire : celle d’une gosse de 16 ans, élevée dans le luxe et qui découvre tout à coup ce qu’il y avait dessous.

Premier Rendez-vous – Henri Decoin, (1941)

A-t-on assez épilogué sur ce titre : Premier rendez-vous   / dernière rencontre (ce ne fut pas d’ailleurs la dernière). La séparation de Darrieux et de Decoin était proche lorsqu’on tournait les aventures de la jeune Micheline. Succès énorme, acquis d’emblée, qui, sur les ailes d’une chanson, traversa toute l’occupation, autorisa après guerre les reprises, passa ensuite à la T.V. pour se convertir en dernier ressort en opérette. Succès dû sans doute au fait que le film mettait en avant de vrais jeunes – à cet égard le générique est la pépinière de nombreux talents qui ne demandaient qu’à s’épanouir -, triomphant dans le sourire et dans la gaieté, des directrices d’orphelinat, des proviseurs de lycée, des vieux professeurs sentimentaux et des vieilles filles refoulées. Une fois de plus Danielle Darrieux retrouvait ce personnage bien connu d’orpheline, qui, à la faveur de circonstances bizarres, se trouvait une famille et découvrait l’amour. Là encore une partie de l’équipe de Premier rendez-vous s’était reformée, mais la tendance « comédie » était plus nuancée, Premier rendez-vous au moins dans les deux premiers tiers sacrifiait un peu au sentimentalisme, avait moins de verve et de punch que le précédent film, mais jouait d’excellente façon sur l’équivoque et l’ambiguïté. Quand Micheline, échappée de son orphelinat, court à un rendez-vous par petites annonces et trouve dans un café, Fernand Ledoux – alias Monsieur Nicolas -, faut-il rire ou faut-il s’effrayer ?

Premier Rendez-vous – Henri Decoin, (1941)

Le décor, le jeu des acteurs, Ledoux patelin, Darrieux émue, la proximité d’un taxi, des arbres du bois, peuvent faire songer confusément à quelque rêve de maniaque qui s’achève dans une réalité bien sanglante. Tout l’art du metteur en scène est de nous avoir communiqué cette gêne, ce malaise, comme il saura au final du film, alors que le train emmène les amoureux, voiler l’allégresse de rigueur par la mélancolie du regard et des paroles de l’excellent Ledoux. Tout de même, aujourd’hui, l’anecdote paraît mince quoique gentille, et un peu languissante. Il faut toute la foule des élèves et des pensionnaires pour galvaniser dans le dernier quart d’heure une anecdote où, pourtant, Danielle Darrieux, s’était dépensée sans compter, et cet hymne à la jeunesse éclate à plein dans les flashes rapides célébrant l’athlétisme et la culture physique dans le cadre d’un moderne lycée. « La force par la joie » murmurèrent des esprits chagrins d’autant que Premier rendez-vous était produit par la Continental, filiale bien installée chez nous de l’U.F.A. berlinoise. Ce film très français – qualités aussi bien que défauts – eut une brillante carrière en Allemagne, mais, chose curieuse, la version allemande fut interdite à la jeunesse, et la version originale en français ne fut autorisée qu’à partir de 14 ans.

Premier Rendez-vous – Henri Decoin, (1941)

A partir de là, Henri Decoin va tourner cinq films dans des genres très différents, jusqu’à la libération, ne dédaignant pas d’adapter aussi des œuvres de Simenon et de célébrer une fois de plus la boxe dans Le Grand combat réalisé mollement en 1942 par Bernard Roland. [Henri Decoin – Raymond Chirat – Anthologie du cinéma (Avant-scène du cinéma, 1973)]


HENRI DECOIN : CÉSAR À L’HEURE ALLEMANDE
Les Inconnus dans la maison obtint un très beau succès. La publicité s’établit sur le nom de Raimu, regagnant les studios parisiens – à contre-cœur, semble-t-il – comme l’a prouvé ensuite le jeu du chat et de la souris qu’il mena avec les agents allemands de la Continental, mais aussi sur les tendances sociales de l’œuvre axées sur les problèmes de la jeunesse. Tout cela était déjà en puissance dans le roman de Simenon, cependant, à la sortie des Inconnus, un journal corporatif insistait dans son compte rendu sur le fait que « pour la première fois, le film soulève au cours d’une scène capitale, le problème de l’éducation morale de la jeunesse et de la responsabilité des parents ainsi que de la trop longue négligence des pouvoirs publics.»

HENRI DECOIN : FOLIE DOUCE ET CAS DE CONSCIENCE
Entre Les Inconnus dans la maison et Le Bienfaiteur, Henri Decoin, pour le compte de la Continental avait essayé de revenir à la formule enjouée et sentimentale qui avait fait la fortune de Premier rendez-vous. Il rassembla quelques jeunes acteurs qui ne demandaient qu’à s’épanouir : François Perier, Paul Meurisse, Ceorges Rollin, autour de Juliette Faber, dont le registre restait singulièrement limité. Cela s’appela Mariage d’amour et fut un échec retentissant, prévu par le metteur en scène lui-même qui, en dernier ressort, refusa de signer le film.



ABUS DE CONFIANCE – Henri Decoin (1937)
Ce film est un beau mélodrame. Selon la règle, il oscille entre le sordide et l’opulence, s’ouvre sur l’image d’un cimetière, trouve sa conclusion dans un prétoire. La vertu de Danielle Darrieux, orpheline de bonne éducation, éprouvée par la pauvreté, subit les pires assauts, et, si la jeune fille écoute les funestes conseils d’une amie, c’est à la fois par lassitude, par imprudence, et par goût secret du romanesque. Or, du moment où elle accepte l’idée d’un abus de confiance, où, tendant une correspondance jaunie, elle se présente comme l’enfant de l’amour d’un romancier célèbre, tout autour d’elle devient clair et fleuri.

RETOUR A L’AUBE – Henri Decoin (1938)
Un soir de mai 1938, une foule immense accueille à la gare Saint-Lazare Danielle Darrieux et de son mari de retour d’Hollywood. Ils commencent rapidement le tournage de ce qui va devenir le plus beau film de cette période, Retour à l’aube. Adapté d’une nouvelle de Vicky Baum, le film est tourné en partie en Hongrie. Le thème évoque les courts romans de Stefan Zweig par sa simplicité : Anita Ammer, femme du chef de gare d’une petite ville de province, doit se rendre à Budapest pour toucher un héritage. Elle y passera une nuit qui changera sa vie pour toujours.


PREMIER RENDEZ-VOUS – Henri Decoin (1941)
Micheline (Danielle Darrieux) rencontre l’homme avec lequel elle correspond depuis l’orphelinat, et dont elle est tombée amoureuse. Voyant sa déception, celui-ci, un vieux professeur (Fernand Ledoux) prétend être venu en lieu et place de son neveu (Louis Jourdan). Mis dans la confidence, d’abord réticent, celui-ci finira par épouser Micheline. D’une certaine manière, le scénario résume la forme. Premier Rendez-vous sera un film d’apparences.


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