Le Film français

ABUS DE CONFIANCE – Henri Decoin (1937)

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Abus de confiance est un beau mélodrame. Selon la règle, il oscille entre le sordide et l’opulence, s’ouvre sur l’image d’un cimetière, trouve sa conclusion dans un prétoire. La vertu de Danielle Darrieux, orpheline de bonne éducation, éprouvée par la pauvreté, subit les pires assauts, et, si la jeune fille écoute les funestes conseils d’une amie, c’est à la fois par lassitude, par imprudence, et par goût secret du romanesque. Or, du moment où elle accepte l’idée d’un abus de confiance, où, tendant une correspondance jaunie, elle se présente comme l’enfant de l’amour d’un romancier célèbre, tout autour d’elle devient clair et fleuri. Adieu gargottes, adieu meublés douteux et vous louches officines, à nous l’hôtel particulier, le jardin aux allées ratissées, le cabinet de travail propice et quiet : la félicité ne s’acquiert que dans l’imposture, le bonheur s’identifie sur la tromperie. Le dénouement survient, rapide sinon ingénieux : le triomphe de l’avocate qui défend avec quelle éloquence et quel tact une jeune délinquante coupable de la même faute qu’elle, rejoint des précédents célèbres. Le tribunal pour enfants d’Abus de confiance renvoie à la Cour d’Assises du Coupable où le procureur doit requérir contre son fils naturel, et à combien d’autres scènes à grande figuration où la Croix de ma mère sert à découvrir le pot aux roses enfoui sous les toques et les toges. Réservé aux âmes sensibles, le film combine la mansuétude de Charles Vanel, l’indulgence de Valentine Tessier, et l’espièglerie mesurée de Pierre Mingand pour sécher les larmes et ramener le sourire de Danielle. [Anthologie du cinéma – Decoin par Raymond Chirat (Avant-Scène du cinéma, 1973)]

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Abus de confiance, est tourné dans la foulée de Mademoiselle ma mère. Son scénariste, Pierre Wolff, vient du théâtre, où il a signé quelques pièces honorables. Dans sa présentation du film, Decoin lui rend un hommage presque un peu trop appuyé : « Le texte de Pierre Wolff est déjà pour moi un grand ami, un ami sincère et désintéressé… Le jour où les auteurs dramatiques comprendront que, sur le plateau d’un studio, on y peut créer la vie comme sur le plateau d’un théâtre, ce jour-là le cinéma ne sera plus seulement une industrie, mais aussi un art. Pagnol la prouvé, Yves Mirande la démontré, et aussi Jacques Deval et Sacha Guitry… Demain, à ces noms-là, on ajoutera celui de Pierre Wolff, car, techniquement et littérairement, de la première à la dernière image, Abus de confiance est un film de Pierre Wolff. » [Henri Decoin – Bibliothèque du film – Durante – Collection Ciné-Regards (2003)]


Extrait n° 1

L’histoire : Lydia (Danielle Darrieux), qui vient d’enterrer sa grand-mère, est désormais seule à Paris. Étudiante en droit, elle ne reçoit aucun témoignage d’amitié de ses camarades. Alice (Yvette Lebon), sa seule amie, la pousse à se faire passer pour la fille d’une ancienne amante de Jacques Ferney (Charles Vanel )dont elle a retrouvé le journal. Criblée de dettes, Lydia repousse les ignobles avances de son logeur, et se résout à se rendre chez Ferney, mais ne parvient pas à mentir. Celui-ci la relance chez elle, tout comme Pierre (Pierre Mingand), un de ses étudiants, déjà amoureux de Lydia. Mme Ferney (Valentine Tessier) soupçonne quelque chose, Ferney lui avoue tout. Lydia s’installe chez les Ferney, où elle apporte joie et jeunesse. Mme Ferney, qui a des soupçons, comprend auprès d’Alice que Lydia n’est pas la fille de Ferney. Mais pour sa première  d’avocate Ferney. Lydia défend une jeune fille qui a commis un crime comparable au sien. Elle est si convaincante que Mme Ferney cache la vérité à son mari, et les deux femmes décident de garder le secret.

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La première partie nerveuse, morcelée en courts épisodes, propose une série de cartes postales de genre : l’inconnu du cimetière trop poli pour être honnête, le logeur libidineux, le patron cauteleux, le bon copain qui a des idées derrière la tête. Le Paris de 1936 reparaît dans ces croquis, avec les étudiants qui parcourent les couloirs de la Fac de Droit, faluche sur la tête, aux accents du monôme, les petits restaurants du quartier Latin, les hôtels à enseignes lumineuses de Luna-Park. L’héroïne, fraîche, sage et triste, traverse avec un désespoir de bonne compagnie les vicissitudes imposées par ces différents décors et l’atmosphère est épaisse, louche et équivoque. Le crime n’est pas loin. Le temps s’y prêtait. Violette Nozière, la parricide, avait passionné les foules peu d’années avant et Weidmann allait entamer sa série d’assassinats. On regrette que Decoin inspiré par la pluie, les flaques, les escaliers tristes qui annoncent les coins de rues lugubres de la petite ville des Inconnus… ou les reflets dans l’eau du port de L’Homme de Londres ait dû transporter son héroïne à Neuilly ou à Auteuil, parmi le marbre, la soie et le tulle : il n’y a plus de surprise dans cette belle lumière et le film coule, limpide, jusqu’à l’heureuse conclusion. Revenant sur l’impression laissée par l’inquiétant début, on pense à ces boîtes de peinture qui proposaient autrefois aux enfants des couleurs sans danger. Abus de confiance s’imposa tout de suite. Il venait à son heure: celle des grandes enquêtes journalistiques menées par Alexis Danan, chroniqueur généreux et chaleureux, sensible aux misères et à l’existence précaire d’une certaine jeunesse. [Anthologie du cinéma – Decoin par Raymond Chirat (Avant-Scène du cinéma, 1973)]


Extrait n° 2

Les séquences consacrées à la descente aux enfers progressive de Lydia, qui ne parvient pas à trouver un travail, sont à l’image de cette rébellion farouche dans le refus absolu de l’abandon de soi, de sa morale, dans un monde voué au trivial, où les meilleures intentions peuvent cacher de sourdes envies. Dans un plan saisissant, on voit Lydia faisant sa toilette derrière son paravent, et son logeur qui, ignoblement, la guette par le trou de la serrure. La grâce et le vice. Mais aussi une attention très moderne à l’obscénité du quotidien, une sorte de populisme malveillant qui, c’est sûr, n’a plus rien à voir avec les ambiances fofolles de Mademoiselle ma mère et autres frivolités. On devine que, par amour plus que par scrupule, Decoin refuse à Lydia le destin sadien que sa déchéance prévisible pourrait suggérer. Ce doute même laisse un parfum dérangeant, à l’image de cette silhouette en noir qui parcourt les rues d’un triste Paris – où les hôtels ont encore des chambres « à la journée, à l’heure », et où les chanteurs des rues font des succès de refrains plutôt maussades. [Henri Decoin – Bibliothèque du film – Durante – Collection Ciné-Regards (2003)]


Extrait n° 3

Toute la partie où se monte et s’alimente la supercherie appartient effectivement à Pierre Wolff, comme le suggère Decoin. Malheureusement : le rythme devient pesant, démonstratif à l’excès et évoque, en moins bien, des scènes comparables du futur Premier Rendez-vous. On attend, avec impatience, la résolution du drame : Lydia, devenue avocate, doit défendre, pour sa première affaire, une femme qui a commis à peu près le même mensonge qu’elle. Au départ, on craint le pire – pour le récit comme pour l’actrice : trop jeune, trop solennel, trop mélo, trop décalé, trop « scène à faire ». Et puis, le miracle s’accomplit. Une jeune donzelle de 20 ans vous arrache des larmes comme si elle en avait quarante. Une actrice habituée aux rôles de jeune vierge alterne presque sans effort la ruse et la sincérité, pleinement consciente des pièges de sa prestation – peut-être pas dupe au fond, de ce ressort conçu pour le théâtre (comme toute scène de tribunal), mais pas forcément cinématographiquement pertinent. [Henri Decoin – Bibliothèque du film – Durante – Collection Ciné-Regards (2003)]


Extrait n° 4


Extrait n° 5

Abus de confiance est un film de couple, d’une totale confiance entre deux êtres qui sont comme en symbiose et qui, parallèlement à leur carrière cinématographique, multiplient les activités : grâce à Decoin, Danielle Darrieux monte pour la première fois sur scène, dans une pièce signée par son mari. « Jeux dangereux », pièce en trois actes, est créée le 5 janvier 1937 à la Madeleine (après l’avoir été à Bruxelles à la fin de l’année précédente). Danielle Darrieux y a pour partenaires Fernand Fabre, Enrico Glory et Marcel Delaître. La pièce est une comédie où deux amants qui s’adorent se suicident et se ratent, avant que l’amour ne triomphe.
Par ailleurs, sur le tournage de Port-Arthur dont, on l’a vu Decoin était scénariste, Danielle Darrieux a été approchée par Universal pour venir tourner à Hollywood. Les pourparlers finissent par aboutir ; elle signe un contrat de sept ans, qui lui permet de retourner en France tous les ans pour y tourner un film, et assure à son mari un droit de regard sur le choix des scénarios et des autres interprètes. Le 22 septembre 1937, Danielle Darrieux embarque sur le Normandie en compagnie de son mari. De nombreux artistes font, à peu près au même moment, le voyage, comme Duvivier, qui tournera le brillant mais impersonnel The Great Waltz (1937) ou Fernand Gravey, qui voyage en compagnie du couple, sur le même paquebot.
Dans une interview donnée en juin 1937, Decoin présage avec confiance de la future carrière internationale de sa femme : « Danielle ne doit aux Américains que huit semaines et deux films par an, tout en s’expatriant quelques mois chaque année, elle entend bien rester une française et une vedette du cinéma français. Elle fera aux Etats- Unis des films destinés aux Américains et en France des films destinés aux Français. » [Henri Decoin – Bibliothèque du film – Durante – Collection Ciné-Regards (2003)]

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