L’usine à rêves d’Hollywood ne sait pas seulement adapter pour le grand écran des contes glamour pour adultes, elle sait aussi décrire ce qui se passe en marge de la société, preuve de la faculté d’adaptation des plus grands studios cinématographiques du monde. Call Northside 777 (Appelez Nord 777) appartient à ces drames sociaux qui racontent des histoires de laissés-pour-compte. Son réalisme social minimaliste fascine par sa complexité inhabituelle : à côté d’emprunts aux films de gangsters, de détectives, de tribunaux et de reporters, des stratégies quasi documentaires veillent à l’authenticité et à la crédibilité du récit. Les sites de tournage ont été soigneusement sélectionnés, les milieux sont décrits avec une grande justesse et adaptés à un cadre historique qui souligne l’intégrité de l’ensemble. Au début film, l’annonce rappelant que l’histoire repose sur des faits réels est on ne peut plus crédible.

À Chicago, pendant la prohibition, deux immigrés polonais, Frank Wiecek (Richard Conte) et Tomek Zaleska (George Tyne), sont condamnés à la prison à perpétuité pour le meurtre d’un agent de police, bien que les circonstances du drame ne soient pas claires. Onze années passent avant qu’un journaliste du Chicago Times ne s’intéresse à leur sort et se batte pour la réhabilitation des deux hommes. Mais le chemin va être long et parsemé d’embûches, car rien ne s’obtient facilement à Chicago – encore moins la vérité et la justice. Il semble que cette ville n’abrite que des flics corrompus et des juges indifférents, des petits truands égoïstes et des ouvriers désespérés ; puis arrive un reporter du nom de McNeal (James Stewart), un homme arrogant qui, face à cette catastrophe humaine, va découvrir la compassion à l’image de conversion de Saül sur le chemin de Damas.

Dans la mise en scène de la ville, les existences tortueuses de ses habitants deviennent une métaphore visuelle. La caméra expressive et naturaliste de Joseph MacDonald joue avec l’ombre et la lumière, les contrastes abrupts, les compositions verticales, les structures en grille et en treillis et les vues en plongée, pour générer avec brio une sensation oppressante et claustrophobe. Et au milieu de tous ces gratte-ciel à l’air menaçant, de ces couloirs qui semblent ne jamais vouloir finir, de ces arrière-cours obscures et de ces pauvres intérieurs, Tillie Wiecek (Kasia Orzazewski) se bat en femme droite et sûre d’elle pour que justice soit faite à son fils, Frank.

Depuis des années, elle met de côté chaque cent péniblement gagné pour prouver l’innocence de son fils. Lorsque McNeal lui rend visite après avoir lu une annonce promettant une récompense à quiconque fournira des informations sur le véritable meurtrier de l’agent de police, l’horrible détresse de cette mère émeut le spectateur. Et son fils Frank n’est pas mieux loti : depuis longtemps résigné à son sort, il a convaincu sa femme de divorcer pour lui rendre la vie plus facile, à elle et à son fils. [Film Noir 100 All-Time Favorite – Paul Duncan, Jürgen Müller – Edition Taschen – (2013)]

Bien que le journal cherche inflexiblement à faire éclater la vérité sur a sur l’affaire Wiecek, les efforts de McNeaI pour élucider l’affaire sont sans cesse battus en brèche. Là où vérité et justice doivent se plier à des intérêts individuels égoïstes au mépris des valeurs de la vie en société, il ne reste plus qu’à se fier à une technologie quasi fétichiste : place aux détecteurs de mensonge et aux instruments photographiques pour établir la vérité. Et si l’espoir reste vivace à la fin de ce remarquable film, c’est en grande partie à ce genre d’appareils. [Film Noir 100 All-Time Favorite – Paul Duncan, Jürgen Müller – Edition Taschen – (2013)]


LE DOCU-NOIR
Quand les films noirs commencèrent à mêler les scènes en studio à celles tournées en extérieurs et à s’inspirer de plus en plus de faits divers puisés dans la presse ou les archives publiques, leur style changea et le néoréalisme italien rejoignit l’expressionnisme allemand et le réalisme poétique français sur la liste des mouvements cinématographiques affilés.
Tourné dans un style réaliste, presque à la manière d’un documentaire, Call Northside 777 est un bon exemple de « journalisme noir ». On y dépeint le monde violent d’un quotidien et James Stewart campe le reporter cynique uniquement intéressé par les bons sujets d’articles. Mais son cynisme décroît au fur et à mesure qu’il se convainc de l’innocence de Wiecek. Ses opinions ont en fait, peu d’importance ; ce sont la police, la commission de mise en liberté surveillée et les politiciens qui établissent les règles du jeu.

Le rôle de la police est particulièrement intéressant : non qu’elle soit véritablement corrompue, mais plutôt qu’elle déteste être mise en tort, d’autant que Wiecek est accusé d’avoir tué un de ses hommes. Au lieu d’aider Mc Neal dans ses recherches, elle ne cesse de dresser des obstacles supplémentaires et, par exemple, lui interdit de consulter des pièces qui pourraient lui être utiles alors qu’elles sont normalement disponibles au public. Plus Mc Neal s’intéresse à l’affaire, plus il s’aperçoit que la justice et l’appareil judiciaire sont deux choses différentes. Lorsque le journal constate que le principal témoin à charge s’accroche à sa version des faits, il décide d’abandonner une bataille perdue d’avance. Mc Neal en fait alors son affaire personnelle et recherche inlassablement une pièce à conviction qui puisse libérer Wiecek ; celui-ci ne représente plus seulement un bon sujet d’article, mais sa conscience.

Sa victoire, par conséquent, symbolise certes une conquête judiciaire, mais plus encore, le triomphe d’un homme qui s’est dressé en solitaire face aux appareils de l’état. Comme dans bien des films noirs, l’intrigue n’est pas toujours parfaitement agencée : Wanda Skutnik, qui est évidemment coupable de parjure, restera toujours sur ses positions et ne sera pas inquiétée. L’ex-femme de Wiecek remariée depuis longtemps, se désintéresse complètement de la liberté nouvellement conquise de son premier mari qui ne peut donc voir son fils que de temps en temps le week-end. Quant à Wiecek, on ne peut lui rendre les onze ans perdus en prison, mais au moins, sa mère n’aura pas dépensé 5000 dollars pour rien ! [Encyclopédie du film Noir – Alain Silver et Elizabeth Ward – Ed Rivages (1979)]

L’histoire
Une femme fait passer une petite annonce dans un journal de Chicago, offrant une récompense de 5.000 dollars à quiconque pourrait obtenir des renseignements pour faire sortir son fils de prison. L’annonce est remarquée par un des rédacteurs qui envoie Mc Neal (James Stewart), reporter cultivant le genre cynique, pour en savoir plus. Il découvre que la femme, Tillie (Kasia Orzazewski), a passé onze ans de sa vie à frotter les planchers, épargnant chaque sou pour amasser ces 5.000 dollars. L’affaire prenant un intérêt humain d’ordre général, le journal décide de se lancer dans une campagne pour la libération du fils. Mc Neal se rend à la prison d’état et a un entretien avec Frank Wiecek (Richard Conte) ; celui-ci a été condamné à renfermement à perpétuité pour le meurtre d’un policier au cours d’un vol dans une épicerie. Wiecek ne cesse de répéter qu’il a été faussement accusé et que, le jour du vol, il était à lu maison avec sa femme. L’accusation se basait sur le fait qu’il avait été identifié par une femme nommée Wanda Skutnik (Betty Garde) qui l’aurait vu sur le lieu du crime, Mc Neal obtient de faire passer Wiecek au détecteur de mensonges, et l‘expérience est favorable au prisonnier. Puis, le journal publie une interview de l’ex-femme et du fils de Wiecek, avec leurs photos en première page. Ceci a pour effet de rendre Wiecek terriblement inquiet et il insiste pour que le journal laisse tomber l’affaire, craignant de mettre en danger l’avenir de son fils. Mc Neal, convaincu de son innocence se met à la recherche de Wanda Skutnik. Elle s’en tient à sa version et la police refuse de fournir à Mc Neal les documents dont il a besoin. Le journal décide de s’en tenir là, faute de preuves suffisantes pour disculper Wiecek mais Mc Neal retrouve une photographie qui avait été publiée dans la presse où l’on voit Wanda Skutnik et Wiecek marchant côte à côte au poste de police. II demande à nouveau à être entendu par la commission et finit par la persuader grâce à la date du cliché qui apparaît sur un agrandissement, que Wanda avait vu Wiecek au moment de son arrestation et non au moment du crime. Wiecek est libéré et Mc Neal assiste à ses touchantes retrouvailles avec son fils…

Les extraits

LE FILM NOIR
Comment un cycle de films américains est-il devenu l’un des mouvements les plus influents de l’histoire du cinéma ? Au cours de sa période classique, qui s’étend de 1941 à 1958, le genre était tourné en dérision par la critique. Lloyd Shearer, par exemple, dans un article pour le supplément dominical du New York Times (« C’est à croire que le Crime paie », du 5 août 1945) se moquait de la mode de films « de criminels », qu’il qualifiait de « meurtriers », « lubriques », remplis de « tripes et de sang »… Lire la suite
Le film noir documentaire
Dans sa critique de T-Men, 1948 (La brigade du suicide), Variety évoque l’utilisation de la technique « March of Time ». Cela confirme l’impact du style de The March of Time, programme d’actualités diffusé d’abord à la radio, puis dans les cinémas, du début des années 1930 jusqu’à l’après-guerre. Produit par les frères Louis et Richard de Rochemont en association avec le magazine Time, ce programme de vingt minutes combine des images d’actualité, des interviews et quelques reconstitutions, méthode encore employée de nos jours par la télé-réalité. Louis de Rochemont finit par passer à la production de longs métrages pour la 20th Century Fox. Bien qu’il n’ait produit que quelques films noirs – à commencer par The House on 92nd Street, 1945 (La Maison de la 9e rue) et Boomerang ! 1947 -, le style documentaire appliqué à des enquêtes criminelles se propage rapidement à d’autres productions de la Fox, telles que Call Northside 777, 1948 (Appelez nord 777) et The Street with No Name, 1948 (La Dernière Rafale), puis à d’autres studios. Le film policier domine la production de l’âge d’or du film noir pendant une période relativement brève, avant de se convertir à la télévision. L’un des meilleurs est peut-être The Naked City, 1948 (La Cité sans voiles) de Mark Hellinger et Jules Dassin. Comme T-Men, ce film est basé sur des faits réels choisis parmi les « huit millions d’histoires » que compte New York et s’inspire notamment du photo-journalisme cru d’Artur Fellig, alias « Weegee ». La collaboration suivante entre Mann (non crédité) et Alton, intitulée He Walked by Night, 1948 (Il marche dans la nuit), débute par une brève récapitulation des méthodes de la police de Los Angeles, dans le style de The Naked City. Trois ans plus tard, l’un des principaux acteurs du film, Jack Webb, crée la plus célèbre des séries consacrées au quotidien d’un policier, Badge 714 ou Coup de filet (Dragnet) dont sera tiré en 1954 un long métrage éponyme, l’un des tout derniers policiers de l’âge d’or du film noir. [Film Noir 100 All-Time Favorite – Paul Duncan, Jürgen Müller – Edition Taschen – (2013)]

KISS OF DEATH (Le Carrefour de la mort) – Henry Hathaway (1947)
Un gardien de prison fait sa ronde devant une cellule. L’un des deux pensionnaires se tord le cou pour voir le maton passer. « Regarde-moi ce minable qui fait sa patrouille », crache-t-il de sa voix bizarrement aiguë. « Pour un nickel que je te le chope, j’lui enfonce les pouces dans les yeux et je serre jusqu’à ce qu’il tombe raide. » Puis il part d’un gloussement qui ressemble aux bêlements en staccato d’un saxo alto grinçant. C’est Kiss of Death, le loser qui moisit en taule est Tommy Udo, et l’acteur qui injecte à Tommy ce ton nouveau de démence n’est autre que Richard Widmark.

NIAGARA – Henry Hathaway (1953)
Tourné au pied des plus célèbres chutes du monde, le dix-huitième film de Marilyn lui permet d’accéder enfin au statut de star. Magnifiquement filmée par le vétéran Henry Hathaway, la comédienne y prouve qu’il va falloir désormais compter avec elle.
- LIFEBOAT – Alfred Hitchcock (1944)
- I DIED A THOUSAND TIMES (La Peur au ventre) – Stuart Heisler (1955)
- BARBARA STANWYCK
- ALL ABOUT EVE (Ève) – Joseph L. Mankiewicz (1950)
- [AUTOUR DE « L’IMPOSTEUR »] HOLLYWOOD S’EN VA-T-EN GUERRE
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