L’ÉTRANGE MONSIEUR VICTOR – Jean Grémillon (1938)
C’est l’un des films les plus passionnants de Jean Grémillon, de par les multiples tensions qui le nourrissent. Tension, d’abord, entre le réalisme documentaire des extérieurs, tournés à Toulon, et la stylisation quasi expressionniste des intérieurs, réalisés aux studios de Berlin. Entre le pittoresque provençal des scènes de groupe avec les bons mots du dialoguiste Charles Spaak, digne de Marcel Pagnol, et la noirceur d’une intrigue de roman noir. Tension, enfin, entre les comédiens eux-mêmes, dont les interprétations respectives semblent provenir d’époques différentes : à l’emphase de Pierre Blanchar, qui donne parfois l’impression de se croire encore dans un film muet, s’oppose le jeu plus naturel, déjà tellement moderne, de Viviane Romance en fausse femme fatale et de Georges Flamant en truand beau parleur. Raimu, tour à tour bonhomme et rusé, attendri et cruel, fait la synthèse de tous ces styles dans un numéro d’acteur sidérant, qui entretient le doute en permanence sur les motivations de son personnage. [Samuel Douhaire – Télérama (mars 2021)]
