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DU RIFIFI CHEZ LES HOMMES – Jules Dassin (1955)

Le cinéaste Jules Dassin, exilé en France pour cause de maccarthysme, tourne, un an après Touchez pas au grisbi, l’autre film « noir » qui va révolutionner le genre en France. Contrairement à Jacques Becker, il décrit minutieusement le casse d’une bijouterie. De toute évidence, le cinéma de Jean-Pierre Melville (Le Cercle rouge et même Un flic) va naître de cette longue ­séquence, mise en scène avec rigueur et brio. Trente minutes parfaites, quasi muettes, dont l’intensité est renforcée par les bruits, les sons, les chocs, les souffles. Dassin se parodiera joliment, en filmant, dix ans plus tard, le vol de la dague dans Topkapi. Jean Servais, bien oublié aujourd’hui, est au moins aussi bon que Gabin chez Becker. Et on garde un petit faible pour Magali Noël qui chante Le Rififi, sur une musique de Georges Auric. [Pierre Murat – Télérama]

LE DÉSORDRE ET LA NUIT – Gilles Grangier (1958)

Sorti en mai 1958, ce film de Gilles Grangier met en scène un inspecteur de police qui, pour avoir du flair, n’en est pas moins très éloigné de la rigueur d’un Maigret. L’occasion pour Gabin d’une composition inédite, face à deux actrices d’exception. Tout est osé pour l’époque dans ce polar dur et tendre qui s’ouvre sur le visage en sueur d’un batteur de jazz noir dont le solo enflamme un cabaret du 8e arrondissement.

Gilles Grangier était particulièrement fier de cette « histoire d’amour sans eau de rose » où Jean Gabin est un flic fatigué qui tombe amoureux d’une toxico de la moitié de son âge. Ça va vite entre eux : à peine l’a-t-il rencontrée, pour l’interroger sur la mort de son ex-amant, qu’au mépris de toute éthique il la suit à l’hôtel et couche avec elle. « Vous l’embarquez ?, s’étonne le gérant du club, qui les voit partir ensemble. – C’est elle qui m’embarque », répond Gabin. On est loin du cinéma de papa, classique et puritain, même si Gilles Grangier a été méprisé par les jeunes insolents de la Nouvelle Vague… Qui dit toxicomanie dit dealer, et là c’est le pompon, car la morphine est fournie par une pharmacienne apparemment respectable (Danielle Darrieux !). Son affrontement final avec Gabin est une merveille d’acidité, dialoguée par Michel Audiard. Dans cette « perle du film noir », dixit Bertrand Tavernier, les bourgeoises sont bien plus toxiques que les malfrats. [Guillemette Odicino – Télérama]