LE RÉALISME DÉPRESSIF
On a beaucoup écrit depuis une quarantaine d’années sur le réalisme fantastique de cet avant-guerre. On en a répertorié les figures : la thématique « chienne de vie », on n’échappe pas à son destin, et l’esthétique : les rues sombres, les ports, les pavés mouillés, la musique triste et belle de Maurice Jaubert, et les mugissements embrumés des sirènes… Ce sont les sirènes des bateaux qu’on ne prend pas, à Alger ou au Havre, puis, après la guerre (car le genre vivra longtemps, de plus en plus convenu, jusqu’à s’épuiser dans les « série noire » des années 1950), à Anvers ou à Hambourg – ou bien les sirènes des usines où on ne travaille plus.
Quai des brumes, Gueule d’amour, Hôtel du Nord, La Bête humaine, Le Jour se lève… Ce n’est certes pas chaque fois le même film. Mais c’est la même désespérance, la même conscience de l’inutilité tragique de la volonté. L’amour est un leurre : il prolonge l’agonie et rend la mort – l’arrachement, l’exclusion – encore plus difficile.
[Jean Pierre Jeancolas – Le Cinéma des français (15 ans d’années trente : 1929 /1944) – Ed. Nouveau Monde (2005)]