Au début du New Deal. Hollywood réagit à la période noire de la crise économique par des films ou le réalisme. les sentiments forts et l’esprit d’aventure composaient une sorte d’« optimisme de la volonté ».

L’arrivée du parlant, qui coïncida aux Etats-Unis avec la Dépression, favorisa la popularité de vedettes incarnant des personnages « quotidiens » avec lesquels les spectateurs pouvaient s’identifier. Très différents des inaccessibles stars du muet, les jeunes vendeuses et les vaillants garçons de province qui peuplaient désormais les écrans vivaient la crise, montrant parfois comment résoudre les problèmes de l’heure.



Will Rogers, le porte-parole du peuple
Will Rogers, peut-être plus qu’aucun autre acteur, sut exprimer à travers ses personnages les espoirs de chaque Américain. Né en 1879 dans l’Oklahoma, Rogers pratiqua divers métiers avant de trouver sa voie dans le cinéma : il fut cow-boy, marin, acteur de variétés dans les « Wild West Shows » ; il participa aux fastueux spectacles de Flo Ziegfeld à Broadway. Il excellait dans les numéros de cow-boys, notamment dans les traditionnels exercices au lasso.

Mais sa spécialité était de commenter avec humour les événements du jour et l’actualité politique. Ses commentaires radiodiffusés, fort prisés du public, notamment celui des campagnes et des petites villes de province, commençaient invariablement par ces mots : « Tout ce que je sais, c’est que je l’ai lu dans les journaux ! » Suivait, non moins invariablement, une critique en règle de la façon dont la presse déformait les faits.

Hollywood approuvait ouvertement le conservatisme de Rogers et William Hays déclara : « Voici le cow-boy qui a conquis Broadway et qui a quelque chose dans la tête. » Dans son dernier film muet, A Texas Steer (1927) il incarnait un propriétaire de ranch qui, une fois élu au Congrès, réglait toutes les questions en très peu de temps. Mais son principal talent – savoir parler avec simplicité des problèmes de chacun – ne put être pleinement exploité qu’avec l’arrivée du parlant.

Son rôle de porte-parole du peuple dans des films comme Down to Earth (1932), dans lequel il proposait des solutions à la crise, exerça une certaine influence sur l’élection du président des Etats-Unis, la même année. Il est certain qu’il ne fut jamais aussi populaire que durant la campagne électorale de Roosevelt et il venait alors en neuvième place dans la cote de popularité hollywoodienne. Cette année-là, le Motion Picture Magazine consacra quelques lignes très élogieuses à Rogers : « Les républicains parlaient d' »allocation chômage », les démocrates de « mesures nécessaires » : tous promettaient de rassasier les affamés… Will Rogers, cow-boy comique chez Ziegfeld et acteur de cinéma, mâchait son chewing-gum et agissait… Il commença à travailler alors que le reste du pays se contentait d’avancer des propositions généreuses. En un seul mois, Will Rogers a donné à manger à 150 000 habitants de l’Arkansas… Motion Picture Magazine est fier de parler de lui comme du citoyen américain le plus méritant. »

Après une carrière dans le muet au service de Samuel Goldwyn, Will Rogers fut engagé par la Fox et obtint un immense succès dans des films comme A Connecticut Yankee (1931) réalisé par David Butler, Ambassador Bill (1931) de Sam Taylor, State Fair (La Foire aux illusions, 1933) de Henry King et Judge Priest (1934) de John Ford. Il devait mourir l’année suivante, dans un accident d’avion, après avoir tourné Steamboat Round the Bend, également réalisé par John Ford. L’histoire de sa vie fut portée à l’écran dans The Will Rogers Story (1952) dont l’interprète principal fut son propre fils, Will Rogers Jr.



Des héros contre la corruption
Un nouveau personnage cinématographique vit alors le jour, dans l’esprit de celui qu’incarna Will Rogers: celui de l’homme taciturne, fier, attaché aux traditions. Il apparut tout particulièrement dans les westerns sous les traits d’une nouvelle génération d’acteurs dont Gary Cooper, Henry Fonda et Joel McCrea furent les principaux représentants.

Le type du héros profondément enraciné dans son milieu provincial fit également son apparition dans des films plus ambitieux. Gary Cooper, par exemple, fut le personnage principal de Mr. Deeds Goes to Town (L’Extravagant M Deeds, 1936), réalisé par Frank Capra, dans lequel il incarnait l’héritier d’une importante fortune qui décide d’aider les victimes de la crise. Dans ce film, comme dans son film suivant, Mr. Smith Goes to Washington (M. Smith au Sénat, 1939), interprété par James Stewart, Capra montrait un jeune homme arraché à sa petite ville de province et entraîné dans la capitale par des opportunistes prêts à profiter de sa naïveté. Dans la jungle des affaires et de la politique, M. Deeds et M. Smith luttaient pour les principes sacrés de la constitution américaine et dénonçaient la corruption.

Les grandes cités étaient effectivement considérées comme des « jungles » et les films de gangsters du début des années 1930 ne furent pas les seuls à en illustrer la dureté. Dans No Greater Glory (Comme les grands, 1934), un réalisateur d’une grande sensibilité, Frank Borzage, montra combien la jeunesse des ghettos avait peu de chance d’échapper à la délinquance. Dead End (Rue sans issue, 1937) de William Wyler fut aussi un plaidoyer pour les enfants victimes de la misère engendrée par les grandes cités.



Les films-constats
La situation particulièrement difficile des femmes dans la crise ne fut pas escamotée par le cinéma, bien au contraire : toute une génération d’actrices rendit compte de leurs âpres combats, de leurs échecs et aussi, parfois, de leurs succès. Comme l’écrivit Marjorie Rosen : « Les femmes furent les agneaux sacrifiés sur l’autel de la crise. » Les souffrances morales – voire physiques – que subissaient ces nouvelles héroïnes de l’écran consolaient de leurs problèmes les jeunes spectatrices.

Molly Haskell explique dans son livre From Reverence to Rape que la crise engendra tout naturellement ces personnages féminins combatifs, prêts à agir et à réagir. Et il serait en effet difficile de trouver des femmes plus réalistes que les héroïnes de Five or Ten Cent Annie (1928) ou de The Girl from Woolworths (1929). Ce genre de films fut très populaire et d’un bon rapport pour la RKO et la MGM. Les « confessional films » – c’est ainsi qu’on qualifiait ces mélodrames – étaient conçus non seulement pour faire rêver les jeunes spectatrices qui se pressaient dans les salles, mais aussi pour les inciter à la nécessaire rigueur qu’exigeait cette période de crise économique.

Le film Common Clay (1930) dans lequel Constance Bennett et Lew Ayres s’affrontent au tribunal pour obtenir la garde de leur fils illégitime, servit de modèle aux autres mélodrames interprétés par cette actrice : Sin Takes a Holiday (1930), Born to Love (1931), The Common Law (1931), The Easiest Way (Quand on est belle, 1931) et Rockabye (1932). Sous le titre « L’amour contre le luxe », le New York Times publia un compte rendu du film The Easiest Way (dans lequel Clark Gable avait un petit rôle) et fournit une des description exhaustive du film-confession type : « C’est l’histoire de la famille Murdock dont le père, un docker au chômage, et de toute évidence un bon à rien, se fait entretenir par ses enfants. Sa fille Laura (Constance Bennett), employée dans un grand magasin, est engagée comme modèle par un dessinateur publicitaire (Adolphe Menjou). Rapidement, Laura se met à apprécier une existence facile et luxueuse… Au cours d’un voyage dans l’Ouest, elle rencontre Madison (Robert Montgomery) et tombe amoureuse de lui. Elle décide de renoncer à sa vie confortable et d’affronter à nouveau les restrictions économiques, en attendant que l’homme qu’elle aime la rejoigne. A la fin, obligée de retourner chez Menjou, Laura, pour résoudre ses problèmes, ne peut que choisir « la voie la plus rapide » : le suicide ! »

A la Paramount, George Cukor, un réalisateur qui allait devenir célèbre, mettait en scène un scénario semblable. Dans Tarnished Lady (1931) Tallulah Bankhead, dans le rôle d’une femme déchue et ruinée, se marie par intérêt. Elle devient amoureuse de son mari (Clive Brook) mais l’abandonnera plus tard pour se réaliser dans la maternité et le travail. Finalement, elle reprendra la vie commune après que celui-ci aura été ruiné par le krach de 1929.



Arrivistes et victimes
Bankhead joua ensuite dans Faithless (1932) pour la MGM, un film dans lequel, selon la critique de l’époque, elle n’était que sexe et dépravation ! Autres femmes « victimes » des films de cette même compagnie : Joan Crawford qui assume ce rôle dans Posseded (Fascination, 1931) aux côtés de Clark Gable, et Helen Twelvetrees héroïne d’une série de films aux titres symboliques comme Unashamed (littéralement « sans honte »), Compromised (« compromise »), tous deux de 1932 et Disgraced (« déshonorée »), en 1933. Pour les producteurs, mais également pour le public, des actrices comme Joan Crawford, Norma Shearer, Helen Twelvetrees et Constance Bennett incarnaient le type de la femme ayant fait son chemin dans la vie, malgré les difficultés, et qui, ayant atteint un niveau social élevé, vit dans le regret et le remords d’avoir renié ses origines modestes. Ce qui amenait les jeunes vendeuses ou employées à penser que le meilleur choix était encore d’épouser le « garçon de la porte d’à côté », c’ est -à-dire un homme de la même extraction sociale.

Un peu plus tard, Sylvia Sidney, Bette Davis, Ann Sheridan et Alice Faye vinrent rejoindre le peloton des victimes. Dans Dead End, Sylvia Sidney lutte aux côtés du syndicat contre un patronat brutal, tout en élevant, avec bien des sacrifices, son jeune frère qui vit dans le ghetto sinistre de l’East Side de New York. Dans Marked Woman (Femmes marquées, 1932), Bette Davis, entraîneuse dans un night-club, est punie de manière horrible pour avoir témoigné contre un chef de gang. De son côté, Joan Blondell fit carrière en jouant des rôles d’arrivistes, notamment dans Millie (1931). C’est encore elle qui, dans Gold Diggers of 1933 (Chercheuses d’or, 1933), chanta l’émouvant « Remember my Forgotten Man », qui évoquait les problèmes des anciens combattants de la Première Guerre mondiale, les « hommes oubliés », moralement détruits et premières victimes de la crise.

Le phénomène du chômage bouleversa l’Amérique. En 1930, on calcula que les femmes qui travaillaient étaient au nombre de dix millions, mais deux ans plus tard, une femme sur cinq était au chômage. Hollywood n’éluda pas le problème et l’aborda avec réalisme. Un réalisme tempéré par une rigueur toute victorienne, celle-là même qui avait permis aux pionniers de l’Amérique de résoudre les difficultés qu’ils rencontraient. Aux victimes de la crise de s’en inspirer! Très vite cependant, le New Deal allait s’imposer et, avec lui, le nouvel optimisme des films de Frank Capra et de King Vidor. [La grande histoire illustrée du 7ème art – Editions Atlas (1983)]




DEAD END (Rue sans issue) – William Wyler (1937)
Dead End (Rue sans issue) est l’adaptation d’une pièce de Sidney Kingsley qui avait obtenu un immense succès sur les scènes de Broadway (elle donna lieu à sept cents représentations) et suscité de nombreuses polémiques. Samuel Goldwyn en acquit les droits pour la somme record de 165 000 dollars…

FRANK CAPRA
Frank Capra fut le cinéaste de l’ère rooseveltienne. Ses films utopiques et optimistes participèrent à l’effort de l’Amérique pour sortir » de la crise. Alors que d’autres réalisateurs œuvraient sur des sujets légers et brillants, Capra fut l’auteur d’œuvres basées sur une réalité vécue ou espérée par le public. Ce furent les films de l’idéalisme rooseveltien.

HOLLYWOOD ET LE CINÉMA D’ÉVASION
La dépression apporta la misère et le chômage. Pour faire oublier au public américain la triste réalité quotidienne, Hollywood lui proposa du rêve qu’il pouvait acheter pour quelques cents. Au cours des années qui suivirent la crise de 1929, les magnats de Hollywood n’eurent guère à faire d’efforts d’imagination pour dérider un public totalement abattu.
- THE LONG NIGHT – Anatole Litvak (1947) / LE JOUR SE LÈVE « refait » et « trahi »
- EDWIGE FEUILLÈRE : LA GRANDE DAME DU SEPTIÈME ART
- LA POLITIQUE DU CINÉMA FRANÇAIS
- THE GARMENT JUNGLE (Racket dans la couture) – Vincent Sherman (1957)
- THE RACKET (Racket) – John Cromwell (1951)
Catégories :Histoire du cinéma
Le cinéma témoin de son époque, excellent article qui propose un tour d’horizon complet de cette période charnière des États Unis. Cette juxtaposition des extraits permet de mettre en avant la qualité photographique de ce beau noir et blanc. Mais je me suis un peu plus attachée aux visages féminins, ces femmes à l’air perdu, si souvent, sauf lorsque leur regard nous renvoie force et détermination.
J’aimeJ’aime