Les années 1960 furent cruciales pour Hollywood : un contrôle sévère des budgets, la relève inéluctable de la vieille garde et une nouvelle génération de spectateurs favorisèrent l’éclosion d’idées et de talents nouveaux.


Aux États-Unis, le début des années 1960 coïncida avec l’investiture de John F. Kennedy. Dans son discours inaugural, le jeune président démocrate exhortait ses compatriotes à l’effort et au sacrifice pour faire de l’Amérique le garant du monde libre. De fait, Kennedy commença par renforcer la présence américaine au Vietnam tandis que son successeur, Lyndon Johnson assurait un difficile intérim dans un pays secoué par de violentes émeutes raciales et toutes sortes de querelles intestines. Ironique retournement de situation, la décennie prenait fin avec le retour au pouvoir des républicains : candidat malheureux face à Kennedy en 1960, Richard Nixon accédait à la magistrature suprême en 1969. Cinq ans plus tard éclatait le scandale du Watergate. Plus que jamais, Hollywood allait être le témoin actif de ces événements.


La révolution des années 1960
Après les années 1950, période marquée par le triomphe de la consommation et la hantise du communisme et de la liste noire qui avaient provoqué une certaine stagnation dans le domaine artistique, la nouvelle décennie vit s’imposer à Hollywood une révolution beaucoup moins bénéfique que celle qu’avait introduite le sonore dans les années 1920.



En dix ans à peine, le cinéma hollywoodien allait évoluer, en effet, des comédies traditionnelles interprétées par Doris Day – Pillow Talk (Confidences sur l’oreiller, 1959), Lover Come Back (Un Pyjama pour deux, 1961) et That Touch of Mink (Un Soupçon de vison, 1962) – à Easy Rider et à The Wild Bunch (La Horde sauvage), deux films de 1969.

Un facteur accéléra cet inéluctable processus : la disparition ou la retraite des grands artisans de l’âge d’or de l’industrie cinématographique américaine. Entre 1960 et 1969 moururent Chico et Harpo Marx, Clark Gable, Gary Cooper, Marilyn Monroe, Charles Laughton, Judy Holliday, Stan Laurel, Buster Keaton et Judy Garland ; parmi les producteurs et les réalisateurs, on déplorait la disparition de Michael Curtiz, Frank Borzage, Jerry Wald, David O. Selznick, Robert Rossen, Leo McCarey et Josef von Sternberg. Louis B. Mayer était mort en 1957. Jack L. Warner ralentissait son activité après avoir acheté les droits d’adaptation du grand succès théâtral (My Fair Lady). Darryl F. Zanuck connaissait une grande réussite avec The Longest Day (Le Jour le plus long, 1962) ; il reprit ensuite la direction, avec son fils Richard, de la 20th Century-Fox. Mais l’augmentation du déficit les obligea tous deux à démissionner, respectivement en 1970 et 1971.

Sam Goldwyn ne produisait plus de films et la MGM, sous la direction de Kirk Kerkorian, à la fin des années 1960, ne parvenait pas à renouer avec le succès ; l’Universal s’intéressait surtout à la télévision et à l’industrie touristique ; la Paramount dut faire appel à la Gulf and Western pour trouver un second souffle ; la Warner Bros., enfin, fut absorbée par le groupe Kinney. L’United Artists, créée par quatre artistes indépendants (Mary Pickford, Douglas Fairbanks Sr., Charles Chaplin et D. W. Griffith) avec le dessein de s’affranchir des normes imposées par les studios, fut sauvée, ironie du sort, par la Transamerica Corporation dont les actionnaires s’empressèrent de retirer aux fondateurs le contrôle de la société.

Le film des années 1960 qui peut symboliser la fin du vieil Hollywood est Cleopatra (Cléopâtre, 1963), dont le coût final atteignit la somme invraisemblable de 40 millions de dollars alors qu’au départ la 20th Century-Fox, en confiant cette production à Walter Wanger, souhaitait simplement faire un remake de la version muette de 1917 interprétée par Theda Bara. L’entreprise ruina la Fox et entraîna la chute de son président, Spyros Skouras. Cleopatra fut le chant du cygne du Hollywood des nababs.


La relève
A partir de 1967, l’attention de Hollywood fut attirée par l’extraordinaire succès commercial de Bonnie and Clyde et de The Graduate (Le Lauréat), prémices d’une ère nouvelle. Les interprètes et les réalisateurs de ces deux films venaient des milieux théâtraux new-yorkais. Avant de connaître le succès à Hollywood avec son deuxième film, The Miracle Worker (Miracle en Alabama, 1962), Arthur Penn avait mis en scène deux pièces de William Gibson. Mais ce fut avec Bonnie and Clyde qu’il fit, avec ses principaux comédiens – Warren Beatty et Faye Dunaway -, sa grande entrée dans le nouvel establishment hollywoodien. Il en fut de même pour Dustin Hoffman avec le film de Mike Nichols : du jour au lendemain The Graduate transformait l’obscur comédien de Broadway en une vedette de premier plan.



Un autre réalisateur de la côte est, Sidney Lumet, qui avait tourné la plupart de ses films à New York et en Europe, allait révolutionner Hollywood. Durant les années 1950, Lumet avait réalisé quelques-unes des meilleures dramatiques télévisées du réseau new-yorkais. Ses mises en scène hollywoodiennes porteront la marque de cette première formation : A View from the Bridge (Vu du pont, 1962) et Long Day’s Journey Into Night (Le Long Voyage dans la nuit, 1962), adaptations à l’écran de deux drames précédemment montés sur les scènes de Broadway, et respectivement d’Arthur Miller et d’Eugene O’Neill. Dans The Pawnbroker (Le Prêteur sur gages, 1964) – film où, sous la direction de Lumet, Rod Steiger fournit une des interprétations les plus rigoureuses de son inégale carrière -, le personnage principal est hanté par les souvenirs de son incarcération dans un camp de concentration. Lorsqu’une jeune prostituée noire (Thelma Oliver) s’offre à lui pour payer une dette, les seins nus de la jeune femme ne font que lui rappeler les violences sexuelles que sa femme a subies dans un bordel pour officiers nazis. Mais en montrant cette nudité, Lumet allait à l’encontre du code de censure alors en vigueur à Hollywood, et le film n’obtint pas son visa de distribution. Passant outre l’interdit, la Ely Landeau Organization le fit quand même distribuer et, à la grande surprise de la Production Code Authority, convaincue que la séquence incriminée déclencherait l’hostilité des spectateurs, le film fut bien accueilli par le public et la critique.


La télévision, pépinière de talents
La plupart des scénaristes et des réalisateurs qui travaillèrent à Hollywood dans les années 1960 n’avaient pas fait leurs classes dans les deux filières habituelles : Broadway ou les studios californiens. C’est à la télévision qu’ils avaient appris leur métier, surtout pendant les années 1950, âge d’or du petit écran.



C’est à la télévision que Franklin J. Schaffner et John Frankenheimer firent leur apprentissage en réalisant des films touchant à la politique, chose qui ne leur aurait certainement pas été possible s’il leur avait fallu débuter à Hollywood. En passant au cinéma, Frankenheimer allait faire montre du « punch » qui avait marqué son travail télévisé, notamment dans Seven Days in May (Sept Jours en mai, 1964), où il sut, en outre, obtenir de Fredric March une irréprochable interprétation dans le rôle du faible président des États-Unis, renversé par un général ambitieux (Burt Lancaster). Egalement transfuge de la télévision, Schaffner fit ses premières armes cinématographiques en adaptant une œuvre de Gore Vidal : The Best Man (Que le meilleur l’emporte, 1964) est une vision très acide de la fonction présidentielle. Mais c’est grâce à Patton (1970), film qui lui valut un Oscar, qu’il devient réellement célèbre.



Deux autres exemples de mutation réussie de la télévision au cinéma nous sont fournis par Norman Jewison et William Friedkin. Jewison fit des débuts modestes avec 40 Pounds of Trouble (Des Ennuis à la pelle, 1962) et The Thrill of It All (Le Piment de la vie, 1963), avant de se lancer dans une œuvre plus importante, Cincinnati Kid (Le Kid de Cincinnati, 1965), interprétée par Steve McQueen ; Hollywood reconnut ses mérites en 1968 en le récompensant d’un Oscar pour son film In the Heat of the Night (Dans la chaleur de la nuit, 1967), dont il fut aussi le producteur. Il fit de nouveau appel à Steve McQueen pour le rôle vedette de The Thomas Crown Affair (L’Affaire Thomas Crown, 1968), brillante démonstration de mise en scène qui tourne un peu à vide ; à la fin des années 1960, il signait Gaily, Gaily (1969), adaptation assez insipide des nouvelles autobiographiques de Ben Hecht. Friedkin, en revanche, fit des débuts beaucoup plus prometteurs en réalisant The Birthday Party (L’Anniversaire, 1968), adaptation d’une pièce de Harold Pinter, et le provocant The Night They Raided Minsky’s (1968). Mais il lui fallut attendre les années 1970 pour connaître enfin la notoriété avec ses grands succès commerciaux, The French Connection (1971) et The Exorcist (1973).



S’il est difficile de dire que les talents formés, au cours des années 1960, dans les studios californiens furent tous négligeables, il n’en demeure pas moins que Hollywood n’en engendrait guère de nouveaux. Richard Fleischer, John Sturges, Stanley Kramer et Richard Brooks étaient en effet déjà à l’œuvre depuis dix ans. Roger Connan, qui avait commencé sa carrière dans les années 1950, était, relativement, un nouveau venu, mais il travaillait en dehors du système des studios. Aucun d’entre eux, de toute façon, ne pouvait rivaliser sur le plan de l’originalité avec les hommes formés à la télévision ; tels Mel Brooks, réalisateur de The Producers (Les Producteurs, 1967), ou Buck Henry, qui écrivit avec lui, pour ta télévision, « Get Stuart », et dont l’adaptation du roman de Charles Webb, The Graduate, bouleversa l’industrie du cinéma.



Comédies musicales et films d’espionnage
Un des faits les plus regrettables des années 1960 fut la disparition des grandes comédies musicales spécialement conçues pour le cinéma. Les rares comédies musicales de qualité mises en chantier au cours de ces années étaient des adaptations de succès de Broadway. Autant dire que les studios ne prenaient guère de risques même quand ils consentaient à de gros investissements. West Side Story (1961), remarquablement transposé à l’écran, remporta 11 Oscars ; Jack L. Warner tira un énorme bénéfice de My Fair Lady (1964) de George Cukor, malgré la fortune qu’il avait dû dépenser pour acquérir les droits du spectacle théâtral de Lerner et Loewe.



Le succès éclatant de The Sound of Music (La Mélodie du bonheur, 1965) ne fit qu’aggraver la tendance à l’adaptation des spectacles théâtraux, d’autant plus que lorsque Hollywood s’essayait à des œuvres originales, il ne récoltait que des échecs : l’actrice Julie Andrews et le réalisateur Robert Wise connurent un véritable fiasco avec Star ! (1968) et Rex Harrison n’attira guère les foules avec Dr. Dolittle (L’Extravagant Dr Dolittle, 1967).



Dans le domaine de la comédie musicale, les années 1960 se conclurent sur l’apothéose de Hello Dolly ! (1969). Avec un budget qu’ils eurent du mal à faire accepter aux responsables de la 20th Century- Fox, Barbra Streisand, heureuse triomphatrice de Funny Girl (1968) et Gene Kelly, le plus prestigieux artisan de la comédie musicale traditionnelle, unirent leurs talents pour interpréter et diriger le film.

Mais le grand héros des années 1960 reste incontestablement James Bond. Tournés dans les studios anglais, mobilisant des budgets astronomiques, les films sur les fantastiques aventures du célèbre agent secret s’éloignaient de plus en plus des romans de Ian Fleming (dont ils gardaient essentiellement les titres et certains personnages) ; l’intrigue était chaque fois un peu plus complexe et irréaliste ; les effets spéciaux de plus en plus élaborés.

Bien entendu, l’énorme succès populaire des films de James Bond engendra de nombreuses imitations, entre autres la série des Matt Helm interprétés par Dean Martin, et plusieurs feuilletons télévisés. Malgré l’intérêt suscité par le film de Martin Ritt The Spy Who Came in from the Cold (L’Espion qui venait du froid, 1965), adapté du roman de John Le Carré, le succès des films de James Bond prouvait à l’évidence que le cinéma d’espionnage devait avant tout miser sur l’évasion plutôt que sur le réalisme.


A la fin des années 1960, il était clair que les gagnants du box-office étaient en majorité des films qui s’adressaient au public jeune, car c’était lui qui formait le gros contingent des spectateurs. Et bien que certaines œuvres destinées aux jeunes – comme Beach Blanket Bingo (1965) et How to Stuff a Wild Bikini (1965) – aient été des échecs, après The Graduate et Bonnie and Clyde, la règle ne souffrait plus d’exception : le succès d’un film dépendait désormais de l’accueil que lui réserverait la jeunesse.

Cette évolution se confirma avec Easy Rider. Produit avec un budget dérisoire de 800 000 dollars, le film lança Jack Nicholson et fit gagner une fortune à Peter Fonda et Dennis Hopper. Le même phénomène se répéta avec The Wild Bunch : savamment exploitée, la violence pouvait rapporter gros. Quant à Butch Cassidy and the Sundance Kid (Butch Cassidy et le Kid, 1969), il témoignait que la jeunesse, tout en méprisant les vieux mythes, ne faisait que s’en chercher de nouveaux, fussent-ils aussi médiocres que les précédents. [La grande histoire illustrée du 7ème art – Editions Atlas (1983)]


MY FAIR LADY – George Cukor (1964)
le film dépeint une pauvre marchande de fleurs Cockney nommée Eliza Doolittle qui surprend un professeur de phonétique arrogant, Henry Higgins, alors qu’il parie avec désinvolture qu’il pourrait lui apprendre à parler « correctement » anglais , la rendant ainsi présentable dans la haute société de Londres édouardienne .
- THE LONG NIGHT – Anatole Litvak (1947) / LE JOUR SE LÈVE « refait » et « trahi »
- EDWIGE FEUILLÈRE : LA GRANDE DAME DU SEPTIÈME ART
- LA POLITIQUE DU CINÉMA FRANÇAIS
- THE GARMENT JUNGLE (Racket dans la couture) – Vincent Sherman (1957)
- THE RACKET (Racket) – John Cromwell (1951)
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