Sortie à l’automne 1942, la seconde romance musicale de Fred Astaire et Rita Hayworth enchante le public par une légèreté bienvenue en ces temps de guerre mondiale.



Quand Fred Astaire et Rita Hayworth se lancent en 1942 dans l’aventure de You were never lovelier (Ô toi ma charmante), leur statut vient de changer. Leur premier film, You’ll never get rich (L’Amour vient en dansant, réunissait en effet l’année précédente un acteur certes légendaire, mais en perte de vitesse, et une starlette prometteuse. L’accueil reçu par ce premier opus ayant fait monter en flèche leurs cotes respectives, Fred Astaire s’est vu engagé ensuite par la Paramount pour partager avec Bing Crosby l’affiche de Holiday Inn (L’Amour chante et danse), et Rita Hayworth a porté sur ses seules épaules la comédie musicale My Gal Sal (Mon amie Sally. Ce sont donc deux acteurs en pleine gloire qui se retrouvent au printemps 1942 pour You were never lovelier. Mais leur complicité est toujours intacte, tout comme leur plaisir à danser ensemble. D’ailleurs, comme pour rappeler à ses stars la vanité de toute chose, la Columbia, qui manque de place dans ses locaux, leur fait répéter les numéros de danse au-dessus d’un funérarium du Hollywood Cemetery… Ce lieu inattendu n’amoindrit heureusement en rien la vitalité des chorégraphies d’Astaire, qui constituent une nouvelle fois un régal, et l’on ne peut que regretter que les deux acteurs n’aient plus trouvé par la suite l’occasion de danser ensemble.



Suite au succès de You’ll never get rich, première collaboration de Fred Astaire et Rita Hayworth sortie en 1941, la Columbia s’empresse de lancer un nouveau projet réunissant les deux acteurs. Les scénaristes du précédent film, Michael Fessier et Ernest Pagano, se voient chargés de livrer un script reprenant les ingrédients habituels des comédies musicales de Fred Astaire (Pagano avait d’ailleurs écrit, à l’époque de la RKO, Shall We Dance, A Damsel in Distress et Carefree). Les deux hommes sont épaulés dans cette tâche par le jeune Delmer Daves, qui se fera ensuite connaître en réalisant des classiques comme Dark Passage (Les Passagers de la nuit) et Broken Arrow (La Flèche brisée. D’abord située au Brésil et intitulée Carnival in Rio, l’histoire se voit finalement déplacée en Argentine, ce qui ne change pas grand-chose au budget du film, puisque l’Amérique latine vue par Hollywood se résume à des palaces de carton-pâte construits en studio. C’est dans l’un de ces décors que Fred Astaire et Rita Hayworth se retrouvent le 2 juin 1942 pour entamer le tournage de You were never lovelier, sous la direction de William A. Seite (Roberta, Room Service, Appointment for Love).




Comme toujours dans les films de Fred Astaire , le couple vedette se voit entouré de seconds rôles choisis pour leur tempérament comique. Il s’agit cette fois d’Adolphe Menjou, ancien séducteur du cinéma muet à qui l’on confie à présent des emplois de pères tyranniques, d’Isobel Elsom, qui campe une marraine énergique, et de Barbara Brown, parfaite en mère écervelée (on la retrouvera notamment en épouse de député véreux dans Born Yesterday). Le chef d’orchestre Xavier Cugat, bien connu du public de l’époque pour ses rythmes exotiques comme pour ses talents de caricaturiste, est également de la partie : il amène avec lui l’une des chanteuses attitrées de sa formation, la belle Lina Romay (restée célèbre pour être apparue également dans Bathing Beauty et dans le cartoon Señor Droopy). L’idée de collaborer avec ce spécialiste des musiques latines ne plaît guère au prestigieux compositeur engagé pour l’occasion par la Columbia, le vétéran Jerome Kern. Mais les deux hommes s’entendent finalement bien, et Kern, qui ne se sent que peu de talents pour la rumba ou le mambo, laisse Cugat choisir ce genre de morceaux dans son propre répertoire.




Travaillant avec Johnny Mercer, jeune parolier appelé à une brillante carrière, Jerome Kern livre pour You’ll never get rich une série de titres allant du swing le plus endiablé à la ballade romantique. C’est à ce dernier registre qu’appartiennent deux futurs standards : Dearly Beloved, qui vaut à Fred Astaire l’un de ses grands succès discographiques, et qui deviendra un classique des mariages aux États-Unis ; et I’m Old Fashioned, morceau pour lequel Rita Hayworth est doublée par Nan Wynn, et qui sera repris entre autres par Chet Baker, Ella Fitzgerald et Blossom Dearie (la chanson inspirera en outre un ballet éponyme de Jerome Robbins en 1983). Préparée par un article du magazine Life intitulé Astaire dances with Hayworth, la sortie de You’ll never get rich confirme en novembre 1942 que le nouveau couple vedette de la comédie musicale attire décidément les foules. Le film décroche en outre trois nominations aux Oscars, dont celle de la meilleure chanson pour Dearly Beloved. [Comédie Musicale – Pin Up Girl – Eric Quéméré – n°68]



L’histoire
En Argentine, à Buenos Aires, le danseur Robert Davis (Fred Astaire), à la recherche d’un emploi, se présente chez le propriétaire d’un cabaret Eduardo Acuña (Adolphe Menjou) qui, occupé, refuse de le recevoir. Eduardo est préoccupé par sa fille, Maria (Rita Hayworth), qui au grand désespoir de sa famille ne veut pas se marier. Son père imagine alors un stratagème pour la faire changer d’avis. Il envoie des fleurs et des billets doux à sa fille en lui faisant croire qu’ils viennent d’un admirateur inconnu. Par un concours de circonstance, Maria est persuadée d’avoir rencontré son « inconnu » en la personne de Robert Davis et le présente à sa famille. Acuña se rend compte de son erreur et pour se débarrasser de Robert, il lui offre un contrat à condition de se faire détester de Maria. Mais Robert est déjà épris de Maria et a du mal à se résoudre aux exigences du père. Eduardo est surpris par sa femme en train d’écrire une lettre d’amour et croit qu’il écrit à sa maîtresse. Robert avoue alors le subterfuge et profondément blessée, Maria jure de ne plus le revoir. Mais Robert suivant les rêves de la jeune fille l’enlèvera, comme dans les contes de fées, sur un cheval blanc…

FRED ASTAIRE
La longue carrière de Fred Astaire est désormais entrée dans la légende ; son exceptionnel génie de danseur ne l’a toutefois pas empêché d’être aussi un excellent acteur.

RITA HAYWORTH
Rita Hayworth fut une actrice magnifique, une vamp éblouissante, une pin-up d’anthologie, et pourtant la postérité ne lui rend pas justice. Mais ce personnage de sex-symbol castrateur, façonné par Harry Cohn, le patron de la Columbia, était à cent lieues de la véritable Rita…


LA COMÉDIE MUSICALE
La comédie musicale a été longtemps l’un des genres privilégiés de la production hollywoodienne, et probablement le plus fascinant . Né dans les années 1930, en même temps que le cinéma parlant, elle témoigna à sa manière, en chansons, en claquettes et en paillettes, de la rénovation sociale et économique de l’Amérique. Mais c’est dix plus tard, à la Metro-Goldwyn-Mayer, que sous l’impulsion d’Arthur Freed la comédie musicale connut son véritable âge d’or, grâce à la rencontre de créateurs d’exception (Vincente Minnelli, Stanley Donen) et d’acteurs inoubliables (Fred Astaire, Gene Kelly, Judy Garland, Cyd Charisse, Debbie Reynolds). Par l’évocation de ces années éblouissantes à travers les films présentés, cette page permet de retrouver toute la magie et le glamour de la comédie musicale.
Programme musical (sélection)
Written by Nicanor Molinare
Played by Xavier Cugat and His Orchestra and sung and danced by Lina Romay, Miguelito Valdés and chorus
Music by Jerome Kern
Lyrics by Johnny Mercer
Played by Xavier Cugat and His Orchestra and sung by Fred Astaire at the wedding
Reprised by Rita Hayworth dancing and singing (singing dubbed by Nan Wynn)
Music by Jerome Kern
Lyrics by Johnny Mercer
Sung by Rita Hayworth (dubbed by Nan Wynn) and Fred Astaire
Danced by Fred Astaire and Rita Hayworth
Music by Jerome Kern
Arranged by Lyle ‘Spud’ Murphy
Lyrics by Johnny Mercer
Played by Xavier Cugat and His Orchestra and sung by Fred Astaire and Rita Hayworth and an offscreen chorus
Danced by Fred Astaire and Rita Hayworth

Adele Mara
De son vrai nom Adelaide Delgado, l’interprète de Lita débute sa carrière à l’âge de quinze ans en dansant dans l’orchestre de Xavier Cugat. La jeune fille décroche en 1941 un contrat à Hollywood, où elle se fait un nom en jouant notamment face à Roy Rogers et Gene Autry, deux vedettes du western de série B. Accédant à des productions plus prestigieuses, elle partage avec John Wayne l’affiche de deux films, Wake of the Red Witch (Le Réveil de la sorcière rouge) et Sands of Iwo Jima (Iwo Jima). Mariée en 1952 à un producteur de télévision, Adele se consacre ensuite à sa vie de famille.

Isobel Elsom
Née en 1893 à Cambridge, cette actrice distinguée commence par mener une belle carrière en Angleterre, à la fois sur les planches et à l’écran, où elle est dirigée par son premier mari, Maurice Elvey. Suite au succès à New York de la pièce Ladies in Retirement, Isobel Elsom reprend son rôle dans l’adaptation qu’en tire la Columbia en 1941. C’est ainsi qu’elle entame une seconde carrière à Hollywood, où elle joue les matrones dans des films comme Monsieur Verdoux, The Ghost and Mrs. Muir (L’Aventure de Madame Muir), The Paradine Case (Le Procès Paradine), The Errand Boy (Le Zinzin d’Hollywood) et My Fair Lady.


YOU’LL NEVER GET RICH – (L’Amour vient en dansant) – Sidney Lanfield (1941)
Première des deux comédies musicales interprétées par les talentueux Fred Astaire et Rita Hayworth, cette production de la Columbia mise en outre sur une bande originale signée Cole Porter.
ADOLPHE MENJOU
Après avoir fait partie des séducteurs du cinéma muet, le comédien devient à partir des années 1930 un second rôle sollicité par des réalisateurs comme Josef Von Sternberg et Stanley Kubrick.

Né d’un père français et d’une mère irlandaise, Adolphe Menjou voit le jour en 1890 à Pittsburgh, en Pennsylvanie. Contrariant les projets de ses parents, qui souhaiteraient le voir travailler comme eux dans l’hôtellerie, le jeune homme se lance en 1916 dans une carrière de comédien, d’abord très modeste. Servant comme ambulancier durant la Première Guerre mondiale, il devient à son retour régisseur de cinéma, avant de tenter à nouveau sa chance comme acteur. C’est en 1921 qu’il se voit enfin remarqué en donnant la réplique à Douglas Fairbanks dans The Three Musketeers (il y joue Louis XIII), puis à Rudolph Valentino dans The Cheik. Chaplin lui offre alors un second rôle dans A Woman of Paris (L’Opinion publique), puis c’est Lubitsch qui l’engage pour The Marriage Circle (Comédiennes). Menjou ne tarde pas à devenir, avec sa moustache raffinée, le héros de comédies romantiques comme Broadway After Dark, A Gentleman of Paris et Blonde or Brunette. Et lorsque survient le parlant à la fin des années 1920, sa capacité à parler plusieurs langues lui permet de continuer à jouer les séducteurs « exotiques » ), qu’ils soient français ou italiens.

Les trois décennies suivantes voient Adolphe Menjou se partager entre premiers et seconds rôles. Il obtient ainsi en 1931 une nomination à l’Oscar du meilleur acteur pour The Front Page, et partage l’affiche de Little Miss Marker (Petite Miss) avec l’enfant prodige Shirley Temple. Il s’illustre également dans plusieurs comédies musicales face à Alice Faye et Sonja Henie, et affronte Ginger Rogers dans Roxie Hart. Par ailleurs, il tient une série de seconds rôles très remarqués – notamment dans Morocco, A Star Is Born (1937) et Stage Door (Pension d’artistes). Menjou s’implique pendant la Seconde Guerre dans le théâtre aux armées, mais sa réputation est ensuite ternie par le zèle avec lequel il participe à la chasse aux sorcières anti-communiste. Après State of the Union (L’Enjeu), de Capra, où il côtoie Spencer Tracy et Katharine Hepburn, l’acteur tient son ultime rôle principal dans le film policier The Sniper (L’Homme à l’affût) (pour lequel il sacrifie sa célèbre moustache), et tourne en 1957 son dernier grand film en incarnant le général français de Paths of Glory (Les Sentiers de la gloire), de Kubrick, Il s’éteindra cinq ans plus tard à Beverly Hills.

XAVIER CUGAT
Parmi tous les big bands apparus dans les années 1930, celui dirigé par Xavier Cugat se distingue en mêlant au jazz des rythmes latins, perçus à l’époque comme très exotiques. De son nom complet Francisco de Asis Javier Cugat Mingall de Bru y Deulofeu, le musicien est un authentique Catalan, né le 1 er janvier 1900 à Gérone – il mourra à Barcelone en 1990. Ayant émigré à Cuba avec sa famille, le jeune Cugat y étudie le violon, avant de s’installer aux Etats-Unis. Egalement doué pour le dessin, il commence sa vie professionnelle en dessinant des caricatures pour le Los Angeles Times. Mais le soir venu, le jeune homme répète avec le modeste orchestre qu’il a monté, et qui commence à se produire sous le nom de Xavier Cugat and His Gigolos. Un engagement en 1928 au prestigieux Coconut Grove de Los Angeles offre alors à la formation un début de célébrité.

Installé dans la ville du cinéma, Xavier Cugat ne tarde pas à se voir sollicité par des producteurs qui, avec l’avènement du parlant, sont à la recherche de compositeurs. Il livre notamment des morceaux pour deux films de 1930 : In Gay Madrid, interprété par le latin lover Ramon Novarro, et Adios, un drame avec Mary Astor. Mais ces incursions hollywoodiennes ne détournent pas le musicien de ce qui le passionne le plus, la direction d’orchestre. Engagé en 1931 pour faire danser la riche clientèle du Waldorf-Astoria, le nouveau palace de New York, Xavier Cugat y connaît un tel succès qu’il va en rester le « band leader » attitré pendant plus de quinze ans. Une consécration qui s’accompagne de propositions émanant de maisons de disques et de stations de radio, désireuses de surfer sur cette vague latine.

Car ce qui plaît tant au public est de pouvoir s’initier à ces nouvelles danses qui forment le répertoire de Xavier Cugat : conga, rumba, cha-cha-cha et mambo deviennent très à la mode, et le musicien catalan est leur ambassadeur aux USA. Très présent à la radio, l’orchestre enchaîne les succès, dont Rain In Spain, The Lady in Red et Cugat’s Nougat. Comme tous les big bands de l’époque, la formation accueille des vocalistes, telles Lina Romay, qui interprète le « tube » Chica Chica Boom Chic, et Dinah Shore, qui débute sa carrière sous l’égide du Catalan. Deux des cinq épouses de Xavier Cugat – Abbe Lane et Charo Baeza – chanteront d’ailleurs successivement au sein du groupe, qui restera très populaire jusqu’aux années 1960. Mais un infarctus oblige le bouillant musicien à mettre fin à sa carrière en 1971.

Une partie du succès de Xavier Cugat est assurément due à une personnalité exubérante qui fait les délices du public. Son élégance de dandy et sa silhouette de bon vivant sont très tôt mises en avant dans les magazines et dans des courts métrages musicaux montrant l’orchestre en pleine action. L’habitude qu’a Xavier Cugat de diriger ses musiciens en tenant d’une main son bâton de chef d’orchestre et de l’autre un chihuahua lui garantit notamment un franc succès ! Cette personnalité haute en couleurs fait de lui un personnage de cinéma idéal, aussi multiplie-t-il les apparitions dans des comédies musicales où il tient son propre rôle. « Cugie », comme on le surnomme aux États-Unis, a ainsi le plaisir de jouer face à Mae West (Go West Young Man), Rita Hayworth (You’ll never get rich), June Allyson (Two Girls and a Sailor), Ginger Rogers et Lana Turner (Week-End at the Waldorf), ou encore Jane Powell et Elizabeth Taylor (A Date with Judy). Mais c’est aux côtés de son amie Esther Williams qu’il apparaîtra le plus souvent, puisqu’il tourne dans quatre de ses films : Bathing Beauty, This Time for Keeps (Le Souvenir de vos lèvres), On an Island with You (Dans une île avec vous) et Neptune’s Daughter (La Fille de Neptune).

- THE LONG NIGHT – Anatole Litvak (1947) / LE JOUR SE LÈVE « refait » et « trahi »
- EDWIGE FEUILLÈRE : LA GRANDE DAME DU SEPTIÈME ART
- LA POLITIQUE DU CINÉMA FRANÇAIS
- THE GARMENT JUNGLE (Racket dans la couture) – Vincent Sherman (1957)
- THE RACKET (Racket) – John Cromwell (1951)
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