Parce que la mémoire collective est vite saturée, elle ne peut retenir, d’une époque ou d’un style, que cinq ou six noms. C’est un phénomène profondément injuste, puisqu’il privilégie les signatures que le souvenir a retenu dans sa passoire, mais il répond à un penchant naturel de l’esprit. Le but de cette série de publications sur les films français des années 1930 est justement de faire échec à cette mécanique qui tend à privilégier, au delà de toute mesure, des films excellents, mais qui rejette au fond de la nuit des dizaines d’autres films dont rien ne prouve qu’ils ne soient pas d’une émotion, d’une poésie ou d’une surprise comparables.
LE MORT EN FUITE – André Berthomieu (1936)
S’il est un film à conserver dans l’énorme production d’André Berthomieu, c’est celui-ci. Il plaît par l’ingéniosité et les trouvailles d’un plaisant scénario. René Clair, orfèvre en la matière, ne s’y trompa point lorsque, en 1938, en Angleterre, il en fit le remake sous le titre Break the News, mais il n’avait pas la chance d’avoir les interprètes prestigieux du premier film : Maurice Chevalier et Jack Oakie ne les égalèrent pas, pas plus que Jean Richard et Jean-Marc Thibault dans la nouvelle mouture, datée de 1955) et due à l’infatigable caméra de Berthomieu.

A l’avachissement sournois, à l’aplatissement rusé de Michel Simon correspondaient la faconde dérisoire et la gesticulation grandiloquente de Jules Berry, et, pour ce dernier, le rôle de ce cabotin miteux et pourtant empêtré dans ses mensonges n’est-il pas une préfiguration du Valentin du Jour se Lève. Aux émois susurrés d’une voix chavirante de l’un répondaient les effrois ponctués d’envols du bras de l’autre ; l’un et l’autre apparaissaient dans leurs rôles comme les types parfaits de monstres sacrés, se parodiant eux-mêmes, aux confins de l’improvisation, retenant le coup d’œil nu public et assez maîtres d’eux pour feindre de rire de leurs personnages afin de mettre davantage les spectateurs dans le coup.

Berthomieu avait débuté au temps du muet avec des films dont l’ambition était déjà limitée : Ces Dames aux Chapeaux Verts, par exemple, ou Le Crime de Sylvestre Bonnard. Le parlant n’apporte ni du bon ni du neuf : il faudrait voir Mon Ami Victor et La Femme Idéale qu’on cite généralement pour illustrer son nom ; et Le Secret de Madame Clapin, en 1943, n’était pas déshonorant avec son odeur de province, de vieille maison et de parc à l’automne. Il se consacra. avec une régularité d’artisan sans flamme à photographier des pièces de boulevard, des romans d’Henri Bordeaux, des comédies, démodées avant d’avoir paru sur scène, de Paul Vandenberghe. Pour une réussite mineure dans le genre policier comme L’Ombre (1948), que de Petite Chocolatière et de Secret de Polichinelle. Pour une gentille bluette musicale comme . Amours, Délices et Orgues (1946), que de Pigalle-St.Germain-des-Prés ou de Quatre Jours à Paris. Evidemment, il poussa Bourvil dans la voie du cinéma, mais avec quels films, de Pas si Bête au Roi Pandore : il s’évertua avec Robet Lamoureux, avec Jean Richard, avec Roger Nicolas. Des titres : Le Roi des Camelots, Jamais Deux sans Trois, Le Portrait de son Père. Qui donc disait de lui qu’il aurait dû s’appeler Berthopire?

Il n’en demeure pas moins que le spectacle de Berry-Simon dans Le Mort en Fuite vaut le déplacement, et qu’à ce titre, et grâce à eux, les 30 ans de cinéma de Berthomieu ne passeront pas intégralement à l’oubli.


LA BATAILLE SILENCIEUSE – Pierre Billon (1937)
Voici un film qui a voulu mettre de son côté des atouts efficaces : Il conjugue dans son action les vertus du film d’aventure et de l’histoire d’espionnage, la photogénie du rail, les prestiges des vedettes, le dépaysement et un soupçon de comique de bon ton. Telle était la recette, en ces années, pour réussir une bonne comédie dans le style hollywoodien. Le metteur en scène choisi, Pierre Billon, possédait lui-même le côté touche-à-tout qui mène souvent a la réussite ce genre d’entreprises ; il avait été acteur, a ses débuts, on le vit scénariste ensuite, puis, comme beaucoup d’autres il s’installa à Berlin pour y réaliser consciencieusement et fidèlement des versions françaises, celles des films du Tchèque Carl Lamac.

De retour dans les studios français, il adapta avec un sens heureux du réalisme La Maison dans la Dune (1934), roman de Van der Meersch situé à la frontière franco-belge, avec Pierre Richard-Willm intelligemment utilisé. La qualité de ce qui suivit jusqu’à la guerre fut plus moyenne, encore que Courrier-Sud rassemblât un générique prometteur : Saint-Exupéry, Robert Bresson, Vanel, Jany HoIt, Richard-Willm, Dorziat au service d’une histoire assez amère où les implications sentimentales le disputaient à l’épopée aérienne – et que La Piste du Sud d’après O.P. Gilbert, drame au milieu des sables, valût par une interprétation sans faille et par un accent désenchanté qu’on s’étonne d’avoir entendu en 1938. Billon devait continuer sa carrière en dent de scie jusqu’en 1957 : Jusqu’au Dernier comme s’intitule avec à propos son dernier film connu.

Rappelons que Le Soleil a toujours raison entrepris en 1941, avec le concours inattendu et inespéré de Jacques Prévert au scénario, fut, et de loin, le plus original des « Tino Rossi » ; que L’Inévitable M. Dubois éveilla en 1942 la nostalgie de la comédie américaine ; que Ruy Blas profita des décors très élaborés de Wakhévitch et de la supervision de Cocteau, en coquetterie avec Victor Hugo ; qu’Agnès de Rieu, drame à quatre personnages utilisant les artifices bourrés de réminiscences d’un roman de Germaine Beaumont eut de l’accent et de la sincérité, rares en ce genre d’entreprises. Enfin, L’Homme au Chapeau Rond où l’on voit, à la deuxième image, Raimu partir et s’éloigner à la rencontre d’une mort prochaine, est l’excellente transposition d’une nouvelle cruelle de Dostoïevski : à croire que Billon, comme beaucoup d’autres Français, réussissait surtout les sujets désenchantés, fatals, lancinants et amers.

Ce qui ne l’empêchait pas, à l’occasion, de trousser un ouvrage compliqué, frénétique, embrouillé et palpitant, au long des rails du Simplon – Orient-Express et aux confins des Balkans, comme, par exemple, La Bataille Silencieuse.



CLAUDINE À L’ÉCOLE – Serge de Poligny (1937)
Lorsque Serge de Poligny s’attaque en 1937 à l’adaptation du roman que Colette avait écrit sous la férule de M. Willy, il ouvrait la voie aux nombreux films inspirés après la guerre par l’œuvre de la romancière et dont aucun n’a su traduire la pulpe, le suc, la lumière, en un mot le côté sensuel et élaboré d’un style qui muscle et étoffe des intrigues d’une maigreur élégante. Colette aimait le cinéma : critique dans la revue Le Film pendant la Grande Guerre, elle avait écrit des dialogues – ceux notamment de Jeunes Filles en Uniformes puis de Lac-aux-Dames – des scénarios, et elle avait collaboré aux deux adaptations (muette et parlante, italienne et française) de La Vagabonde. Elle travailla aussi avec Max Ophüls à la traduction en images de « L’Envers du Music-Hall » qui devint Divine en 1935.

Les petites histoires de Claudine – à l’Ecole ou à Paris – balancent entre la sensualité de Colette et la polissonnerie de Willy. Le côté Willy est heureusement gommé dans le film de Poligny. En revanche, on y trouve largement déployé un hymne à la nature avec une caméra qui s’attarde sur les ciels chargés de nuages, les eaux fraîches, les champs de blé, retrouvant ainsi une veine du cinéma muet qui aimait à s’alanguir dans la campagne française et dont on trouve encore aujourd’hui des rappels dans La Veuve Couderc, ou dans Les Zozos. Cela dit, le film souffre un peu de personnages rajoutés ou exagérément caricaturaux (Max Dearly, Brasseur, Jeanne Fusier-Gir) qui contrastent avec le naturel alangui de Blanchette Brunoy : Claudine un peu molle, le naturel spontané de Mouloudji en culottes courtes, et les compositions, très étudiées et très fines dans la perspective Colette, de Margo Lion et de Suzet – Maïs.

Par la suite, Poligny tourna en 1938 Le Veau Gras, adaptation d’une comédie satirique de Bernard Zimmer qui, en dépit ou à cause d’une belle brochette d’actrices parut artificielle et forcée. Son cynisme sembla suspect et, au début de la guerre, elle fut vivement retirée des écrans. Le talent de Poligny put s’épanouir sous l’occupation avec deux films à tendances poétiques : le bien connu Baron Fantôme paré des fanfreluches de Jean Cocteau, la méconnue et très intéressante Fiancée des Ténèbres où Jany Holt effectuait peut-être sa meilleure création. Puis, plus rien, ou si peu que rien.

Quant à Colette, de 1945 à 1953, elle s’installa solidement sur les écrans : Gigi tourné par Jacqueline Audry fut un tel succès que Vincente Minnelli le convertit en comédie musicale raffinée et sophistiquée. On vit défiler les Minne et les Mitsou, les Julie de Carneilhan ; La Chatte inspira un sketch à Rossellini, Chéri un film démodé à Pierre Billon. Il y a peu de choses à retenir là-dedans, ni au point de vue littéraire, ni au point de vue cinématographique, hormis sans doute la plaisante adaptation par Aurenche, Bost et Autant-Lara du Blé en Herbe. [Raymond Chirat – Les Français et leur cinéma (1930-1949) – Deuxième cinécure (en collaboration avec la Cinémathèque de Toulouse) – Maison de la Culture de Créteil – Eric Losfeld (1973)]




L’HOMME DE NULLE PART – Pierre Chenal (1937)
Reprenant « Feu Mathias Pascal » de Pirandello (déjà mis en scène dans les années 20 par Marcel L’Herbier), Chenal l’a tiré vers l’humour noir et la charge grinçante.
On y découvre cent sujets d’étonnement et de ravissement : comme cette scène de noces en pleine campagne toscane qui fait penser à Renoir et annonce le néo-réalisme. Comme les dialogues de la rencontre du Chevalier Titus (Palau) et de Mathias dans un wagon de troisième classe en partance vers la France,
l’extrait

A PROPOS DE NICE – SOUS LES TOITS DE PARIS – ALLÔ BERLIN, ICI PARIS – PARIS-BÉGUIN
Tourné dans la ville de Nice au début de l’année 19301, A Propos de Nice, qui est le premier travail cinématographique de Jean Vigo, a été réalisé dans le cadre des Cités symphonies, une série sur les villes dans les années 1920. Cette série veut montrer la modernisation de la ville grâce à un travail formel et mécanique. Le tournage s’effectue sur une journée. Sous les toits de Paris. Un chanteur des rues tombe amoureux d’une jeune étrangère, mais, injustement accusé de vol, il est jeté en prison.. Allô Berlin, ici Paris. Les standardistes de Paris et de Berlin sont très souvent en contact, en effectuant les connexions innombrables entre les deux capitales. Annette, de Paris, finit par s’éprendre d’Erich, de Berlin. Un jour, Erich annonce qu’il va venir à Paris mais les choses ne se passent pas comme prévu… Paris-Béguin Pour ne pas compromettre la grande vedette du music-hall avec laquelle il a passe la nuit, un homme se voit accuse d’un meurtre qu’il n’a pas commis.

CES MESSIEURS DE LA SANTÉ – LAC AUX DAMES – LE BONHEUR
Ces messieurs de la santé. Un financier astucieux emprisonné pour une prétendue escroquerie s’évade de la prison de la Santé, prend un faux nom et entre comme homme à tout faire dans un magasin de corsets. Faisant bien fructifier les affaires de sa patronne, il se retrouve rapidement à la tête d’un empire économique. Lac aux dames. Dans ce film séduisant dialogué par Colette, Éric est jeune, beau comme un dieu… mais maître nageur et pauvre. Il aime Dany fille d’un riche industriel toute aussi belle et juvénile… mais il est aimé en secret par Puck une petite sauvage éblouissante de sensualité, qui habite avec son père une île au milieu du lac… Le Bonheur. Un dessinateur considéré comme un anarchiste fanatique, blesse d’une balle une vedette du cinéma par haine de ce qu’elle représente devant ses admirateurs. Aux assises, la belle comédienne plaide en sa faveur par amour pour lui.

PENSION MIMOSAS – MERLUSSE – AVEC LE SOURIRE
Pension Mimosas. A Nice, M. et Mme Noblet tiennent la pension Mimosas. Ils ont la garde d’un enfant, Pierre, dont le pere est en prison. Dix ans plus tard, leur fils adoptif, qui vivait a Paris de trafics louches, trouve refuge aupres d’eux avec sa maitresse Nelly. Merlusse. Noël ! Il ne reste dans le grand lycée que quelques gosses oubliés par les leurs : les « orphelins », les « exilés », livrés au plus effrayant, au plus détesté des pions : Merlusse, au visage balafré… Avec le sourire. À Paris, Victor Larnois fait la connaissance de Gisèle Berthier, danseuse au music-hall « Le Palace ». Grâce à sa débrouillardise, Victor devient chasseur de l’établissement, puis secrétaire de Suzy Dorfeuil, la vedette, et se rend « indispensable » auprès du propriétaire, Villary. Bientôt, il s’arrange pour que Gisèle remplace Suzy…

DOUBLE CRIME SUR LA LIGNE MAGINOT – TARAKANOVA – L’ENTRAÎNEUSE – ERNEST LE REBELLE
Double crime sur la ligne Maginot. Le commandant d’Espinac est retrouvé assassiné. S’étant disputé la veille du meurtre avec le capitaine Bruchot, celui-ci est accusé. Le capitaine va devoir mener sa propre enquête s’il veut se disculper. Ses soupçons vont se poser sur l’un des trois officiers attachés à son unité. Tarakanova. Le comte Orlov , favori de l’ impératrice Catherine , part pour Venise dans le but de séduire la jeune princesse Elisabetta Tarakanova, prétendante au trône , puis de la ramener en Russie où l’attend un procès pour haute trahison et la condamne à mort . Le comte se retrouve amoureux et tente de la libérer, mais il devra à la place partager son destin tragique. L’entraîneuse. Suzy est entraîneuse au cabaret La Dame de Coeur. Lors d’un séjour sur la Côte d’Azur, elle fait la connaissance de Pierre Noblet, qui s’avère être un ancien client de son cabaret. Ernest le rebelle. Ernest Pic, steward et accordéoniste à bord d’un navire de plaisance, multiplie les gaffes au grand désespoir de l’équipage et des passagers. Après une escale dans un port d’Amérique du Sud, le paquebot repart sans lui.
- THE LONG NIGHT – Anatole Litvak (1947) / LE JOUR SE LÈVE « refait » et « trahi »
- EDWIGE FEUILLÈRE : LA GRANDE DAME DU SEPTIÈME ART
- LA POLITIQUE DU CINÉMA FRANÇAIS
- THE GARMENT JUNGLE (Racket dans la couture) – Vincent Sherman (1957)
- THE RACKET (Racket) – John Cromwell (1951)
Catégories :Le Film français