Parce que la mémoire collective est vite saturée, elle ne peut retenir, d’une époque ou d’un style, que cinq ou six noms. C’est un phénomène profondément injuste, puisqu’il privilégie les signatures que le souvenir a retenu dans sa passoire, mais il répond à un penchant naturel de l’esprit. Le but de cette série de publications sur les films français des années 1930 est justement de faire échec à cette mécanique qui tend à privilégier, au delà de toute mesure, des films excellents, mais qui rejette au fond de la nuit des dizaines d’autres films dont rien ne prouve qu’ils ne soient pas d’une émotion, d’une poésie ou d’une surprise comparables.
CES MESSIEURS DE LA SANTÉ – Pierre colombier (1934)
La grande crise économique, née en 1929 aux Etats-Unis, atteignit la France à la fois plus tardivement et plus durablement que les autres pays d’Europe. Sans doute, paradoxalement, à cause du retard des structures économiques et financières du pays. A la petite bourgeoisie (d’après Antoine Prost, il y avait en 1936 plus d’un million de détaillants dans l’alimentation épiciers bouchers et cafetiers 50 000 de plus qu’en 1931…) inquiète et soucieuse avant tout de stabilité (ne pas dévaluer, s’accrocher à l’étalon-or, recourir à l’emprunt), la grande presse et la presse des Ligues – parfois aussi la presse de gauche – proposaient des boucs émissaires : les financiers.

Il faut dire que dans la prospérité à la fois confuse et indécente du premier après-guerre, des fortunes s’étaient édifiées avec une facilité qui avait de quoi choquer un pays saigné par les batailles, traumatisé par quatre années de tension nerveuse, affaibli dans son économie, définitivement dépassé sur la scène internationale, et mal résigné à ce nouveau sort. Que des faillites théâtrales (celle de Citroën, ou dans le domaine du cinéma les liquidations successives des empires de Charles Pathé ou de la Gaumont-Aubert) avaient sapé la confiance. Que l’affaire Stavisky enfin, dans l’hiver 1933-34, par ce qu’elle révélait de connivences entre les marginaux de la finance (on disait alors les margoulins) et les hommes du pouvoir, achève de semer le doute et le trouble.



C’est en se replaçant dans ce climat qu’il faut voir Ces Messieurs de la Santé: la petite bourgeoisie française (qui consommait massivement les films de Pierre Colombier : il en a tourné plus de vingt entre 1930 et 1939 !) se venge à sa manière, en brocardant l’argent avec une hargne pas toujours saine. On ne sait pas très bien s’il faut admirer ou mépriser l’astuce de ce Gédéon interprété en force par Raimu. S’il faut voir dénonciation ou complaisance dans les allusions à un antisémitisme qui ne se pratiquait pas seulement de l’autre côté du pont de Kehl (Raimu s’adresse à la Banque Samuel et Duguesclin, et plus précisément à Duguesclin : « Allo, comment vas-tu, Salomon? »). La résistible ascension de Monsieur Gédéon, qui entre deux séjours à la Santé, en vient à vendre des mitrailleuses dans un magasin de corsets, c’est bien le cinéma de l’air du temps, dans ce que les années 1930 ont eu de moins sympathique – le temps de cette presse à l’énorme tirage qui expliquait aux Français que s’ils vivaient plus mal, c’était la faute à la fois aux « tribus juives » et aux inutiles du « Palais Bourbeux ». [Jean-Pierre Jeancolas – Les Français et leur cinéma (1930-1949) – Deuxième cinécure (en collaboration avec la Cinémathèque de Toulouse )- Maison de la Culture de Créteil – Eric Losfeld (1973)]

LAC AUX DAMES – marc allégret (1933)
Exception faite des films réalisés avec la participation d’André Gide – voyage en Afrique ou portrait au soir de sa vie – ce qui peut le mieux caractériser une filmographie de Marc Allégret, ce sont les bouffées d’air frais, le rayon de lumière aussi, qui envahissent l’écran à l’apparition de nouveaux jeunes talents, « futures vedettes » pour reprendre le titre d’un de ses films de 1955. Dans L’Amour Chante, dans Les Amours de Minuit on salue la blondeur de Josseline Gaël à qui la Libération réserva, par la suite, d’assez gros ennuis. Dans Mam’zelle Nitouche, Janie Marèze qui venait de terminer La Chienne ne pensait pas à la mort qui la guettait au coin d’une route de la Côte d’Azur. Dans Les Beaux Jours, c’était Jean-Louis Barrault, dans Gribouille Michèle Morgan, dans Entrée des Artistes, Janine Darcey parmi beaucoup d’autres encore peu connus, qui s’appelaient Bernard Blier ou André Roussin. Enfin dans Lac aux Dames, il y a Simone Simon.



Entendons-nous bien : on y admire aussi JeanPierre Aumont (ce fut sans doute son meilleur rôle à l’écran, il devait être alors pensionnaire chez Jouvet) et Rosine Deréan, belle rousse aux yeux verts qui avait beaucoup ému dans Les Deux Orphelines ; on y salue Michel Simon et Wladimir Sokoloff, mais on y voit surtout Simone Simon. C’est elle qui a installé au cœur du spectateur de 1934 une nostalgie tenace au souvenir de cette adolescente. Candide et sensuelle, qui s’appelait Puck et s’éloignait en barque sur les eaux du lac après avoir effleuré le bonheur. Sans avoir beaucoup tourné et en dépit de ses belles apparitions dans La Bête Humaine ou dans les films qu’elle interpréta à Hollywood, Simone Simon resta marquée par ce personnage de femme-enfant qui agace les dents et dont la feinte douceur se résout en une fine amertume. Plus que l’argument de Vicky Baum, le film lui doit son charme et sa tendresse, et la mollesse du réalisateur trouva à s’accorder avec ces désespoirs fragiles, ces chagrins feutrés.



Comme la plupart des metteurs en scène de cette décennie, Marc Allégret fut souvent sauvé par l’habileté de son métier, la sûreté de sa technique. Tel terrible mélo, inspiré par un redoutable roman se laisse voir avec plaisir tant le travail y est aisé, et, sur la fin de l’Occupation, Félicie Nanteuil reconstituait un Paris fin de siècle, et campait d’une pointe sèche et impitoyable le portrait d’une actrice ambitieuse qui fait payer cher la passion d’un pauvre cabot. Amours cruelles encadrées par les volutes chères à Guimard, évocation spirituelle d’un théâtre oublié, consécration d’une vedette bien présente : Micheline Presle. [Raymond Chirat – Les Français et leur cinéma (1930-1949) – Deuxième cinécure (en collaboration avec la Cinémathèque de Toulouse) – Maison de la Culture de Créteil – Eric Losfeld (1973)]

LE BONHEUR – marcel l’herbier (1934)
Abordons ce film par la petite histoire et campons d’abord les personnages. Henry Bernstein, bien oublié aujourd’hui, secoua dune poigne de fer le théâtre de son temps. Irritable et tonitruant, il défiait les critiques, les provoquait sur le terrain en des duels mondains et ridicules. Avant 1914, il écrivait à l’accéléré pour Madame Simone ou pour Lucien Guitry des drames piaffants et haletants où des personnages louches s’essoufflaient et s’époumonaient au fil d’une intrigue pleine de cris et de violence : et quels titres! « L’Assaut », « La Rafale », « La Griffe », « Samson ». Puis, il entama une longue série de pièces psychologiques avec « Le Secret », triompha avec « La Galerie des Glaces » et continuera par des conversations entre personnes vieillissantes qui parlent de leur cœur en buvant du thé et éprouvant soudain des passions crépusculaires : les rôles-clé appartenaient à Pierre Blanchar ou Charles Boyer, à Victor Francen, à Gaby Morlay ou Gabrielle Dorziat. Ces bavardages s’oubliaient, est-il besoin de le dire, dès qu’on avait franchi le vestiaire.

En cette année 1933, Yvonne Printemps quittait Sacha Guitry, Gaby Morlay se brouillait avec Bernstein. Celui-ci, supputant le côté parisien de l’événement, s’empresse d’engager Yvonne pour créer Le Bonheur, se réservant les beaux jours revenus de demander à Gaby d’interpréter à l’écran le rôle de Clara Stuart, l’ex-madame Guitry n’ayant que peu de cote au box-office.Quant à Marcel L’Herbier, le choc du parlant l’avait considérablement meurtri. Outre sa jeunesse, il regrettait les joies alambiquées d’un esthétisme de bonne compagnie. Le tournant fut mal pris car, en dépit de leur charme et de leur éclat, les exploits de Rouletabille n’amusèrent pas tellement L’Herbier. Il se rabattit dès lors sur du théâtre, et du pire : L’Enfant de l’Amour de Bataille, La Route Impériale d’après Frondaie, La Veille d’Armes de Lucien Népoty, L’Aventurier de Capus, et, bien sûr, Le Bonheur qui nous occupe.

Il s’agit, au niveau du scénario, d’un film sur les milieux du cinéma : un anarchiste tire des coups de revolver sur une vedette de l’écran, fausse divinité que la foule vénère. L’actrice se remet de ses blessures, se montre miséricordieuse, retrouve son assassin après la Cour d’Assises, jusqu’au jour où, esclave du cinéma et servante de son imprésario, elle abandonne Philippe qui pour se consoler va dans les salles regarder l’image d’un fugitif bonheur. La critique du temps rapporte que L’Herbier réalisa cette belle histoire avec tact. C’est une qualité qui lui est partout reconnue : pas de faux-pas, de la mesure avant tout, du goût, le goût français ; cela peut réussir, même dans les décors allemands d’Adrienne Lecouvreur, même dans les reconstitutions de Paris et Londres à la belle époque de L’Entente Cordiale. Le Bonheur, à ce niveau, est l’exemple parfait d’une certaine calligraphie qui fit les délices des spectateurs hebdomadaires d’une époque révolue. [Raymond Chirat – Les Français et leur cinéma (1930-1949) – Deuxième cinécure (en collaboration avec la Cinémathèque de Toulouse) – Maison de la Culture de Créteil – Eric Losfeld (1973)]

les extraits

A PROPOS DE NICE – SOUS LES TOITS DE PARIS – ALLÔ BERLIN, ICI PARIS – PARIS-BÉGUIN
Tourné dans la ville de Nice au début de l’année 19301, A Propos de Nice, qui est le premier travail cinématographique de Jean Vigo, a été réalisé dans le cadre des Cités symphonies, une série sur les villes dans les années 1920. Cette série veut montrer la modernisation de la ville grâce à un travail formel et mécanique. Le tournage s’effectue sur une journée. Sous les toits de Paris. Un chanteur des rues tombe amoureux d’une jeune étrangère, mais, injustement accusé de vol, il est jeté en prison.. Allô Berlin, ici Paris. Les standardistes de Paris et de Berlin sont très souvent en contact, en effectuant les connexions innombrables entre les deux capitales. Annette, de Paris, finit par s’éprendre d’Erich, de Berlin. Un jour, Erich annonce qu’il va venir à Paris mais les choses ne se passent pas comme prévu… Paris-Béguin Pour ne pas compromettre la grande vedette du music-hall avec laquelle il a passe la nuit, un homme se voit accuse d’un meurtre qu’il n’a pas commis.

PENSION MIMOSAS – MERLUSSE – AVEC LE SOURIRE
Pension Mimosas. A Nice, M. et Mme Noblet tiennent la pension Mimosas. Ils ont la garde d’un enfant, Pierre, dont le pere est en prison. Dix ans plus tard, leur fils adoptif, qui vivait a Paris de trafics louches, trouve refuge aupres d’eux avec sa maitresse Nelly. Merlusse. Noël ! Il ne reste dans le grand lycée que quelques gosses oubliés par les leurs : les « orphelins », les « exilés », livrés au plus effrayant, au plus détesté des pions : Merlusse, au visage balafré… Avec le sourire. À Paris, Victor Larnois fait la connaissance de Gisèle Berthier, danseuse au music-hall « Le Palace ». Grâce à sa débrouillardise, Victor devient chasseur de l’établissement, puis secrétaire de Suzy Dorfeuil, la vedette, et se rend « indispensable » auprès du propriétaire, Villary. Bientôt, il s’arrange pour que Gisèle remplace Suzy…

LE MORT EN FUITE – LA BATAILLE SILENCIEUSE – CLAUDINE À L’ÉCOLE
Le Mort en fuite. Deux acteurs ratés, Trignol et Baluchet, élaborent une mise en scène afin d’être connus du grand public : Baluchet fait semblant de tuer son ami, qui réapparaitra comme par magie au moment du procès. Tout se complique lorsque « le mort » disparait pour de bon, laissant le faux coupable dans une bien mauvaise posture… La Bataille silencieuse. Un jeune journaliste parti en reportage avec les papiers d’un camarade se trouve mêlé à des affaires de trafic d’armes. Le hasard le met en contact avec Draguicha, une étudiante serbe qui, abusée par des hommes d’affaires, prépare un attentat contre l’Orient-Express… Claudine à l’école. La vie de collège de l’espiègle Claudine à la fin des années 1800. Son indiscipline auprès des adultes et ses premiers émois amoureux.

DOUBLE CRIME SUR LA LIGNE MAGINOT – TARAKANOVA – L’ENTRAÎNEUSE – ERNEST LE REBELLE
Double crime sur la ligne Maginot. Le commandant d’Espinac est retrouvé assassiné. S’étant disputé la veille du meurtre avec le capitaine Bruchot, celui-ci est accusé. Le capitaine va devoir mener sa propre enquête s’il veut se disculper. Ses soupçons vont se poser sur l’un des trois officiers attachés à son unité. Tarakanova. Le comte Orlov , favori de l’ impératrice Catherine , part pour Venise dans le but de séduire la jeune princesse Elisabetta Tarakanova, prétendante au trône , puis de la ramener en Russie où l’attend un procès pour haute trahison et la condamne à mort . Le comte se retrouve amoureux et tente de la libérer, mais il devra à la place partager son destin tragique. L’entraîneuse. Suzy est entraîneuse au cabaret La Dame de Coeur. Lors d’un séjour sur la Côte d’Azur, elle fait la connaissance de Pierre Noblet, qui s’avère être un ancien client de son cabaret. Ernest le rebelle. Ernest Pic, steward et accordéoniste à bord d’un navire de plaisance, multiplie les gaffes au grand désespoir de l’équipage et des passagers. Après une escale dans un port d’Amérique du Sud, le paquebot repart sans lui.
- THE LONG NIGHT – Anatole Litvak (1947) / LE JOUR SE LÈVE « refait » et « trahi »
- EDWIGE FEUILLÈRE : LA GRANDE DAME DU SEPTIÈME ART
- LA POLITIQUE DU CINÉMA FRANÇAIS
- THE GARMENT JUNGLE (Racket dans la couture) – Vincent Sherman (1957)
- THE RACKET (Racket) – John Cromwell (1951)
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