Rita Hayworth fut une actrice magnifique, une vamp éblouissante, une pin-up d’anthologie, et pourtant la postérité ne lui rend pas justice. Elle l’associe avant tout à la séquence de Gilda (1946) où, vêtue d’une robe fourreau noire, elle joue avec les nerfs des hommes qui l’entourent et exécute une allégorie de striptease aussi torride que minimaliste, en ôtant simplement un gant. Mais ce personnage de sex-symbol castrateur, façonné par Harry Cohn, le patron de la Columbia, était à cent lieues de la véritable Rita Hayworth, comme le déclara Orson Welles : « Sa qualité essentielle était la douceur. On devinait en elle une richesse, une épaisseur qui la rendaient très intéressante, et que l’on trouve rarement chez une star de cinéma. »

Pour accéder à sa vérité, il faut la regarder danser. Non pas onduler comme dans Gilda, mais s’aventurer dans d’exigeantes chorégraphies où son élégance profonde transcende le vernis des grosses machines hollywoodiennes. Joseph Cotten a dit : « Peu importe à quel point le film était mauvais. Quand Rita dansait, c’était comme regarder en action l’une des merveilles du monde. » Mais la danseuse au sang hispanique se rêvait en tragédienne américaine, et son obstination à fuir ce qu’elle était ne l’aida pas à devenir ce qu’elle voulait être. Au bout du compte, Rita Hayworth pâtit d’être trop souvent employée dans des films médiocres, exclusivement destinés à mettre en valeur son immense beauté. Elle laisse tout de même une œuvre importante, riche avant tout des séquences où elle danse, avec une grâce et une expressivité gestuelle incomparables.

Sa vie fut un enfer à cause de trois hommes : son père, qui fit d’elle une danseuse et abusa d’elle ; son premier mari, qui la transforma en actrice et l’exploita sans scrupule; Harry Cohn, qui la propulsa au rang de star et essaya sans succès de la mettre dans son lit. Et même Orson Welles, qui lui offrit un rôle époustouflant dans The Lady from Shanghai (La Dame de Shanghai, 1948), ne se priva pas de la faire souffrir… [Hollywood, la cité des femmes – Antoine Sire – Ed. Institut Lumière / Actes Sud – 2016]

Née à Brooklyn en 1918, Rita Hayworth s’imposa comme le grand sex-symbol du cinéma au cours des années d’après-guerre. Son personnage, à la fois sensuel, sans préjugé et élégamment sophistiqué (qui atteint le comble de l’achèvement avec Gilda, 1946) fut d’ailleurs fabriqué en parfaite connaissance de cause par Rita Hayworth elle-même et par toute une équipe au prix d’un travail de près de dix ans ! Malgré un apparent mépris des conventions – illustré par une succession de mariages, divorces et autres aventures qui défrayèrent la chronique – le personnage Hayworth n’avait pas grand-chose à voir avec la personnalité réelle de l’actrice comme elle le dit elle-même en expliquant la faillite de ses différents mariages : « Tous épousaient Gilda, mais ils se réveillaient avec moi !.. »

Rita débuta à l’âge de treize ans, sous son vrai nom, Margarita Carmen Cansino, en compagnie de son père Eduardo, un danseur assez célèbre à l’époque. Grâce à ses leçons, elle devint à son tour une excellente danseuse (et tout particulièrement dans le style sud-américain).

La belle señorita
Hollywood découvrit Rita Hayworth en 1933. Après un bout d’essai, la Warner l’avait écartée, la jugeant trop ronde et lui reprochant son front trop étroit. Winfield Sheenan, producteur en chef de la Fox, séduit par son charme et son allure, la prit alors sous contrat. Sous le nom de Rita Cansino, elle dansa dans une séquence de Dante’s Inferno (L’Enfer, 1935), puis apparut dans quatre autres films de médiocre qualité. Quand la Fox fusionna avec la 20th Century Films, le nouveau producteur en chef Darryl F. Zanuck la remplaça dans le rôle principal du film en Technicolor Ramona (1936) par Loretta Young, puis annula Son contrat. Libre de tout engagement, on la vit, plus tard, dans Meet Nero Wolfe (1936) et dans quelques modestes westerns.

C’est à ce moment que son mari Edward C. Judson, entreprit de s’intéresser à sa carrière. Non seulement il la persuada qu’il lui fallait prendre des cours de diction (et se mettre à la diète !) mais il la conseilla pour ses toilettes, révisa son maquillage et enfin – avec le secours de la chirurgie esthétique – dégagea son front. Harry Cohn, le patron de la Columbia, la vit, et fut littéralement fasciné : il lui signa un contrat de 250 dollars par semaine (contrat qui prévoyait que ce chiffre serait porté à 1 750 dollars dans un délai de sept ans), lui fit changer de nom – pour effacer ses précédentes expériences cinématographiques – et la fit tourner dans une douzaine de films sans grande valeur, à seules fins de lui permettre d’acquérir du métier.

Rita était ambitieuse et opiniâtre. Elle fit patiemment son apprentissage en attendant, non moins patiemment, son heure. Celle-ci vint avec Only Angels Have Wings (Seuls les anges ont des ailes, 1939) de Howard Hawks, film dans lequel elle interprétait le rôle de l’épouse volubile, mais fidèle, de Richard Barthelmess. Malgré la présence écrasante de ses célèbres partenaires, Jean Arthur et Cary Grant, elle réussit à se faire remarquer. George Cukor, le directeur des actrices par excellence, lui avait fait faire un bout d’essai en 1938 pour interpréter le premier rôle de Holiday (Vacances) qu’il avait confié ensuite à Katharine Hepburn parce que Rita ne lui semblait pas assez mûre. Il ne l’avait pas oubliée pour autant et la recommanda à la MGM, qui se la fit « prêter » pour Suzanne et ses idées (Susan and God, 1940) avec Joan Crawford pour vedette ; elle n’y interprétait qu’un rôle secondaire, mais riche en glamour. Le public réagit promptement à son charme à tel point que la Columbia dut faire tirer un grand nombre de photos publicitaires pour satisfaire à la demande de ses admirateurs. Parfaitement conscient d’avoir mis la main sur une future star, Cohn ne savait pas très bien cependant comment l’employer.

Il la mit à l’épreuve dans deux productions importantes The Lady in Question (1940) – dans lequel la vedette fut dirigée pour la première fois par Charles Vidor qui réalisera par la suite trois de ses plus gros succès – et Angels Over Broadway (1940). Les critiques furent positives malgré l’échec relatif de ces films. Il devait revenir à deux autres compagnies de révéler à Cohn quel atout il possédait avec Rita Hayworth. Pour Ann Sheridan, la Warner avait bâti sur mesures le scénario de Strawberry Blonde (1941) mais quand, au dernier moment, celle-ci refusa le rôle, la Warner se mit en quête d’une étoile de second plan pour la remplacer. C’est ainsi que le rôle échut à Rita Hayworth : celui d’une fille joyeuse et dépourvue de préjugés, cherchant à « souffler» James Cagney à la sérieuse Olivia de Havilland. Cet excellent film de Raoul Walsh obtint un vif succès et lança Rita Hayworth.

Après une autre comédie mineure tournée à la Warner, Rita Hayworth fut « prêtée » à la 20th Century-Fox pour remplacer Carole Landis (elle avait fermement refusé de se faire teindre en rousse et d’interpréter un personnage négatif) dans Blood and Sand (Arènes sanglantes, 1941), un film en Technicolor dirigé par Mamoulian. Dans le rôle de Dona Sol, une noble dame fascinante et sensuelle qui cherche à « voler » un torero (Tyrone Power) à Linda Darnell, Rita Hayworth réalisa une magnifique performance. Bien que Blood and Sand n’ait pas obtenu le succès espéré, Rita était désormais lancée; ses apparitions sur les couvertures de revues donnent la mesure de son prestige : entre 1941 et 1942, son visage lumineux et souriant apparut à vingt-trois reprises.

Sympathie et sex-appeal
Mis à part un épisode de Tales of Manhattan de Julien Duvivier (Six Destins, 1942) écrit par Ben Hecht où Rita Hayworth jouait le rôle d’une épouse infidèle, les cinq films qu’elle interpréta par la suite s’inspirèrent plutôt du personnage de Strawberry Blonde, afin de mettre en valeur le côté le plus sympathique de Son personnage. C’est au cours de ces quatre ans qu’elle s’affirma comme une étoile de première grandeur. Elle réussissait ce tour de force, en effet, d’être belle et sensuelle d’une façon que l’on pourrait qualifier de « propre « .

Rita Hayworth se remit également à danser et le public commença à la considérer comme une vedette de comédie musicale : tant et si bien que jusque vers la fin des années 1950, dans quelque genre de film qu’elle apparût, le public attendait toujours impatiemment « son » numéro. Malheureusement, elle n’avait pas beaucoup de voix et toutes ses chansons devaient être doublées : un secret que la Columbia garda jalousement pour différents motifs. You’ll Never Get Rich (L’amour vient en dansant, 1941) et You Were Never Lovelier (Ô toi, ma charmante, 1942) répondaient à toutes les exigences de la comédie musicale à succès de l’époque ; et dans ces deux films elle partagea la vedette avec Fred Astaire.

L’intrigue de Cover Girl (La Reine de Broadway, 1944) était assez banale et stéréotypée (la danseuse réussira-t-elle par son talent ou sa beauté ? Restera-t-elle avec le pauvre danseur qui l’aime ou bien partira-t-elle avec le riche playboy ?), mais le spectateur n’en avait cure. Avec Gene Kelly pour partenaire, Rita Hayworth dansait et « chantait » les refrains de Jerome Kern et d’Ira Gershwin. Ce film fut un succès sans précédent ; il lui valut une renommée internationale.

L’apothéose de « Gilda » et le déclin
Un peu avant la sortie de Gilda sur les écrans, les premiers tours de manivelle de Down to Earth (L’Étoile des étoiles, 1947) avaient été donnés. Tourné dans un Technicolor éblouissant avec une Rita Hayworth dans une forme splendide, le film, malgré les bons résultats obtenus au box-office, fut éclipsé par Gilda qui avait révélé une nouvelle image de la vedette, davantage en harmonie avec le goût manifesté par les Américains d’après-guerre. En s’identifiant au personnage de la femme fatale du film noir avec lequel elle serait désormais confondue, Rita Hayworth atteignait sa maturité. Dans ses rôles, elle ne devait plus se limiter à être simplement belle et à savoir danser : on exigeait plus de consistance.

Après Gilda le lent déclin de la carrière de l’actrice s’amorça. Pendant sept années encore, ses films firent recette et pourtant une grande partie de la séduction et de la charge érotique de Gilda était maintenant perdue. Au cours de ces sept années, toutefois, elle interpréta sous la direction d’Orson Welles, alors son mari, son meilleur film : The Lady From Shanghai (1947) : un désastre financier certainement imputable au fait qu’il s’agissait d’une œuvre d’auteur, non d’un scénario spécialement conçu pour la vedette. Rita, pour la circonstance, était devenue blonde et avait fait couper sa flamboyante chevelure. Elle ne dansait pas et ne « chantait » qu’une seule – et ironique – chanson. Enfin, son personnage même était différent de celui qui avait enflammé le public de Gilda. Avec une longueur d’avance sur son temps, The Lady From Shanghai démythifia les illusions romantiques et les institutions de la société américaine ; avec raison, Rita Hayworth considéra ce film comme un des meilleurs de sa carrière.

A nouveau liée par contrat avec la Columbia, l’actrice fut une Carmen insouciante dans The Loves of Carmen (Les Amours de Carmen, 1948). Après une absence de quatre ans (correspondant à son mariage avec Ali Khan, dont elle se sépara par la suite), elle revint à l’écran avec Affair in Trinidad (1952), insipide remake de Gilda, pour aborder ensuite le genre biblique et interpréter en 1953 une version angélique de Salome. Au cours de cette même année, visiblement gênée par un certain empâtement mais toujours aussi sensuelle, elle interpréta Miss Sadie Thompson (La Belle du Pacifique) un film en couleurs et « en relief », peu apprécié du public alors que Salome se révéla au contraire un beau succès commercial.

Mythe et réalité
Après avoir interprété le rôle d’une femme mûre amoureuse de Frank Sinatra mais contrainte de céder la place à Kim Novak dans Pal Joey (La Blonde ou la Rousse, 1957), Rita Hayworth quitta la Columbia pour laquelle elle tourna cependant, en 1959, un intéressant western : They Came to Cordura (Ceux de Cordura). Puis elle aborda le mélodrame, interprétant une actrice sur le déclin dans Separate Tables (Tables séparées, 1958) ; une épouse malheureuse accusée d’homicide dans The Story on Page One (Du sang en première page, 1959) et une mère malheureuse dans Circus World (Quand le cirque, 1964). Avec The Happy Thieves (Les Joyeux Voleurs, 1962), elle revint à la comédie. Mais le succès fuyait Rita. Après The Money Trap (Piège au grisbi, 1965) où, toujours splendide, elle donna une nouvelle preuve de son talent, on la vit encore dans quelques films de série B et en 1970 dans La Roule de Satina où, dans le rôle d’une infortunée propriétaire de night-club, elle montra encore ses réelles qualités d’actrice.

L’alcool et les désillusions ont anéanti cette magnifique créature. Il est fort peu probable. Tandis que la femme déchue est entrée dans l’ombre, l’actrice survit, rayonnante, dans le souvenir des spectateurs. En 1980, un médecin diagnostique la maladie d’Alzheimer alors qu’elle n’a que 62 ans. Elle décédera en 1987 à New York.

les extraits

THE LADY FROM SHANGHAI – Orson Welles (1947)
« Si j’avais pu prévoir où tout cela me mènerait, je ne me serais jamais lancé dans cette aventure… si j’avais gardé ma lucidité je veux dire. Mais dès que je l’ai vue, dès la première minute, mon esprit chavira, et il me fallut pas mal de temps pour retrouver la raison. »

YOU’LL NEVER GET RICH – (L’Amour vient en dansant) – Sidney Lanfield (1941)
Première des deux comédies musicales interprétées par les talentueux Fred Astaire et Rita Hayworth, cette production de la Columbia mise en outre sur une bande originale signée Cole Porter.

COVER GIRL (La reine de Broadway) – Charles Vidor (1944)
Pour un historien de cinéma, l’un des éléments les plus marquants de Cover girl est assurément le conflit de générations qui a marqué son tournage en 1943, même si cet affrontement n’a peut-être pas été perçu comme tel à l’époque. Une grande partie de l’équipe est en effet composée de vétérans du cinéma, qu’il s’agisse du réalisateur Charles Vidor, du chef opérateur Rudolph Maté, du compositeur Jerome Kern ou du parolier Ira Gerswhin.

GILDA – Charles Vidor (1946)
Si Gilda devient l’un des plus grands succès de l’année 1946 et entrera dans la mémoire collective des cinéphiles comme un classique du film Noir, il le doit à l’érotisme intense de son actrice principale. Rita Hayworth, ou plus exactement au strip-tease légendaire qui fit tourner la tête…

PAL JOEY (La Blonde ou la Rousse) – George Sidney (1957)
Le chanteur de music-hall Joey Evans est un séducteur impénitent qui a la réputation de créer des tas d’ennuis à ceux qui l’emploient. Débarquant à San Francisco, il parvient à se faire engager dans un cabaret, où il entreprend de conquérir une jeune danseuse, mais cet homme ambitieux et sans scrupule va également tenter de séduire une femme du monde qui pourrait l’aider à monter son propre établissement. Sortie en 1957, cette comédie musicale de George Sidney bénéficie de la présence de trois grandes stars (Rita Hayworth – Frank Sinatra – Kim Novak), ainsi que d’une bande originale entièrement signée Richard Rodgers et Lorenz Hart.

YOU WERE NEVER LOVELIER (Ô toi ma charmante) – William A. Seiter (1942)
Quand Fred Astaire et Rita Hayworth se lancent en 1942 dans l’aventure de You were never lovelier, leur statut vient de changer. Leur premier film, You’ll never get rich, réunissait en effet l’année précédente un acteur certes légendaire, mais en perte de vitesse, et une starlette prometteuse. L’accueil reçu par ce premier opus ayant fait monter en flèche leurs cotes respectives,
- I DIED A THOUSAND TIMES (La Peur au ventre) – Stuart Heisler (1955)
- BARBARA STANWYCK
- ALL ABOUT EVE (Ève) – Joseph L. Mankiewicz (1950)
- [AUTOUR DE « L’IMPOSTEUR »] HOLLYWOOD S’EN VA-T-EN GUERRE
- JEAN GABIN : LE MAL DU PAYS
Catégories :Les Actrices et Acteurs
magnifique elle restera dans l’histoire du cinéma merci pour cet article, et video !!
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