Frappé d’ostracisme par Hollywood et les sociétés de disques, abandonné même par ses agents, Sinatra, dans le début des années 50, faillit bien être mis aux oubliettes du monde du spectacle. Il ne fallut qu’un film, et un Oscar, pour le conduire au sommet de la gloire.

FRANK SINATRA
Vers 1945, Frank Sinatra (né en 1915) est le roi incontesté de la musique de variétés. Ancien chanteur de l’orchestre de Tommy Dorsey, « The Voice » (la « Voix » comme on l’a baptisé) est sans arrêt assailli par des hordes d’admiratrices dont les manifestations hystériques resteront sans égal jusqu’à l’explosion des Beatles, vingt ans plus tard.

FRANK SINATRA
Inévitablement, Hollywood fait appel à lui. En 1943, la RKO lui confie son premier vrai rôle dans Higher and Higher (Amour et swing), comédie légère dans laquelle il interprétait (aux côtés de Michèle Morgan) le rôle de… Frank Sinatra. En fait, il ne se contente pas d’y chanter une série de chansons de charme, entre autres « This is a lovely way to spend an evening », mais montre aussi qu’il sait être à l’aise dans les dialogues. Ses qualités se confirment l’année suivante dans « Step lively » puis dans un film plus important, Anchors Aweigh (Escale à Hollywood, 1945), premier long métrage de Sinatra pour la MGM qui produira par la suite bon nombre de ses films.

FRANK SINATRA
Vers la fin des années 40, l’étoile de Frank Sinatra semble pourtant pâlir. Depuis qu’il a renoncé aux ballades qui lui ont valu la célébrité au profit de chansons plus rythmées, la vente de ses disques et, par conséquent, son prestige hollywoodien régressent. Comme si cela ne suffisait pas, une campagne de presse sur ses relations présumées avec le Milieu nuit beaucoup à son image de marque.

Frank Sinatra dans On the Town (Un jour à New York) réalisé par Stanley Donen et Gene Kelly (1949)
S’il apparaît au générique de On the Town (Un jour à New York, 1949), ce n’est pourtant pas dans le rôle principal. Celui-ci est réservé à Gene Kelly. Alors que Kelly devient aussitôt la grande star du genre pour la MGM, Frank Sinatra doit se contenter des films médiocres que la RKO et l’Universal lui proposent. [La grande histoire illustrée du 7ème art – Editions Atlas (1983)]

Frank Sinatra, Ava Gardner et Orson Welles
Le succès revient
La carrière de Frank Sinatra paraît terminée, mais il lui reste un atout. Par sa volonté et son opiniâtreté – il est prêt aux plus modestes conditions -, Sinatra réussit à convaincre la Columbia de lui attribuer, en 1953, le rôle – cette fois sans chansons – du soldat Maggio dans From Here to Eternity (Tant qu’il y aura des hommes), version cinématographique de Fred Zinnemann du célèbre roman de James Jones.

Montgomery Clift et Frank Sinatra dans From Here to Eternity (Tant qu’il y aura des hommes) de Fred Zinnemann, (1953)
Confronté à des stars comme Montgomery Clift et Burt Lancaster, Sinatra tire brillamment son épingle du jeu. En fait, il est la révélation du film. Son interprétation de Maggio, voyou loyal destiné à mourir de la main du sergent « Fatso » Judson – l’inoubliable sadique incarné par Ernest Borgnine -, vaut largement celle des acteurs chevronnés si elle ne les dépasse. Cette performance est récompensée par l’Oscar du meilleur second rôle : sa carrière prend un nouvel essor.

FRANK SINATRA
Sinatra chanteur renoue aussi avec le succès: vers 1955 sa collaboration avec l’arrangeur et chef d’orchestre Nelson Riddle donne naissance à de nombreux disques devenus des classiques du genre, dont le plus fameux reste « Songs for swingin lovers ». Mais fort de son triomphe avec le rôle de Maggio, c’est vers le cinéma que Frank Sinatra va, dès lors, déployer toute son énergie.

Dean Martin, Judy Garland et Frank Sinatra
Entre 1953 et 1960, il joue en vedette dans quinze films, et participe à deux autres. En fait, il n’est pas exagéré d’affirmer que le succès du personnage de Maggio l’a encouragé à opter le plus souvent pour le cinéma.

Le jeune Frank Sinatra entouré d’admiratrices lors d’une fête, vers 1942.
Les comédies musicales des années 40 ne lui avaient guère permis d’affirmer sa personnalité en tant qu’acteur. Pourtant, son interprétation du mélodrame Meet Danny Wilson (Quand tu me souris, 1951), où il joue le rôle d’un chanteur ambitieux compromis dans une affaire de racket contre des night-clubs, annonçait la solitude et la timidité maladive qui caractériseront le personnage de Maggio. Cette interprétation lui vaut l’étiquette de héros « marginal » qui le conduira dans les années 60 à interpréter un certain nombre de personnages « noirs ».

Frank Sinatra dans JOHNNY CONCHO réalisé par Don McGuire (1956)
Dans Suddenly (Je dois tuer, de Louis Allen ( 1954), thriller à petit budget, fort habile, Frank Sinatra interprète un tueur à gages chargé d’assassiner le président des Etats-Unis. Dans Johnny Concho (1956) de Don McGuire, il devient un fanfaron froussard qui se sert de la réputation de son frère, bandit terrible et sanguinaire. Dans le film d’Otto Preminger The Man With the Golden Arm (L’Homme au bras d’or, 1956), il est Frankie Machine, toxicomane pris dans le racket des jeux de hasard et esclave de sa femme qui feint la paralysie pour le garder près d’elle.

ON SET – Frank Sinatra et Otto Preminger dans The Man With the Golden Arm (1955)
Deux autres films, Young at Heart (1954) de Gordon Douglas et The Joker is Wild (Le Pantin brisé, 1957) de Charles Vidor sont en un certain sens plus proches de la personnalité réelle de Frank Sinatra. Dans le premier il interprète un compositeur cynique et dépressif. Dans le second, biographie sentimentale et romancée de l’ascension et du déclin du comique Joe E. Lewis, il est aux prises avec les gangsters, l’alcool et les amours malheureuses, autant d’éléments qui rappellent ses propres tribulations. [La grande histoire illustrée du 7ème art – Editions Atlas (1983)]

Bing Crosby, Grace Kelly et Frank Sinatra dans HIGH SOCIETY réalisé par Charles Walters (1956)
Une canaille et un séducteur
Les années 50 donneront aussi à Sinatra l’occasion de s’exprimer dans un registre plus « léger » avec une série de films musicaux et de comédies à gros budget. Ces interprétations peuvent d’ailleurs être considérées comme des variations optimistes sur le thème du personnage solitaire de ses films dramatiques : après tout, même le soldat Maggio ne manquait pas d’humour.

Kim Novak, Frank Sinatra et Rita Hayworth dans PAL JOEY (La Blonde ou la Rousse) réalisé par George Sidney (1957)
Dans The Tender Trap (Le Tendre Piège, 1955) de Charles Walters, Sinatra interprète un impresario de Broadway, coureur de jupons sans scrupule, finalement pris au piège de l’amour par une jeune actrice (Debbie Reynolds). Dans Guys and Dolls (Blanches Colombes et vilains messieurs, 1955) de Mankiewicz, où il joue le rôle de Nathan Detroit, propriétaire du « plus ancien tripot clandestin de New York », il est prêt à tout pour ne pas convoler en justes noces. Dans High Society (Haute Société, 1956) de Charles Walters où il chante de manière inoubliable « You’re sensational » pour Grace Kelly, il campe un journaliste insolent aux prises avec la bonne société new-yorkaise. On se souviendra également de son interprétation du chanteur cynique racheté par la petite danseuse qui l’aime (Kim Novak), dans Pal Joey (La Blonde ou la rousse, 1957) de George Sidney, film qui bénéficie entre autres de deux fameuses chansons : « My funny valentine » qu’il chante pour la blonde Kim Novak et « The lady is a tramp », dédiée à son autre partenaire : Rita Hayworth. Jouant sur deux registres absolument différents, Frank Sinatra couronne cette décennie par deux interprétations magistrales : celle du romancier amer et vulnérable qui se heurte à l’hypocrisie d’une ville de province dans Some Came Running (Comme un torrent, 1958) chef-d’œuvre de Vincente Minnelli, et celle du raté dans A Hole in the Head (Un trou dans la tête, 1959), film sous-estimé de Frank Capra.

Shirley MacLaine et Frank Sinatra dans SOME CAME RUNNING (Comme un torrent) réalisé par Vincente Minnelli (1958)
Au début des années 60, Frank Sinatra est devenu une véritable institution du monde du spectacle. En tant que chanteur, il a retrouvé sa popularité et beaucoup de ses films, surtout ceux où il est entouré des autres membres du fameux « clan » de Las Vegas (entre autres Dean Martin et Sammy Davis Jr.), obtiennent un succès commercial plus qu’honorable malgré une valeur artistique souvent moindre.

FRANK SINATRA
Le policier de The Manchurian Candidate (Un crime dans la tête, 1962) lui offre l’occasion de renouer avec son ancien personnage, mais ce film se présente comme un cas isolé dans une série de productions comiques médiocres et de films d’aventures sans surprise. Frank Sinatra, comme s’il sentait la nécessité de changer de registre, se hasarde pour la première et unique fois dans la mise en scène avec None but the Brave (L’Ile des braves, 1965), film pacifiste chargé de rhétorique où il ne se réserve qu’une modeste apparition.

Photo de promotion du film Guys and Dolls avec Frank Sinatra et Marlon Brando
Son interprétation dans le film de guerre nettement plus traditionnel, Von Ryan’s Express (L’Express de Von Ryan, 1965), marque en quelque sorte son retour au personnage de l’homme blasé et solitaire : cette solitude en l’occurrence est celle d’un officier d’aviation fort impopulaire mais qui se rachète par un acte d’héroïsme final. Toujours dans la même veine, citons son interprétation du film Tony Rome est dangereux (1967) de Gordon Douglas: dans le rôle de Tony Rome, taciturne détective privé de Floride, Frank Sinatra renoue, avec nostalgie, avec sa verve humoristique des années 50.

Frank Sinatra, Lauren Bacall et Humphrey Bogart.
Ce film donnera lieu à une suite médiocre : Lady in Cement (La Femme en ciment, 1968). La même année, cependant, Frank Sinatra se signale par une interprétation des plus intéressantes : dans The Détective (1968) toujours de Gordon Douglas, il incarne un policier obstiné et scrupuleux qui, dans le cynisme ambiant auquel il n’échappe pas, cherche à sauvegarder ses convictions progressistes.

Frank Sinatra dans THE FIRST DEADLY réalisé par Brian G. Hutton (1980)
Ce film sera suivi d’œuvres beaucoup plus quelconques. Quant au western intitulé Dirty Dingus Magee (Un beau salaud, 1970), il vaut mieux le passer sous silence. Après être resté longtemps absent des écrans, Sinatra redevient policier, en 1980, dans First Deadly Sin (De Plein fouet). S’il est certain que Frank Sinatra a donné le meilleur de lui-même dans la chanson, sa contribution au cinéma ne doit cependant pas être tenue pour négligeable : il suffit d’une seule interprétation inoubliable comme celle de Maggio pour racheter la médiocrité d’un Dingus Magee. [La grande histoire illustrée du 7ème art – Editions Atlas (1983)]

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