
Quand elle commença à travailler avec Fred Astaire, Ginger Rogers était totalement inconnue mais elle était déjà poussée par une grande ambition qui lui venait en partie du tempérament très volontaire de sa mère. Il n’est donc pas surprenant qu’elle ait cherché, très tôt – en tout cas plus rapidement que son prestigieux partenaire – à s’affirmer au cinéma autrement que par la danse.



Les dix comédies musicales de Ginger Rogers avec Astaire furent à la fois son viatique pour la gloire et l’obstacle à la reconnaissance à laquelle elle aspirait. Le monde entier la chérissait, mais elle devait se satisfaire d’une demi-place dans les cœurs. Contrairement à la légende, les deux artistes rapprochés à l’initiative de la RKO ne se détestaient pas, mais l’actrice rappelait sans cesse qu’elle avait joué sans son partenaire dans soixante films, et n’espérait rien tant qu’être reconnue pour ces prestations. Lorsque le tandem se fit remarquer dans Flying Down to Rio (Carioca, 1933) de Thornton Freeland, c’était seulement le deuxième film du grand danseur, alors que Ginger Rogers en comptait déjà vingt à son actif. À la grande époque de leur association, elle tournait deux à trois films non musicaux en solo pour un avec Fred Astaire…



Mariée cinq fois, notamment avec les comédiens Jack Pepper et Lew Ayres ainsi qu’avec l’étonnant play-boy français Jacques Bergerac, puis avec William Marshall, ex-mari de Michèle Morgan puis de Micheline Presle, Ginger Rogers fit aussi partie des conquêtes du légendaire Howard Hughes. Elle mettait sa vie sentimentale chaotique sur le compte des sacrifices exigés par le métier. Tout en étant bien dotée par la nature, elle fait partie de ces actrices hollywoodiennes qui ont réussi au prix d’un travail acharné, et d’une discipline alimentaire et sportive sans faille – sauf dans les dernières années de sa vie, où elle s’était laissée grossir. [Ginger Rogers, la fantaisiste qui rêvait de mélodrames – Hollywood, la cité des femmes – Antoine Sire (Ed. Actes Sud – Beaux-Arts – Institut Lumière) 2016]



Ginger Rogers fut une des stars les plus actives de la RKO ; elle apparut dans des films de tous genres, de la comédie au drame ; alors qu’elle était encore la partenaire de Fred Astaire, elle joua dans Stage Door (Pension d’artiste, 1937) avec Katharine Hepburn. Quand elle se sépara de Fred, elle apparut dans une comédie à succès, Bachelor Mother (Mademoiselle et son bébé, 1939), où elle tenait le rôle d’une vendeuse recueillant un enfant trouvé et faisant croire que c’était son fils. En 1940, dans Primrose Path (Le Lys du ruisseau), un film à caractère dramatique de Gregory La Cava, elle incarnait une jeune fille issue d’un quartier pauvre qui, maltraitée par sa famille, se sauvait de sa maison.



Primrose est l’un des films préférés de Ginger Rogers, de même que Kitty Foyle (1940), l’œuvre qui l’imposa comme une des meilleures actrices américaines et qui lui valut l’Oscar. Elle atteignit ainsi le sommet de sa carrière et continua de jouer, toujours avec succès, dans de nombreux autres films : pendant la guerre, elle interpréta Tom, Dick and Harry (Ses trois amoureux, 1941), Roxie Hart (1942), The Major and the Minor (Uniformes et jupons courts, 1942), puis Lady in the Dark (Les Nuits ensorcelées , 1944), une pompeuse adaptation en couleurs de la comédie musicale de Kurt Weill présentée à Broadway.



Dans la décennie qui suivit la guerre, elle joua de nouveau avec Fred Astaire dans The Barkleys of Broadway (Entrons dans la danse , 1949), remplaçant Judy Garland, alors physiquement et psychiquement épuisée. Elle fut, en compagnie de Cary Grant, au cœur des ébouriffants imbroglios de Monkey Business (Chéri, je me sens rajeunir, 1952). Elle donna aussi une bonne interprétation de l’ancienne maîtresse d’un gangster dans Forever Female (L’Eternel Féminin, 1953).



Elle revint ensuite au théâtre où elle fut la protagoniste de « Mame » en 1969. Graham Greene déclara qu’elle aurait été une excellente interprète de l’excentrique Augusta dans le film Travels With My Aunt (Voyage avec ma tante, 1972), tiré de son roman, mais le rôle fut confié à Maggie Smith et Ginger Rogers perdit ainsi une occasion de donner une nouvelle preuve de son talent. [Comédie Musicale – Entrons dans la danse – Eric Quéméré – n°20]




LE MYTHE GINGER ET FRED
Dans les années 1930, la RKO révolutionne la comédie musicale grâce à deux artistes qui, de Carioca (Flying Down to Rio) à La Grande Farandole (The Story of Vernon and Irene Castle), vont s’imposer comme les maîtres du genre.
Gros plan sur un film : Follow the Fleet (Mark Sandrich,1936)
Après l’énorme succès de Top Hat, les deux artistes encharnent avec un autre film de Mark Sandrich, Follow the Fleet, sur une bande originale de Max Steiner et Irving Berlin. C’est l’histoire d’un marin embarqué sur un bateau de guerre qui, lors d’une escale, retrouve une chanteuse qu’il a aimée dans son passé de crooner. Ginger Rogers exécute dix-neuf minutes de numéros chantés ou dansés, le record de sa filmographie. On la voit pour la seule fois de sa carrière dans un solo de claquettes, vêtue d’un short qui ne laisse rien perdre de son plaisant jeu de jambes. Elle pétille de tous ses feux dans ce film, qui n’est sans doute pas le meilleur du couple, mais où elle est au sommet de sa vivacité et de sa virtuosité chorégraphique.
Pour pimenter son personnage dans les numéros de danse, elle se fait faire des robes toujours plus extravagantes. Alors que, dans ce film, Fred Astaire et Ginger Rogers délaissent leurs habits de soirée, lui pour un uniforme de marin et elle pour une tenue de chanteuse de cabaret, Pandro Berman et Mark Sandrich décident d’ajouter un numéro final sans rapport avec le reste de l’histoire. Intitulé Let’s Face the Music and Dance, il permit de retrouver Fred Astaire en frac et Ginger Rogers dans une robe sophistiquée qui pèse plus de douze kilos, ce qui rend la danse particulièrement difficile. Lors de la première prise, Ginger Rogers gifle involontairement le pauvre Fred Astaire avec ses manches empesées. La scène est retournée vingt fois mais il faut se rendre à l’évidence : la prise où Fred Astaire reçoit une gifle est la meilleure, elle sera donc utilisée. [Ginger Rogers, la fantaisiste qui rêvait de mélodrames – Hollywood, la cité des femmes – Antoine Sire (Ed. Actes Sud – Beaux-Arts – Institut Lumière) 2016]

- THE LONG NIGHT – Anatole Litvak (1947) / LE JOUR SE LÈVE « refait » et « trahi »
- EDWIGE FEUILLÈRE : LA GRANDE DAME DU SEPTIÈME ART
- LA POLITIQUE DU CINÉMA FRANÇAIS
- THE GARMENT JUNGLE (Racket dans la couture) – Vincent Sherman (1957)
- THE RACKET (Racket) – John Cromwell (1951)
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