Le Film étranger

MONKEY BUSINESS (Chérie, je me sens rajeunir) – Howard Hawks (1952)

Quinze ans après le triomphe de Bringing up Baby (L’Impossible Monsieur Bébé), Howard Hawks et Cary Grant renouent avec le ton résolument décalé de la « screwball comedy ». Mais le film fera également date pour avoir enfin révélé au grand public une certaine Marilyn Monroe

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Tout au long de son enfance, l’unique source de joie de la petite Norma Jean fut la séance de cinéma du samedi après-midi. Devenue Marilyn Monroe, la star se souviendra de cet émerveillement : « Je m’asseyais au premier rang, et rêvais au bonheur d’être une actrice. Mais je ne me rendais pas vraiment compte. Bon ou mauvais, cela n’avait pas d’importance, j’étais heureuse, aussi longtemps que cela bougeait sur l’écran… » À l’époque, l’actrice favorite de Marilyn est Jean Harlow, la blonde platine dont sa mère lui assure qu’elle prendra un jour la relève.

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Mais au cours de ces années 1930, le cinéma hollywoodien est également dominé par un couple mythique, Fred Astaire et Ginger Rogers, qui portent la comédie musicale à son zénith. Et c’est aussi l’époque où un jeune premier du nom de Cary Grant se met à faire tourner la tête des plus belles vedettes… Nul doute qu’en se voyant offrir un véritable rôle face à Cary Grant et Ginger Rogers, héros de son enfance, la jeune Marilyn a réalisé avec Monkey Business l’un de ses plus beaux rêves.

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Le remède miracle qui permet de retrouver sa jeunesse n’est pas mis au point par les savants qui travaillent dans ce domaine mais par un singe pris d’une folie d’imitation… Redevenue jeune, Edwina met un poisson rouge dans le pantalon du digne Oliver Oxley et se trouve atteinte d’une – nouvelle – crise de pudeur lorsqu’elle croit revivre avec son mari leur nuit de noces d’autrefois. La folle aventure qu’il vit permet de même à Barnaby de dire – enfin ! – à sa belle-mère de se taire (il se retient depuis sept ans) et de scalper son ancien rival, Harvey Entwhistle. Devenu « Aigle rouge », il bénéfice à cette occasion de la complicité d’une bande d’enfants habitués à jouer aux cow-boys et aux indiens.

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L’un des moments les plus savoureux est celui où Edwina prend à tort – le bébé qui est auprès d’elle pour son propre mari. Howard Hawks profite de la situation pour se moquer des savants et de leurs recherches et pour peindre avec ironie une Amérique prête à satisfaire ses fantasmes. Barnaby s’empresse de partir en voiture avec la secrétaire de son patron et Edwina, soudain rajeunie, est obsédée par sa nuit de noces… Lois Laurel, délicieusement jouée par Marilyn Monroe, confond allègrement « ponctualité » et « ponctuation » et lorsque Barnaby dialogue avec le jeune garçon habillé en cow-boy – mais crédité au générique comme « petit indien » – qu’interprète George « Foghorn » Winslow, l’enfant semble beaucoup plus mûr que son interlocuteur, trouvant de bonnes raisons, des raisons d’adulte, pour mettre en doute l’efficacité de ce que propose Barnaby.

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Plus critique, Howard Hawks lui-même constatera à propos du film : « Les prémisses de Monkey Business étaient difficilement acceptables et, en conséquence, le film ne fut pas aussi drôle qu’il aurait dû l’être. Les épisodes qui concernaient directement le singe étaient impossibles à croire. Les autres atteignaient parfaitement leur but, une fois acceptées ces prémisses. Mais je crois que nous avions embarqué les spectateurs dans la mauvaise direction. On ne pouvait imaginer qu’un singe fût capable de mettre ensemble toutes ces choses, cela ressemblait un peu trop à une farce. En outre, les scènes avec Ginger Rogers devenue adolescente faisaient double emploi avec celles de Cary Grant, qui l’emportait parce qu’il les jouait le premier et que son rôle était mieux écrit. » [La comédie américaine – Patrick Brion – Edition de la La Martinière (1998)]


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Au début des années 1950, le code de censure en vigueur à Hollywood était tellement sévère qu’un scénario aussi sulfureux que celui de Monkey business pouvait s’attirer des ennuis. En l’occurrence, une injonction à en supprimer les réparties les plus suggestives, art dans lequel Howard Hawks était passé maître. C’est donc un script nettement édulcoré que le réalisateur commence à tourner le 5 mai 1952 au sein des studios de la Fox. Pour Marilyn, ce projet constitue en tout cas une aubaine : certes il s’agit d’un énième rôle de secrétaire écervelée, mais la voilà qui partage l’affiche avec deux monstres sacrés, Cary Grant et Ginger Rogers. Un casting de rêve, qui ne fait pas pourtant rêver Howard Hawks : car s’il est ravi de retrouver pour la cinquième fois son vieux complice de His Girl Friday (La Dame du vendredi) et I Was a Male War Bride (Allez coucher ailleurs), il n’en va pas de même pour sa partenaire. Le réalisateur souhaitait en effet confier le rôle à une jeune actrice, idéalement Ava Gardner. Mais, en partie parce que Cary Grant répugne à être marié à l’écran avec une femme nettement plus jeune que lui, le studio impose finalement Ginger Rogers, alors âgée de 41 ans. Dépité Hawks ne se privera pas de se venger en montrant infernal envers la pauvre comédienne pendant le tournage.

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Nul doute que cette ambiance peu chaleureuse n’aide pas Marilyn à se sentir à l’aise sur le plateau. D’autant qu’elle sent bien que le réalisateur n’a pas grande estime pour elle, lui qui l’a engagée en jugeant que « le côté surdéveloppé de cette gamine devrait être assez drôle ». Ce qu’elle ignore, c’est que ce vétéran d’Hollywood, qui a vu défiler tant d’actrices, s’avère malgré tout bluffé par sa photogénie, comme il en conviendra plus tard : « Marilyn est arrivée devant la caméra, et la caméra l’a aimée. Tout d’un coup, c’était un pur symbole sexuel ». De son côté, Cary Grant ne témoigne pas non plus beaucoup d’intérêt envers sa jeune partenaire : « Je n’imaginais pas qu’elle allait devenir une grande vedette. Si elle avait quelque chose de différent des autres actrices, ce n’était pas apparent à l’époque. Elle semblait très timide et tranquille. Il y avait quelque chose de triste en elle. » Comme sur ses tournages précédents, Marilyn préfère de toute façon s’isoler du reste de l’équipe, à l’exception du costumier William Travilla, qu’elle retrouve avec plaisir. Entre les prises, Marilyn répète son rôle avec ferveur, même si le nombre de ses répliques dans le film reste limité. En fait, elle a une angoisse terrible à l’idée de décevoir les autres – cette angoisse qui, même au faîte de sa gloire, ne la quittera jamais…

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Pour compliquer encore un peu les choses, Marilyn déteste la robe ajustée dans laquelle on la fait jouer pendant tout le film. Mais surtout, une raison plus grave lui rend extrêmement pénible ce tournage. Dès le début des prises de vues, la jeune femme est prise de douleurs abdominales, et l’on ne tarde pas à diagnostiquer une crise d’appendicite. Marilyn décide pourtant de repousser l’opération qui la soulagerait, se contentant de prendre quelques jours de repos et une bonne dose d’antibiotiques, afin de ne pas trop retarder le tournage. L’intervention aura finalement lieu le 28 avril, une fois que les scènes de Marilyn auront été bouclées. C’est également pendant ce tournage maudit qu’éclate l’affaire du calendrier où figure un nu de Marilyn : scandale que l’ex-cover girl parvient de justesse à retourner en sa faveur… Heureusement, un événement vient lui mettre un peu de baume au cœur durant ces semaines difficiles. Joe Di Maggio, qu’elle vient tout juste de rencontrer, se montre de plus en plus empressé auprès d’elle. Au studio, elle passe de longs moments au téléphone avec lui, n’hésitant pas à faire attendre toute l’équipe pour cela. Avides de scoops, les reporters se mettent à hanter les couloirs de la Fox dans l’espoir d’en apprendre davantage sur l’idylle naissante entre l’actrice et le champion de base baIl, ce qui ajoute évidemment une certaine pression au tournage. Les photographes seront aux anges lorsque, pour le dernier jour de travail de Marilyn, Joe vient lui rendre visite sur le plateau…

EXTRAIT DE: "CHERIE JE ME SENS RAJEUNIR"
MONKEY BUSINESS (Howard Hawks, 1952)

Fort heureusement, Monkey Business ne porte au final aucune trace des nombreux problèmes qui en ont jalonné la fabrication. Cary Grant y est une nouvelle fois excellent dans le registre de la comédie, face à un chimpanzé qui n’est pourtant pas loin de lui voler la vedette. De son côté, Marilyn confirme dans le rôle de Mademoiselle Laurel, secrétaire incapable de taper à la machine, son statut de blonde explosive. C’est d’ailleurs elle qui se verra mise à contribution par la Fox pour la promotion du film, en présidant notamment la parade organisée pour l’élection de Miss America : l’occasion pour Marilyn, vêtue d’une robe généreusement échancrée, de créer un nouveau tollé. Mais l’actrice n’aura bientôt plus besoin de choquer les bonnes âmes pour faire parler d’elle. Son film suivant, Niagara, se chargera de faire définitivement d’elle une star internationale…

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MONKEY BUSINESS (Howard Hawks, 1952)

Ironiquement, Monkey Business, comédie ouvertement commerciale et sans distinction particulière, devint bientôt l’improbable point de ralliement pour une poignée de critiques français qui cherchaient à faire reconnaître Howard Hawks comme un artiste sérieux, ce que Hawks devait découvrir à sa grande surprise quand il arriva en Europe. Certains des analystes les plus subtils de l’œuvre de Howard Hawks ont soutenu avec pertinence la prééminence de Monkey Business parmi les comédies du cinéaste. Robin Wood le décrit comme sa comédie la plus « organique », le rapproche de façon intéressante de Scarface comme portrait de la régression vers le primitivisme, et admire la manière dont les personnages secondaires – le vieux Oxley, le petit bébé, la mère d’Edwina, la jeune Mlle Laurel – représentent les divers âges de la vie non couverts par les rajeunissements des vedettes. Gerald Mast  a vanté la parfaite construction du film, le présentant, de façon convaincante, comme le reflet inversé, ou l’extension, de Bringing up Baby, et signalant les parallèles shakespeariens  dans les deux films. Les deux critiques vantent la manière dont l’humour se mêle aux préoccupations thématiques, et dont l’excès pousse la comédie à la limite du tragique. 

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MONKEY BUSINESS (Howard Hawks, 1952)

Malgré tout, les meilleures œuvres de Hawks sont celles où l’on sent que le processus même de la création a contribué à donner à chacune sa forme propre et naturelle, ce qui n’apparaît jamais dans Monkey Business. Mis à part quelques moments de calme consacrés aux discussions sur le mariage de Barnaby et Edwina, l’action est dans l’ensemble mécanique et laborieuse, comme conduite machinalement selon un plan préexistant. En fait, le film reste surtout marquant par sa description – unique dans l’œuvre de Howard Hawks – d’un mariage dont la flamme vacillante est ranimée par un moyen totalement fantastique. Pour Hawks, le regain amoureux de Barnaby et Edwina relevait du pur fantasme.  [Hawks – Todd McCarthy (Biographie traduite de l’américain par Jean-Pierre Coursodon.- Ed. Institut Lumière / Actes Sud (1999)]


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MONKEY BUSINESS (Howard Hawks, 1952)

L’histoire

Le docteur Barnaby Fulton (Cary Grant) recherche pour le compte d’Olivier Oxley (Charles Coburn), le directeur de l’usine de produits pharmaceutiques qui l’emploie, un remède permettant de retrouver jeunesse et vigueur, un véritable élixir de jouvence. Un jour, l’un des singes servant aux expériences s’échappe de sa cage et, imitant Barnaby qu’il a vu en action, mélange plusieurs produits et obtient un curieux breuvage qui se retrouve dans le distributeur d’eau potable du laboratoire. Voulant se désaltérer, Barnaby boit un verre d’eau et se comporte désormais comme un jeune homme. Il n’a plus besoin de ses lunettes, se fait couper les cheveux en brosse et sort avec Lois Laurel (Marilyn Monroe), la secrétaire d’Oxley. Mais l’effet passe. Edwina (Ginger Rogers), la femme de Barnaby, boit à son tour l’eau en question et retrouve la passion de ses vingt ans et la nostalgie de sa nuit de noces. Barnaby et Edwina absorbent encore l’eau et le breuvage qu’elle contient. Ils se conduisent comme des gamins et se couvrent de peinture mutuellement. Revenue la première à elle, Edwina croit en voyant auprès d’elle un bébé qu’il s’agit de Barnaby, plus rajeuni que jamais… Pendant ce temps, le vrai Barnaby, aidé d’une bande de garnements, entreprend de scalper Hank Entwhistle (Hugh Marlowe) l’ancien flirt d’Edwina. Au laboratoire, Oxley et les savants, ayant absorbé de l’eau, retrouvent une ardeur juvénile avant que chacun, notamment Barnaby et Edwina, ne revienne à son âge réel.



Les extraitS

HOWARD HAWKS 
Du début des années 1920 à la fin des années 1960, Howard Hawks a réalisé des comédies et des films d’aventures qui témoignent d’une vision singulièrement pessimiste de la condition humaine.  

LES ANNÉES 1940 OU L’ÂGE D’OR DE LA COMÉDIE AMÉRICAINE
Sophistiquée ou burlesque, pétillante ou loufoque, la comédie hollywoodienne brille de tous ses feux durant les années de guerre. Avec quelques-unes des œuvres les plus désopilantes du cinéma américain.

MARILYN MONROE
Mélange explosif de candeur et de sensualité débordante, Marilyn Monroe est une actrice proche du génie. Sous le maquillage et les atours, elle restait une « petite fille ». Elle ne ressemblait à personne…

CARY GRANT
Sous des dehors volontiers fantasques, mais toujours éminemment distingué, Cary Grant masquait une humanité dont quelques cinéastes particulièrement avisés surent tirer le meilleur parti. Son légendaire sourire et son extraordinaire aisance corporelle, qu’il tenait d’une solide pratique de l’acrobatie et du music-hall, l’avaient naturellement orienté vers la comédie, où il fut tout simplement éblouissant.



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