Belle, blonde et sotte, Billie est la petite amie d’un homme d’affaire puissant mais véreux. Celui-ci profite de l’ignorance de sa compagne pour la compromettre dans des affaires louches, jusqu’à ce qu’elle découvre la vérité grâce à un journaliste engagé pour lui apporter un semblant d’éducation. Judy Holliday remporta l’oscar de la meilleur actrice en 1950 pour sa très drôle et brillante prestation dans le rôle de Billie, qu’elle interpréta aussi bien au théâtre qu’au cinéma. Tout d’abord pièce à succès de Broadway écrite par Garson Kaninn cette amusante comédie de mœurs a conquis Hollywood après avoir été adaptée au grand écran par George Cukor.

Écrite en 1946 par Garson Kanin, la pièce « Born Yesterday » fut achetée par la Columbia pour la somme astronomique de 1 million de dollars. Harry Cohn, patron de la maison de production, passa les deux années suivantes à rechercher les meilleurs interprètes possibles pour le film qu’il comptait en tirer. Lorsqu’il écrivit cette version moderne de Pygmalion, Kanin pensait à Jean Arthur. Mais quand celle-ci – sujette à des crises nerveuses chroniques – quitta la troupe, Kanin confia le rôle de Billie Dawn à Judy Holliday, qui venait de remporter le prix Clarence Derwent du meilleur second rôle pour son interprétation dans la pièce « Kiss Them for Me ». Holliday fit de « Born Yesterday » un grand succès théâtral.

Au début, cependant, Cohn ne pensait pas que l’actrice allait pouvoir rééditer à l’écran le succès qu’elle avait obtenu sur scène. Le passé cinématographique de Holliday était en effet des plus modestes : elle avait joué les utilités dans Something for the Boys et un second rôle (celui d’une femme sans chic) dans Winged Victory (sortis tous deux en 1944). Réputé pour sa grossièreté, Cohn – qui parlait de Judy Holliday en l’appelant « la grosse » – fit faire des bouts d’essai à toutes les actrices alors liées par contrat à la Columbia, comme Rita Hayworth, ainsi qu’à de nombreuses actrices indépendantes, telles Celeste Holm et Marie McDonald. On dit même que le producteur en arriva à proposer le rôle de Billie à Jean Arthur qui, détestant Cohn, le refusa. Il fut finalement confié à Holliday, mais avant d’en arriver là, Kanin et sa femme Ruth Gordon intriguèrent, avec le soutien de Katharine Hepburn et de Spencer Tracy, pour lui donner l’occasion de montrer qu’elle était non seulement brillante mais qu’elle pouvait aussi être belle et photogénique ; ils la firent jouer dans un film de la MGM, Adam’s Rib (Madame porte la culotte, 1949), mais sans l’obliger à sacrifier quoi que ce soit de son talent très personnel. En voyant Holliday tenir tête à deux géants de l’écran comme Tracy et Hepburn, Cohn lui fit signer un contrat.

Le film valut à Holliday l’Oscar de la meilleure actrice de l’année, malgré la forte concurrence de Bette Davis – pour All bout Eve (Ève, 1950) – et de Gloria Swanson pour Sunset Boulevard (Boulevard du Crépuscule, 1950). Contre toute attente, Judy Holliday devint donc, pendant toutes les années 1950, un des principaux atouts de Cohn, en compagnie de la nouvelle étoile Kim Novak et de Rita Hayworth.

Kanin avait écrit sa pièce dans le dessein, clairement affirmé, de faire prendre conscience aux Américains qu’ils avaient mené et gagné une guerre après laquelle les choses, inévitablement, « ne seraient plus jamais les mêmes ». On a défini cette œuvre comme une « parabole politique ». en raison de son message implicite, message habilement véhiculé, pour en faire mieux ressortir le sérieux, par l’humour et les salves de jeux de mots fulgurants. Après un litige avec Cohn, Kanin collabora anonymement – et gratuitement ! – au scénario.

Pour le film, les dialogues durent être édulcorés afin de respecter les exigences des censeurs, de même que les rapports entre Billie et Brock ; dans la pièce, par contre, quand Brook se flatte vulgairement du pouvoir qu’il exerce sur Billie dans le domaine amoureux, le public n’ignorait pas – grâce à de fines allusions – qu’en fin de compte, au lit, c’était la femme qui dominait. La réécriture de certaines répliques montra une fois de plus toute l’absurdité du code Hays : « Harry ne veut pas que je joue parce qu’il a très envie d’aller au lit », explique Billie à Paul dans la pièce. Dans le film, cela devient un insipide : « Harry ne veut pas me partager avec le public ». Fort heureusement, les grands moments comiques furent intégralement conservés. Par exemple lorsque Billie fait visiter sa maison à la femme d’un sénateur et plonge tout le monde dans la consternation en lui demandant : « Ma chère, voulez-vous vous laver les mains ou quelque chose d’autre ? » On pense aussi au brillant épisode de la rituelle partie de rami du soir, qui se termine immanquablement par la fureur de Brock contre Billie.

Tout ce qui a été ajouté à la pièce, notamment les séquences tournées en extérieurs à Washington, semble aujourd’hui superflu, d’autant plus que cette œuvre tire toute sa force de l’extraordinaire performance de Judy Holliday, qui parvient à rendre crédible la surprenante évolution de Billie : de femme-objet qu’elle était au début du film elle se transforme en être pleinement conscient.

L’histoire
Parti d’une modeste entreprise de récupération, le grossier Harry Brock (Broderick Crawford) est devenu « sans l’aide de rien ni de personne, à l’exception, peut-être, de la Seconde Guerre mondiale » (tout juste terminée) le « roi des ferrailleurs », maître d’un empire financier de 50 millions de dollars. L’ambition de Harry, c’est de s’imposer sur le marché international en constituant un monopole de la ferraille, projet très lucratif mais interdit par la loi antitrust. Il se rend pour cette raison à Washington. Mais il commet l’erreur d’emmener avec lui sa très voyante maîtresse.

Billie Dawn (Judy Holliday). Cette ancienne danseuse encore plus incapable que lui de se tenir en société – elle est par contre tout à fait capable de le battre chaque soir au rami – pourrait faire du tort à Harry auprès de la bonne société de Washington. Brock engage donc un journaliste d’esprit large, Paul Verrall (William Holden), pour qu’il donne quelque instruction à Billie et lui apprenne les bonnes manières, afin de la rendre présentable en société ; Paul initie donc Billie à l’histoire américaine et à la culture occidentale, l’emmène visiter le Capitole, la bibliothèque du Congrès et une galerie d’art. Ignorante, mais pas du tout stupide, Billie commence donc à se rendre compte que les femmes – donc elle-même – font aussi partie de l’humanité.

Elle acquiert ainsi, sous la direction (de plus en plus tendre) de Paul, une fière conscience civique. Elle commence à exercer son propre jugement en refusant de signer les documents qui permettraient à Harry de créer son monopole . Ulcéré par le ton de Billie, Brock la corrige ; elle réplique en le traitant de fasciste. Il Ia chasse finalement de l’hôtel. Billie téléphone à Paul et le persuade de démasquer Harry en lui volant les documents compromettants. Ils reviennent tous deux à l’hôtel ; dans l’ascenseur, Paul demande à Billie de l’épouser, et celle-ci accepte. Paul s’introduit furtivement dans la chambre de Harry et s’empare des documents au moment même où Harry demande à Billie de l’épouser (un peu parce qu’il l’aime, surtout parce que, si elle était sa femme, elle ne pourrait pas témoigner, contre lui au cas où ses plans n’aboutiraient pas). Paul affronte Harry preuves à l’appui et Harry cherche à acheter son silence. Mais Paul refuse de se laisser corrompre ; Harry passe alors aux actes. Billie abandonne Harry pour se marier avec Paul. En tant qu’ancienne associée de Harry, elle a maintenant la possibilité légale d’envoyer en prison son ancien amant si celui-ci s’avisait de quitter le droit chemin.

Les extraits

GEORGE CUKOR ou comment le désir vient aux femmes
Qu’elle soit diablesse, lady, girl, affiche, âgée, aux camélias, en collant rose ou à deux visages, la femme occupe dans l’univers réaliste mais luxueux de George Cukor le devant de la scène. La femme en enfer, la dame damnée : Tarnished Lady (1931), ainsi s’intitule le premier film de George Cukor… Toute l’œuvre de Cukor est ainsi bâtie qu’elle n’est ni drame ni divertissement, et qu’elle refuse les limites d’un choix définitif. Pile, face, Cukor a filmé sur la tranche, dorée au soleil d’Hollywood.




MY FAIR LADY – George Cukor (1964)
le film dépeint une pauvre marchande de fleurs Cockney nommée Eliza Doolittle qui surprend un professeur de phonétique arrogant, Henry Higgins, alors qu’il parie avec désinvolture qu’il pourrait lui apprendre à parler « correctement » anglais , la rendant ainsi présentable dans la haute société de Londres édouardienne .

GASLIGHT (Hantise) – George Cukor (1944)
Avec Gaslight (Hantise), George Cukor délaissait la comédie pour s’essayer au film noir, genre forcément tentant pour un cinéaste passionné par le mensonge et la double identité. Pourtant, ce thriller victorien où un mari tente de rendre sa femme folle vaut surtout comme un superbe exercice de style où le son et la photo, l’atmosphère donc, comptent plus que l’histoire, prévisible.

A STAR IS BORN (Une Etoile est née) – George Cukor – 1954
Avec son titre repris régulièrement par la presse pour saluer l’avènement de la moindre vedette, A Star is born (Une Etoile est née) fait assurément partie des films les plus importants de l’histoire du cinéma américain. Il fut pourtant boudé à sa sortie, souffrant avant tout d’un montage tronqué par les exécutifs de la Warner. Mais peut-être le sujet du film lui-même a-t-il rebuté les spectateurs, tant il jette sur les coulisses de l’usine à rêves un éclairage peu reluisant…

DINNER AT EIGHT (Les Invités de huit heures) – George Cukor (1933)
Dinner at eight (Les Invités de huit heures), vaste huis clos donnant une entrevue des vies de personnalités du Who’s Who invitées à une soirée chic de Manhattan, est un subtil mélange d’humour et de mélodrame. Soutenu par le succès de Grand Hotel (Edmund Goulding, 1932), production du studio de l’année précédente mettant en scène de nombreuses stars, le producteur David O. Selznick aspirait à quelque chose d’encore plus grandiose, et l’a trouvé avec cette adaptation de la pièce de théâtre à succès de George S. Kaufman et Edna Ferber, réalisée par George Cukor.

LES GIRLS – George Cukor (1957)
A première vue, Les Girls pourrait facilement être rapproché d’Un Américain à Paris. Interprétées par Gene Kelly à six ans d’intervalle, ces deux comédies musicales ont pour cadre la capitale française, et résonnent des mélodies de deux géants de Broadway : Cole Porter, pour la première, George Gershwin pour la seconde. Mais la ressemblance s’arrête là, car à l’innocence du film de Minnelli, répond l’ironie de celui de Cukor.
- THE LONG NIGHT – Anatole Litvak (1947) / LE JOUR SE LÈVE « refait » et « trahi »
- EDWIGE FEUILLÈRE : LA GRANDE DAME DU SEPTIÈME ART
- LA POLITIQUE DU CINÉMA FRANÇAIS
- THE GARMENT JUNGLE (Racket dans la couture) – Vincent Sherman (1957)
- THE RACKET (Racket) – John Cromwell (1951)
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