En 1942, la Paramount confie à Stuart Heisler une nouvelle version de The Glass Key (La Clé de verre), moins fidèle à la lettre que The Maltese falcon (Le Faucon maltais), mais reproduisant mieux l’univers de Hammet en insistant sur l’amoralité de la plupart des protagonistes et leurs comportements névrotiques. Tout y est violence et la mise en scène désigne les réalités masochistes, homosexuelles ou sadiques de certains personnages. Même si le happy end gâche l’ensemble, c’est la meilleure adaptation d’un roman hard-boiled. [Le film Noir (Vrais et faux cauchemars) – Noël Simsolo – Cahiers du Cinéma Essais – (2005)]

THE GLASS KEY (La Clé de verre) – Stuart Heisler (1942) avec Alan Ladd, Veronica Lake, Brian Donlevy
Beaumont, que George Raft avait remarquablement bien incarné en 1935 dans la version de Frank Tuttle, est interprété ici par Alan Ladd qui lui donne sa force en jouant d’un sourire d’ange au moment de déclarations terrifiantes, révélant ainsi sa cruauté et son goût pour le meurtre. Veronica Lake est sa partenaire – leur tandem est mythique depuis This Gun for Hire (Tueur à gages, 1942) de Frank Tuttle, transposition du roman de Graham Greene écrite par Albert Matz et William R. Burnett, où Ladd tient un rôle de prédateur froid et solitaire. [Le film Noir (Vrais et faux cauchemars) – Noël Simsolo – Cahiers du Cinéma Essais – (2005)]

THE GLASS KEY (La Clé de verre) – Stuart Heisler (1942) avec Alan Ladd, Veronica Lake, Brian Donlevy
La seconde adaptation (de Stuart Heisler) de l’admirable roman de Dashiell Hammett, The Glass key, représente une véritable passerelle entre le film politico-criminel et ce que va être le « film noir ». Les conventions du scénario, la manière dont est construite la fin et la description du personnage de Madvig sont autant d’éléments négatifs qui nuisent à la crédibilité du film. En revanche, la violence de certaines scènes est fulgurante. Jeff (William Bendix) se plaît à frapper – tabasser serait un mot plus exact – Beaumont qui, par ailleurs, semble ne pas lui déplaire physiquement, et Beaumont possède le masochisme propre à certains grands héros de « films noirs ». [Le film noir – Patrick Brion – Editions de la La Martinière (2004)]

THE GLASS KEY (La Clé de verre) – Stuart Heisler (1942) avec Alan Ladd, Veronica Lake, Brian Donlevy
Les acteurs eux-mêmes furent parfois les propres victimes de leur passion. Veronica Lake se prit à frapper violemment Brian Donlevy, et William Bendix assomma Alan Ladd, ce qui scella l’amitié des deux acteurs. Alan Ladd, qui joue pour la deuxième fois avec Veronica Lake – This Gun for Hire (Tueur à gage) marqua la première apparition de ce couple prestigieux – sera par la suite à cinq autres reprises son partenaire. De même, il insistera plusieurs fois pour que William Bendix fasse partie de la distribution de certains de ses futurs films… [Le film noir – Patrick Brion – Editions de la La Martinière (2004)]
Tout en souffrant du manque de style souvent propre à la production de la Paramount, le film est une curiosité historique, un compromis entre un genre en pleine évolution et dont le réalisme et la crudité éclatent, et les traditions du film policier. Ne serait-ce que pour Veronica Lake, l’amoralisme des personnages et le plaisir avec lequel Stuart Heisler filme les scènes de violence – la vertigineuse chute de Beaumont en est un exemple -, The Glass key mérite de ne pas être oublié. La plupart des grands thèmes souterrains du « film noir », du masochisme à l’homosexualité, de la corruption à l’ambition, y apparaissent déjà en filigrane. [Le film noir – Patrick Brion – Editions de la La Martinière (2004)]
L’histoire
Ed Beaumont (Alan Ladd), sorti du ruisseau par Paul Madvig (Brian Donlevy), homme politique influent, est devenu son bras droit. Il se montre d’une grande loyauté envers son patron mais s’oppose à sa décision de soutenir le programme du sénateur Henry (Richard Denning) pour les prochaines élections. Ed est persuadé que le sénateur, et sa jolie fille Janet (Veronica Lake) – la fiancée de Paul – utilisent Madvig. De plus, le programme de réformes du sénateur s’attaque à la corruption et aux jeux d’argent dans la ville, ce qui risque d’exciter la colère de Nick Varna (Joseph Calleia), un truand notoire. Le fils du sénateur, un bon à rien nommé Taylor qui a eu une liaison avec Opal Madvig (Bonita Granville), la sœur de Paul, est assassiné. Paul est impliqué dans l’affaire mais refuse de faire quoi que ce soit pour se disculper malgré une série de lettres d’accusation anonymes qui ont été envoyées au procureur, Farr (Donald MacBride). Ed quitte Paul et va se vendre à Varna dans l’intention de faire échouer ses plans (le gangster tente de mettre le meurtre sur le dos de Paul). Ed est démasqué, on l’enferme et il se fait violemment tabasser par l’homme de main sadique de Varna, Jeff. Grièvement blessé, il parvient pourtant à s’échapper et va raconter à Paul ce qu’il appris chez Varna. Janet est attirée par Ed, mais il la jette par fidélité envers Paul.
Ed découvre ensuite une autre machination de Varna : ce dernier veut faire publier dans le journal local appartenant à Matthews, une interview d’Opal accusant son frère d’avoir tué Taylor. Matthews se suicide et Ed détruit son testament dans lequel il désignait Varna comme son exécuteur. Il veut, effet, que Paul puisse nommer un autre exécuteur. Ed découvre ensuite que c’est Janet qui a envoyé les lettres anonymes car elle croit à la culpabilité de Paul. Devinant alors qui est le véritable assassin, Ed demande à la police d’inculper Janet de meurtre. La scène de l’arrestation pousse le sénateur Henry à avouer qu’il a tué son fils accidentellement, au cours d’une querelle sortant de chez lui. Paul, témoin du drame, a accepté de le couvrir. Quand Paul découvrira que Janet et Ed s’aiment, il retirera sa bague de fiançailles du doigt de Janet et donnera aux jeunes gens sa bénédiction.
A part The Maltese falcon (Le Faucon maltais), The Glass key (La Clé de verre) reste la meilleure adaptation qui ait été faite au cinéma de Hammett, même si la fin du film n’a pas la puissance qu’elle a dans le roman. Le jeu d’Alan Ladd fait de Beaumont un personnage plus minable encore que son modèle littéraire et, surtout, excepté sa loyauté envers Madvig, plus amoral. Il fait des avances sexuelles à Mrs Matthews, ce qui n’est pas étranger au suicide de son mari, puis il dérobe sans remords son testament. Il assiste sans broncher à l’assassinat de Varna par Jeff, alors que dans le livre il affirmait ne vouloir tremper dans aucun meurtre. Enfin, il accepterait même de sacrifier Janet pour obtenir la confession qu’il attend, avouant calmement à la police : « J’avais peur que nous ne soyons obligés de pendre la fille pour faire craquer le vieux père ». [Encyclopédie du film Noir – Alain Silver et Elizabeth Ward – Ed Rivages (1979)]

THE GLASS KEY (La Clé de verre) – Stuart Heisler (1942) avec Alan Ladd, Veronica Lake, Brian Donlevy
Les scènes entre Ladd et Bendix sont tout à fait remarquables : Bendix, jouant le rôle de Jeff, accentue le caractère vulgaire du personnage, se goinfre et crache de manière répugnante ; le caractère homosexuel de leur relation est nettement suggéré : Jeff câline Ed, l’appelle « sweetheart », « baby » et prend un visible plaisir à le frapper « à mort ». Bien que le côté masochiste de Beaumont soit moins accentué dans le film que dans le roman, dans la mesure où l’on a éliminé sa tentative de suicide et son alcoolisme, la relation entre les deux hommes est presque symbiotique. [Encyclopédie du film Noir – Alain Silver et Elizabeth Ward – Ed Rivages (1979)]

THE GLASS KEY (La Clé de verre) – Stuart Heisler (1942) avec Alan Ladd, Veronica Lake, Brian Donlevy
La photographie fondue de Sparkuhl est à l’opposé de la version de The Glass key de 1935 qui avait des éclairages très crus ; quant au scénario de Latimer, ancien écrivain de feuilletons policiers populaires, il est bourré de répliques argotiques savoureuses, « He trow’d another Joe », « We got to give him the works », ou « Gimme the roscoe ». [Encyclopédie du film Noir – Alain Silver et Elizabeth Ward – Ed Rivages (1979)]
Fiche technique du film
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