Le Film étranger

DINNER AT EIGHT (Les Invités de huit heures) – George Cukor (1933)

Au début des années 1930, le triomphe du parlant et le besoin criant de dialoguistes talentueux forcent les producteurs de Hollywood à faire appel aux auteurs de Broadway. Ainsi Dinner at Eight (Les Invités de huit heures) est-il adapté d’une pièce à succès, dont les répliques ciselées mettent en valeur les grandes stars, Jean Harlow, Wallace Beery ou encore Marie Dressler. George Cukor, cinéaste d’intérieurs, se coule avec aisance dans l’atmosphère feutrée de la comédie de boulevard. Dans chaque saynète, les portes s’ouvrent sur des hypocrisies puis se ferment sur des aveux ; la découverte des secrets des personnages est rythmée par l’enchaînement des duos et un leitmotiv inlassablement répété, le « dîner à huit heures », ce clou du spectacle qui semble ne jamais arriver. À mesure que les individus dévoilent rancœurs et mesquineries, la comédie perd son apparente légèreté pour devenir grinçante. C’est la fin des illusions d’une bonne société où se croisent femmes bafouées, bourgeois ruinés et arrivistes manipulateurs. Un monde où l’on fait semblant d’échapper au malheur, même s’il vous rattrape : quand la star déchue met en scène sa propre mort, c’est pour valoriser une dernière fois son « beau profil »… [Ophélie Wiel – Télérama (09/22)]

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Dinner at eight, vaste huis clos donnant une entrevue des vies de personnalités du Who’s Who invitées à une soirée chic de Manhattan, est un subtil mélange d’humour et de mélodrame. Soutenu par le succès de Grand Hotel (Edmund Goulding, 1932), production du studio de l’année précédente mettant en scène de nombreuses stars, le producteur David O. Selznick aspirait à quelque chose d’encore plus grandiose, et l’a trouvé avec cette adaptation de la pièce de théâtre à succès de George S. Kaufman et Edna Ferber, réalisée par George Cukor. La trame inclut la bataille de sexes entre Jean Harlow et Wallace Beery, l’affolement et le débordement de la maîtresse de maison Billie Burke, ainsi que le comportement de « dame du grand monde » de Marie Dressler. Evidemment, il n’y a qu’un seul moyen de ne pas rater tous les bons moments : Etre invité à huit heures. 

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Premier film produit par David O. Selznick pour la Metro-Goldwyn-Mayer – et son beau-père Louis B. Mayer ! – Dinner at Eight s’inscrit dans la tradition de Grand Hotel en réunissant un de ces « all star cast » dont la firme du lion avait la spécialité. George Cukor, qui n’avait alors que trente-cinq ans, fut chargé de diriger cette exceptionnelle galerie de monstres sacrés et chaque acteur, tout en effectuant un éblouissant numéro, participe à la perfection collective de l’ensemble. L’apparition de Marie Dressler lançant à Lionel Barrymore un étonnant « Oliver ! Ducky ! », l’abattage verbal des affrontements entre Wallace Beery et Jean Harlow et l’interprétation de John Barrymore, dans un de ses plus grands rôles, demeurent inoubliables.  

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Après avoir rompu avec celle qui l’aime (Paula) en lui révélant qu’il est désormais incapable d’un véritable amour, trop usé par la vie et les femmes, Larry Renault, ayant compris qu’il est un comédien déchu, organise son propre suicide. Il vérifie en se regardant dans une glace son nœud papillon, remet sa veste de smoking, lisse sa moustache, arrange sa coiffure, calfeutre les portes puis ayant réglé comme il revient pour une ancienne vedette l’éclairage de la lampe, ouvre le robinet du gaz et attend la mort. Acteur lui-même sur le déclin, victime comme son personnage de son penchant pour l’alcool, John Barrymore est admirable durant ces quelques minutes d’une rare intensité.  

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Brillant mélange de drame social et de comédie mondaine, riche d’un dialogue superbement ciselé, Dinner at Eight est un modèle de construction dramatique dans lequel les personnages se relient et se tiennent les uns les autres. Kitty en sait trop pour ne pas forcer son mari à agir comme elle le veut mais sa propre domestique est elle-même capable de la faire chanter et d’exiger un bracelet pour prix de son silence.  

Le sujet en profite pour se moquer d’une bourgeoisie avide de reconnaissance mondaine et sociale et dénonce le monde des affaires, un univers dans lequel une vieille et respectable compagnie maritime peut devenir la proie d’un affairiste. Les mots d’auteur ne peuvent cacher une intrigue qui parle aussi de l’échec, de la mort et de l’insatisfaction amoureuse et le décor blanc de la chambre de Kitty va curieusement de pair avec les louches opérations financières de son mari.  

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Donald Ogden Stewart a notamment signé les dernières phrases du dialogue entre Carlotta et Kitty, un échange demeuré justement célèbre :
Kitty : I was reading a book the other day. (Je lisais un livre l’autre jour.)
Carlotta : Reading a book ? (Vous lisiez un livre ?)
Kitty : Yes, it’s all about civilization or something. A nutty kind of a book. Do you know that the guy says that machinery is going to take the place of every profession ? ( Oui. C’est à propos de la civilisation ou de quelque chose comme ça. Un drôle de livre. Savez-vous que l’auteur dit que le machinisme est en train de remplacer chaque profession ?)
Carlotta : Oh my dear, that’s something you never need to worry about. (Oh, ma chère, c’est quelque chose dont vous n’avez pas à vous soucier.)  [La comédie américiane – Patrick Brion – Edition de la La Martinière (1998)]


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L’histoire

Soucieuse d’apparaître comme une maîtresse de maison à la mode, Millicent Jordan (Billie Burke) organise un dîner mondain en l’honneur de lord et lady Ferncliffe. Elle prête peu d’attention aux problèmes financiers de son mari, Oliver (Lionel Barrymore), dont la compagnie maritime est en faillite, et à sa fille, Paula (Madge Evans), qui doit épouser le jeune Ernest DeGraff (Phillips Holmes) et est devenue la maîtresse de l’acteur Larry Renault (John Barrymore). Oliver Jordan reçoit à son bureau la visite de Carlotta Vance (Marie Dressler), une ancienne conquête, qui souhaite vendre ses actions de la compagnie ; puis celle de Dan Packard (Wallace Beery), décidé non à le renflouer mais à précipiter sa ruine. Carlotta, Dan Packard et sa femme, la blonde Kitty (Jean Harlow) sont invités au dîner des Jordan de même que Larry Renault. Kitty est la maîtresse du docteur Wayne Talbot (Edmund Lowe), le propre médecin d’Oliver Jordan atteint d’une thrombose. Menacé par sa femme, Lucy (Karen Morley ), qui a découvert son infidélité, Talbot rompt avec Kitty et celle-ci menace son mari de révéler ses multiples malversations s’il persiste dans son intention de ruiner Jordan. Carlotta apprend à ce dernier qu’elle a vendu ses actions. De son côté, Larry Renault se dispute avec le producteur Jo Stengel (Jean Hersholt) puis avec son agent Max Kane (Lee Tracy ), refusant avec superbe le petit rôle qui lui était offert. Il ne reste plus à Larry, qui a volontairement rompu avec Paula, qu’à se suicider au gaz. Millicent découvre presque en même temps la mauvaise condition financière de son mari et la gravité de son état de santé. Elle décide alors de renoncer à leur vie mondaine alors que Paula et Ernest affronteront ensemble l’avenir. En dépit de l’absence des Ferncliffe qui se sont décommandés au dernier moment, le dîner peut commencer…



JEAN HARLOW
Jean, aidée par sa bonne nature et confiante en son succès retrouvé, tint tête facilement, cette fois, aux menaces des puritains et des ligues féminines. Elle se remaria avec Paul Bern, un homme très différent d’elle, aussi calme et renfermé qu’elle était expansive et débordante de vitalité. Mais le malheur semblait s’attacher aux pas de Jean : deux mois seulement après les noces, Bern se suicida.


GRAND HOTEL – Edmund Goulding (1932)
Au début des années 1930, un nouveau style s’imposait dans le monde cinématographique. Il procédait de la volonté de réunir le plus grand nombre possible de vedettes dans un même film, et allait donner les fameuses « parades d’étoiles ». Le modèle du genre, c’est-à-dire – selon les critères de Hollywood – celui qui allait obtenir le rendement commercial maximal, fut le film Grand Hôtel, réalisé par Edmund Goulding et produit par la MGM.


Les extraits

GEORGE CUKOR ou comment le désir vient aux femmes
Qu’elle soit diablesse, lady, girl, affiche, âgée, aux camélias, en collant rose ou à deux visages, la femme occupe dans l’univers réaliste mais luxueux de George Cukor le devant de la scène. La femme en enfer, la dame damnée : Tarnished Lady (1931), ainsi s’intitule le premier film de George Cukor… Toute l’œuvre de Cukor est ainsi bâtie qu’elle n’est ni drame ni divertissement, et qu’elle refuse les limites d’un choix définitif. Pile, face, Cukor a filmé sur la tranche, dorée au soleil d’Hollywood.



MY FAIR LADY – George Cukor (1964)
le film dépeint une pauvre marchande de fleurs Cockney nommée Eliza Doolittle qui surprend un professeur de phonétique arrogant, Henry Higgins, alors qu’il parie avec désinvolture qu’il pourrait lui apprendre à parler « correctement » anglais , la rendant ainsi présentable dans la haute société de Londres édouardienne .


GASLIGHT (Hantise) – George Cukor (1944)
Avec Gaslight (Hantise), George Cukor délaissait la comédie pour s’essayer au film noir, genre forcément tentant pour un cinéaste passionné par le mensonge et la double identité. Pourtant, ce thriller victorien où un mari tente de rendre sa femme folle vaut surtout comme un superbe exercice de style où le son et la photo, l’atmosphère donc, comptent plus que l’histoire, prévisible.

LES GIRLS – George Cukor (1957)
A première vue, Les Girls pourrait facilement être rapproché d’Un Américain à Paris. Interprétées par Gene Kelly à six ans d’intervalle, ces deux comédies musicales ont pour cadre la capitale française, et résonnent des mélodies de deux géants de Broadway : Cole Porter, pour la première, George Gershwin pour la seconde. Mais la ressemblance s’arrête là, car à l’innocence du film de Minnelli, répond l’ironie de celui de Cukor.

BORN YESTERDAY (Comment l’esprit vient aux femmes) – George Cukor (1950)
Belle, blonde et sotte, Billie est la petite amie d’un homme d’affaire puissant mais véreux. Celui-ci profite de l’ignorance de sa compagne pour la compromettre dans des affaires louches, jusqu’à ce qu’elle découvre la vérité grâce à un journaliste engagé pour lui apporter un semblant d’éducation. Judy Holliday remporta l’oscar de la meilleur actrice en 1950 pour sa très drôle et brillante prestation dans le rôle de Billie, qu’elle interpréta aussi bien au théâtre qu’au cinéma.

A STAR IS BORN (Une Etoile est née) – George Cukor – 1954
Avec son titre repris régulièrement par la presse pour saluer l’avènement de la moindre vedette, A Star is born (Une Etoile est née) fait assurément partie des films les plus importants de l’histoire du cinéma américain. Il fut pourtant boudé à sa sortie, souffrant avant tout d’un montage tronqué par les exécutifs de la Warner. Mais peut-être le sujet du film lui-même a-t-il rebuté les spectateurs, tant il jette sur les coulisses de l’usine à rêves un éclairage peu reluisant




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