La Comédie musicale

LES GIRLS – George Cukor (1957)

Procès retentissant : lady Sybil Wren, ancienne girl de la troupe du célèbre danseur Barry Nichols, est poursuivie pour diffamation par une autre ex-girl, Angèle Ducros, à cause de son livre de souvenirs sur l’époque où, avec Joy, une troisième girl, elles étaient les vedettes du spectacle de Nichols à Paris. Les Girls peut se vanter d’avoir le scénario le plus sophistiqué de l’histoire de la comédie musicale : un Rashomon dans le milieu stylisé (comme les aime Cukor) du music-hall parisien des années 1950. Délicieusement immoral, il passe en revue trois petites arrivistes amoureuses de leur chorégraphe (forcément, c’est Gene Kelly), qui cherchent à épouser des hommes riches. Comme toujours chez Cukor, il n’y a qu’un pas (ici, un pas chassé) entre comédie et drame, entre illusion et réalité. « Où est la vérité ? », demande un panneau brandi devant le tribunal. Dans la synthèse de tous les mensonges de ces dames… Avec son casting brillant (mention spéciale à Kay Kendall en girl alcoolique), ses chansons de Cole Porter et sa chorégraphie de Jack Cole, Les Girls brille des derniers feux de la comédie musicale de l’âge d’or et offre à Gene Kelly son dernier grand rôle hollywoodien. Il chorégraphia lui-même un ballet hommage à The Wild One (L’Equipée sauvage), avec Marlon Brando, d’une beauté à tomber. [Guillemette Odicino – Télérama]

LES GIRLS - George Cukor (1957)
LES GIRLS (George Cukor, 1957)
L’art du mensonge

A première vue, Les Girls pourrait facilement être rapproché d’Un Américain à Paris. Interprétées par Gene Kelly à six ans d’intervalle, ces deux comédies musicales ont pour cadre la capitale française, et résonnent des mélodies de deux géants de Broadway : Cole Porter, pour la première, George Gershwin pour la seconde. Mais la ressemblance s’arrête là, car à l’innocence du film de Minnelli, répond l’ironie de celui de Cukor. Sous ses airs de fantaisie, Les Girls questionne en fait la notion de vérité, grâce à une construction en flashbacks qui nous présente trois points de vue sur la même histoire. Bien malin qui pourra dire laquelle de ces versions est la plus véridique – si tant est que l’une d’entre elles le soit un peu… Même si la splendeur visuelle du film impressionne, c’est par ce thème du mensonge et de la mise en scène de soi que Les Girls s’insère parfaitement dans la filmographie de Cukor, cinéaste d’Indiscrétions, de Two-Faced Woman (La Femme aux deux visages), de Let’s Make Love (Le Milliardaire) et de My Fair Lady. Quant à Gene Kelly, il s’essaie ici à un registre moins romantique que dans ses précédents films, son personnage s’avérant à la fois volage, égoïste et manipulateur. L’acteur ignorait alors que ce serait son dernier rôle pour la MGM, le studio qui a fait de lui une star. [Eric Quéméré – Comédies musicales]

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LES GIRLS (George Cukor, 1957)

 « Je ne me considère pas moi-même, déclarait George Cukor, comme un metteur en scène de comédies musicales, ainsi que le sont Vincente Minnelli ou Stanley Donen. II y a quelque chose d’illogique dans les comédies musicales : les gens ouvrent leur bouche et se mettent soudain à chanter. Cela doit être fait d’une certaine manière, sans souci de réalisme. Avez-vous remarqué comment la couleur a été utilisée dans Les Girls ? Hoyningen-Huene et moi avons décidé de donner à chacune des filles une couleur précise, ce qui nous permettait de faire apparaître des dominantes dans chaque scène. Parfois, il n’y a pas de couleur dominante, ce qui met en appétit pour après… »  George Cukor

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LES GIRLS (George Cukor, 1957)
Un titre en or

En 1956, le producteur Sol Siegel (Monkey Business, Gentlemen prefer blondes) vient de collaborer avec deux grandes figures de Broadway, le musicien Cole Porter et le dramaturge John Patrick, pour le film High Society. Satisfait du résultat, Siegel décide de reformer le trio pour un nouveau projet. Gene Kelly ayant envie depuis longtemps de jouer un directeur de troupe de music-hall, le producteur acquiert les droits d’un livre de Vera Caspary intitulé Les Girls. Mais il demande en fait à John Patrick de ne pas le lire, et d’inventer une histoire totalement nouvelle. Ce qui fera dire à Vera Caspary qu’elle est désormais l’écrivain le mieux payé d’Amérique, ayant touché 80.000 dollars pour un simple titre… Siegel prévoit d’abord de confier le rôle des trois « girls » à Cyd Charisse, Leslie Caron et Carol Haney, mais ce sont finalement Kay Kendall, Taina Elg et Mitzi Gaynor qui sont engagées.

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LES GIRLS (George Cukor, 1957)
A la parisienne

Le projet est déjà bien avancé quand George Cukor se voit confier la réalisation du film, qui sera sa deuxième comédie musicale après A Star in born, sorti deux ans plus tôt. Le cinéaste commence par remettre en question le choix de Mitzi Gaynor pour jouer Joy, mais Siegel tient bon. Il est également inquiet en découvrant dans le scénario que les danseuses vivent dans un petit appartement niché sous les toits, ce qui va constituer un décor difficile à filmer. Cukor se rend à Paris en compagnie du directeur artistique Gene Allen et de George Hoyningen-Huen (célèbre photographe de mode devenu conseiller pour la couleur sur les tournages du cinéaste), afin de s’imprégner du style architectural de la ville, et de l’ambiance des Folies-Bergère, qui vont servir de modèle au théâtre du film. Cukor aimerait d’ailleurs tourner Les Girls en Europe, sur les lieux mêmes de l’action, mais des restrictions de budget vont l’obliger à travailler en studio.

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LES GIRLS (George Cukor, 1957)
Ça, c’est l’amour

C’est donc à Hollywood qu’a lieu le tournage, du 3 janvier à la fin du mois d’avril 1957. Décidé à faire du film un feu d’artifice visuel, Cukor s’entoure également du chef opérateur Robert Surtees (Mogambo, Ben-Hur) et du costumier Orry Kelly (Casablanca, Un Américain à Paris). Pour la partie musicale, Cole Porter a composé sur mesure de nouvelles pépites, dont Les Girls, et Ça, c’est l’amour, qui deviendra vite un standard. A l’exception de Kay Kendall, doublée par Betty Wand, toutes les chansons sont interprétées par les comédiens du film. C’est Jack Cole qui se voit chargé des différentes chorégraphies, mais lorsqu’il tombe malade en cours de tournage, Gene Kelly règle lui-même certains numéros, dont « le ballet du motard », dans lequel il parodie Marlon Brando… Sorti en novembre 1957, Les Girls s’avère un grand succès. S’il n’obtient que l’Oscar des meilleurs costumes, il reçoit en revanche le Golden Globe du meilleur film, et celui de la meilleure actrice, décerné à la fois à Taina Elg et Kay Kendall. [Eric Quéméré – Comédies musicales]


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LES GIRLS (George Cukor, 1957)

Les Girls aurait presque pu être une comédie dramatique sans numéros musicaux tant il est évident que ceux-ci ne servent quasiment jamais à faire avancer l’intrigue et se contentent de servir de faire-valoir aux interprètes. Le scénariste John Patrick choisit de ne pas lire – et donc de ne pas suivre – le sujet original de Vera Caspary, ce qui permet à cette dernière, auteur de l’histoire de Give a Girl a break et de l’adaptation de A Letter to Three Wives (Chaînes conjugales) de Joseph L. Mankiewicz – également deux films consacrés aux aventures d’un trio féminin – de reconnaître qu’elle a reçu des droits d’adaptation de 80 000 dollars pour deux mots.

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LES GIRLS (George Cukor, 1957)

L’intrigue pose dès le début la question de la vérité. Existe-t-it une vérité ? Chacun n’a-t-il pas la sienne ? Luigi Pirandello au théâtre. Rashomon au cinéma ont développé ce thème et Cukor s’interroge à son tour, jouant avec élégance sur les décors et les costumes, la diction de ses différents interprètes, frôlant par moments le drame et le mélodrame et entraînant le spectateur sur de multiples fausses pistes. [La comédie musicale – Patrick Brion – Edition de la La Martinière (1993)]


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LES GIRLS (George Cukor, 1957)

L’histoire

Devenue l’épouse de Sir Gerald Wren, Sybil (Kay Kendall) écrit un livre, Les Girls, dans lequel elle raconte l’histoire de la troupe de Barry Nichols dont elle était une des vedettes avec Angèle (Taina Elg) et Joy (Mitzi Gaynor). Angèle aurait tenté – selon Sybil – de se suicider après avoir été délaissée par Barry (Gene Kelly). Se jugeant diffamée, Angèle attaque Sybil devant les tribunaux londoniens. Elle affirme, au cours de son témoignage, que c’est au contraire Sybil qui a voulu se tuer à l’issue de sa liaison avec Barry. Angèle est aujourd’hui la femme du riche Pierre Ducros (Jacques Bergerac). Le juge se trouve face à deux témoignages totalement contradictoires. Sybil et Angèle risquent donc d’être accusées, l’une ou l’autre, de parjure. Barry Nichols témoigne à son tour. Il révèle qu’il n’a aimé ni Sybil ni Angèle, mais uniquement Joy qui est d’ailleurs devenue sa femme. Sybil et Angèle se sont simplement trompées et n’ont pas menti. Le juge se range à cet avis. Sybil et Angèle se réconcilient.


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LES GIRLS (George Cukor, 1957)
Programme musical (sélection)

Les moments purement musicaux permettent d’opposer aussi le style de chacune des trois héroïnes. Angèle chante « Ça c’est l’amour », allongée avec Barry au fond d’une barque – un très beau plan séquence – Sybil interprète avec un humour très british « You’re just too too » et Joy se livre toujours avec Barry à une brillante parodie de L’Equipée sauvage (The Wild One), jouant une serveuse de bar confrontée à une bande de motards en cuir. Gene Kelly affirme en chantant « From their hats to their nose, from the tips of their toes up to their curls, I simply adore Les Girls, Les Girls, Les Girls. De la plante des pieds à la racine des cheveux. Formidable ! j’adore, mais oui, Les Girls, Les Girls”. Une évidence…

« Les Girls »
Music and Lyrics by Cole Porter
Performed by Gene Kelly, Kay Kendall (dubbed by Betty Wand), Mitzi Gaynor and Taina Elg
Danced by Gene Kelly, Mitzi Gaynor and Taina Elg
« Ça c’est l’amour »
Music and Lyrics by Cole Porter
Performed by Taina Elg (dubbed by Thora Mathiason)
« Why Am I So Gone (About that Gal) ? »
Music and Lyrics by Cole Porter
Performed by Gene Kelly
Danced by Gene Kelly and Mitzi Gaynor
« The Rope Dance »
Music by Cole Porter
Danced by Gene Kelly and Taina Elg

GEORGE CUKOR ou comment le désir vient aux femmes
Qu’elle soit diablesse, lady, girl, affiche, âgée, aux camélias, en collant rose ou à deux visages, la femme occupe dans l’univers réaliste mais luxueux de George Cukor le devant de la scène. La femme en enfer, la dame damnée : Tarnished Lady (1931), ainsi s’intitule le premier film de George Cukor… Toute l’œuvre de Cukor est ainsi bâtie qu’elle n’est ni drame ni divertissement, et qu’elle refuse les limites d’un choix définitif. Pile, face, Cukor a filmé sur la tranche, dorée au soleil d’Hollywood.



MY FAIR LADY – George Cukor (1964)
le film dépeint une pauvre marchande de fleurs Cockney nommée Eliza Doolittle qui surprend un professeur de phonétique arrogant, Henry Higgins, alors qu’il parie avec désinvolture qu’il pourrait lui apprendre à parler « correctement » anglais , la rendant ainsi présentable dans la haute société de Londres édouardienne .


GASLIGHT (Hantise) – George Cukor (1944)
Avec Gaslight (Hantise), George Cukor délaissait la comédie pour s’essayer au film noir, genre forcément tentant pour un cinéaste passionné par le mensonge et la double identité. Pourtant, ce thriller victorien où un mari tente de rendre sa femme folle vaut surtout comme un superbe exercice de style où le son et la photo, l’atmosphère donc, comptent plus que l’histoire, prévisible.

BORN YESTERDAY (Comment l’esprit vient aux femmes) – George Cukor (1950)
Belle, blonde et sotte, Billie est la petite amie d’un homme d’affaire puissant mais véreux. Celui-ci profite de l’ignorance de sa compagne pour la compromettre dans des affaires louches, jusqu’à ce qu’elle découvre la vérité grâce à un journaliste engagé pour lui apporter un semblant d’éducation. Judy Holliday remporta l’oscar de la meilleur actrice en 1950 pour sa très drôle et brillante prestation dans le rôle de Billie, qu’elle interpréta aussi bien au théâtre qu’au cinéma.

A STAR IS BORN (Une Etoile est née) – George Cukor – 1954
Avec son titre repris régulièrement par la presse pour saluer l’avènement de la moindre vedette, A Star is born (Une Etoile est née) fait assurément partie des films les plus importants de l’histoire du cinéma américain. Il fut pourtant boudé à sa sortie, souffrant avant tout d’un montage tronqué par les exécutifs de la Warner. Mais peut-être le sujet du film lui-même a-t-il rebuté les spectateurs, tant il jette sur les coulisses de l’usine à rêves un éclairage peu reluisant

DINNER AT EIGHT (Les Invités de huit heures) – George Cukor (1933)
Dinner at eight (Les Invités de huit heures), vaste huis clos donnant une entrevue des vies de personnalités du Who’s Who invitées à une soirée chic de Manhattan, est un subtil mélange d’humour et de mélodrame. Soutenu par le succès de Grand Hotel (Edmund Goulding, 1932), production du studio de l’année précédente mettant en scène de nombreuses stars, le producteur David O. Selznick aspirait à quelque chose d’encore plus grandiose, et l’a trouvé avec cette adaptation de la pièce de théâtre à succès de George S. Kaufman et Edna Ferber, réalisée par George Cukor.


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