Le Film Noir

THE LONG GOODBYE (Le Privé) – Robert Altman (1973)

A Los Angeles, le célèbre privé Philip Marlowe affronte le cas le plus étrange de sa carrière. Car ce qui semble être le suicide de son meilleur ami, se révèle être un double meurtre dans lequel sont impliqés une blonde sexy, un gangster détraqué, et une mallette plein de billets. Et tandis qu’il s’approche de la vérité, Marlowe se retrouve pris au piège d’un dédale mêlant sexe et trahison.

Cinéaste passionnant mais enclin à la balourdise, Robert Altman est l’auteur dans les années 70 d’une poignée d’excellents films, dont au moins deux géniaux : John McCabe (McCabe & Mrs. Miller) et The Long goodbye (Le Privé). Bien qu’il ait acquis la célébrité avec ses fresques chorales (de A Wedding (Un mariage) à Short Cuts), c’est pourtant dans la relecture des genres hollywoodiens qu’Altman a su le mieux exprimer son talent de conteur ironique et de scrutateur désabusé de la civilisation américaine.  [Olivier Père – Les Inrockuptibles]

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THE LONG GOODBYE (Le Privé) Robert Altman (1973) avec Elliott Gould, Nina van Pallandt, Sterling Hayden.

The Long goodbye s’attaque avec autant d’irrévérence que d’intelligence à l’univers et aux archétypes du film noir, propulsés dans un monde qui bafoue son héritage culturel et moral pour ne plus s’intéresser qu’à l’argent. Altman a la grande idée de prendre le fameux détective de Raymond Chandler, Philip Marlowe, de le transposer dans l’Amérique contemporaine, et de le faire interpréter par un acteur comique inattendu dans le rôle, Elliott Gould.   [Olivier Père – Les Inrockuptibles]

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Altman en profite pour dire (déjà) tout le mal qu’il pense de l’Amérique moderne. La bonne santé, le luxe, le soleil servent d’écran à la violence, la corruption et la trahison. Le cinéaste, aidé par un Elliott Gould très en verve, se régale à filmer cet excentrique qui ne se sépare jamais de sa cravate et de ses costumes usés et circule en voiture rétro. C’est un solitaire, un idéaliste qui se « It’s okay with me » («Au fond, je m’en fous») est sa devise, maintes fois répétée au gré de ses rencontres. Marlowe new-look évolue comme son ancêtre parmi les flics, gangsters et jet-setters, mais il doit désormais résister à l’appel de ses voisines hippies exhibitionnistes, côtoie moult fumeurs de cannabis et croise un écrivain alcoolique (le grand Sterling Hayden), dinosaure réduit au suicide par la pourriture ambiante.   [Olivier Père – Les Inrockuptibles]

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THE LONG GOODBYE (Le Privé) Robert Altman (1973) avec Elliott Gould, Nina van Pallandt, Sterling Hayden.

La Metro-Goldwyn-Mayer avait acheté les droits du roman en même temps que ceux de The Little Sister, devenu Marlowe en 1968. N’envisageant pas de produire une nouvelle adaptation de Raymond Chandler, elle les revendit au producteur Elliott Kastner après avoir fait écrire un premier scénario à Stirling Sillipbant déjà auteur du scénario de Marlowe. Peter Bogdanovich est le réalisateur pressenti et Robert Mitchum doit personnifier Philip Marlowe (ce qu’il fera deux ans plus tard dans Farewell, My Lovely de Dick Richards). Mais c’est Elliott Gould qui est choisi par la production. Peter Bogdanovich se retire alors et Brian G. Hutton lui succède, acceptant l’idée – au départ curieuse – de voir Elliott Gould jouer Marlowe. Hutton part à son tour pour un autre film et Robert Altman le remplace, visiblement heureux de retrouver ici son interprète de M.AS.H.  [L’Héritage du film noir – Patrick Brion – Editions de La Martinière (2008)]

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ON SET – THE LONG GOODBYE (Le Privé, 1973) Robert Altman , Elliott Gould, Nina van Pallandt,

« Je n’aurais jamais tourné The Long Goodbye sans lui, déclara Altman. Pendant le tournage, nous l’avions surnommé « Rip van Marlowe ». C’est un personnage qui sort d’un sommeil de vingt ans. Il ne peut pas avoir de prise sur le monde qui l’entoure. Dès le prologue, je voulais prévenir le public qu’il n’allait pas voir le Marlowe qu’il attendait. Il est le seul à avoir tort parce que c’est un romantique. Il croit que tous ceux qui sont gentils sont forcément des amis ; il croit que l’amitié est ce qu’il y a de plus important dans la vie et qu’il y a un code d’honneur jusque chez les gangsters. Il faut que Marlowe soit perdu. Il ne peut en aucun cas communiquer avec le milieu environnant. » Et ailleurs, il précisait à propos du fameux détective : « il est un personnage des années cinquante qui a survécu inchangé dans les années soixante-dix. Il est un homme hors du temps. Il porte des chemises blanches, des nœuds papillons, des costumes bleus avec des chaussures brunes. Il est le seul dans le film à fumer constamment des Camels ou des Luckies. »  [L’Héritage du film noir – Patrick Brion – Editions de La Martinière (2008)]

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La première scène montre Marlowe dormant tout habillé. Son chat saute sur lui. Marlowe allume une cigarette et cherche de quoi nourrir son chat, difficile comme tous les chats. Cette présence du chat peut d’ailleurs être considérée comme une référence au début de Tueurs à gages de Frank Tuttle, avec Alan Ladd. Pour renforcer l’aspect anachronique de Marlowe, Altman choisit de lui donner comme voisines des jeunes filles très « Flower people », à demi nues et fumant régulièrement des joints sur leur balcon.  [L’Héritage du film noir – Patrick Brion – Editions de La Martinière (2008)]

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THE LONG GOODBYE (Le Privé) Robert Altman (1973) avec Elliott Gould, Nina van Pallandt, Sterling Hayden.

Altman ajoutait à propos de son travail avec Leigh Brackett sur le scénario : « Nous avons passé quatre jours à simplifier l’intrigue et à combler les trous dans la narration. À vrai dire, je me moquais de l’intrigue. Chandler lui-même n’y prêtait guère d’attention. Ce qui l’intéressait, c’étaient les personnages, leur attitude, leur caractère. Au point qu’il en venait à oublier complètement son intrigue. » « J’ai donné, déclarait Altman, à chacun des membres de l’équipe un exemplaire de Raymond Chandler Speaking. Je voulais qu’ils lisent sa fascination pour le suicide. Nous avons transposé cette fascination dans le personnage de Roger Wade. Dans le livre, Roger Wade est assassiné ; il s’agit d’un faux suicide. Mais dans mon film, il se suicide. Roger Wade est d’une certaine manière Chandler. » « C’est Dan Blocker qui devait à l’origine incarner Roger Wade, mais il est mort à la veille du tournage. John Huston avait été aussi pressenti mais ça n’a pas marché. Un agent m’a alors signalé Sterling. C’est lui qui a apporté au personnage ce côté Hemingway. »  [L’Héritage du film noir – Patrick Brion – Editions de La Martinière (2008)]

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THE LONG GOODBYE (Le Privé) Robert Altman (1973) avec Elliott Gould, Nina van Pallandt, Sterling Hayden.

« The Long Goodbye est beaucoup plus une satire des films noirs, des films de « privés », que des « pulp magazines » ou des romans de Chandler. » Robert Altman

Comme souvent, le cinéaste réalise deux films en un. Il accorde autant d’importance à l’intrigue qu’au contexte, à l’arrière-plan sociologique. Le film grouille de personnages secondaires hauts en couleur, de répliques hilarantes et de gestes inquiétants. Génialement filmé, avec une utilisation inventive de l’écran large, une photographie magnifique et un accompagnement musical inoubliable, The Long goodbye est à ranger, avec certains titres de Peckinpah, Fleischer ou Huston de la même époque, parmi les meilleurs films américains des années 70. D’une mélancolie infinie, le chef-d’œuvre d’Altman dresse le double portrait d’un homme en porte-à-faux avec son époque et d’une civilisation aseptisée, endormie par les drogues douces et la soudaine richesse.  [Olivier Père – Les Inrockuptibles]

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THE LONG GOODBYE (Le Privé) Robert Altman (1973) avec Elliott Gould, Nina van Pallandt, Sterling Hayden.

Le film a été très mal reçu : devant la froideur de l’accueil des critiques (lors des projections réservées à la presse) – et l’absence du public lors de la sortie dans quelques grandes villes américaines, le film est retiré au dernier moment avant sa sortie à New York. Il ressort 6 mois plus tard, après une analyse de l’échec et une préparation publicitaire intense, en particulier un poster de Jack Davis, dessinateur dans Mad. Même alors, le film n’obtient qu’un succès d’estime et se situe loin derrière les dix grands succès de 1973.  [L’Héritage du film noir – Patrick Brion – Editions de La Martinière (2008)]

 

L’histoire

Philip Marlowe (Elliott Gould) reçoit la visite de son ami Terry Lennox (Jim Bouton) qui lui annonce qu’il s’est disputé avec sa femme Sylvia et lui demande de le conduire à Tijuana. Marlowe accepte sans enthousiasme et apprend par la suite que Sylvia a été tuée. La police le questionne, mais la nouvelle du suicide de Terry au Mexique semble clore l’enquête.
La belle Eileen Wade (Nina van Pallandt) charge ensuite Marlowe de retrouver son mari Roger (Sterling Hayden ), romancier alcoolique, qui serait tombé dans les griffes du docteur Verringer (Henry Gibson), Mais Marlowe est menacé par le gangster Marty Augustine (Mark Rydell) car Terry Lennox transportait trois cent cinquante mille dollars lui appartenant.
Wade, retrouvé par Marlowe, se suicide en se noyant dans l’océan et sa femme révèle à la police que c’est lui qui a tué Sylvia.
Augustine récupère son argent disparu alors même qu’il menaçait Marlowe. Ce dernier se rend au Mexique et retrouve Terry, toujours vivant, et qui se préparait à continuer sa vie avec Eileen. Il l’abat après avoir compris que Terry s’était lui-même débarrassé de Sylvia.

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THE LONG GOODBYE (Le Privé) Robert Altman (1973) avec Elliott Gould, Nina van Pallandt, Sterling Hayden.

Les extraits

Éclair de violence de cette scène : Marty frappe sa maîtresse Jo Ann et lui balance en plein visage une bouteille de Coca-Cola. La malheureuse jeune femme s’effondre en sang en gémissant.

L’un des plus beaux moments du film : la conversation entre Marlowe et Wade devant un verre d’aquavit et devant la mer au milieu des cris de mouettes.

Fiche technique du film
THE LONG GOODBYE (Le Privé) Robert Altman (1973) avec Elliott Gould, Nina van Pallandt, Sterling Hayden.

THE LONG GOODBYE (Le Privé) Robert Altman (1973) avec Elliott Gould, Nina van Pallandt, Sterling Hayden.

A voir également…

Le Néo-Noir, un genre conscient de ses racines (par Douglas Keesey)

THE LAST RUN (Les Complices de la dernière chance) – Richard Fleisher et John Huston (1971) avec avec George C. Scott, Tony Musante, Trish Van Devere et Colleen Dewhurst

CAPE FEAR (Les Nerfs à vis) – J. Lee Thompson (1962) avec Gregory Peck, Robert Mitchum, Polly Bergen, Lori Martin, Martin Balsam

PLEIN SOLEIL – René Clément (1960) avec Alain Delon, Marie Laforêt, Maurice Ronet, Elvire Popesco, Billy Kearns

HUSTLE (La Cité des dangers) de Robert Aldrich (1975) avec Burt Reynolds, Catherine Deneuve, Ben Johnson, Paul Winfield

EXPERIMENT IN TERROR (Allo, brigade spéciale) – Blake Edwards (1962) avec Glenn Ford, Lee Remick, Stefanie Powers, Ross Martin

POINT BLANK (Le Point de non retour) – John Boorman (1967) avec Lee Marvin, Angie Dickinson, John Vernon, Carroll O’Connor

THE DRIVER (Walter Hill, 1978) avec Ryan O’Neal, Isabelle Adjani, Bruce Dern

GET CARTER (La Loi du milieu) – Mike Hodges (1971) avec Michael Caine, Ian Hendry, John Osborne, Britt Ekland

ENTRE LE CIEL ET L’ENFER (天国と地獄 – Tengoku to jigoku) – Akira Kurosawa (1963)

LE SAMOURAÏ – Jean-Pierre Melville (1967) avec Alain Delon, François Périer, Cathy Rosier et Nathalie Delon

TAXI DRIVER – Martin Scorsese (1976) avec Robert De Niro, Cybill Shepherd, Peter Boyle, Jodie Foster, Harvey Keitel, Leonard Harris et Albert Brooks

CHINATOWN – Roman Polanski (1974) avec Jack Nicholson, Faye Dunaway, John Huston

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