Début magnifique, où le sens du rythme de Nicholas Ray fait merveille : un flic est tué à la sortie d’un bar. Tout accuse un voyou à la belle petite gueule, Nick Romano. L’avocat Andrew Morton accepte de le défendre, vaguement taraudé par une faute qu’il n’arrive pas à se pardonner : le garçon a sombré dans la délinquance, quelques années auparavant, parce qu’il a mal défendu son père, mort en prison. Devant nous, Bogart — l’avocat, bien sûr —passe en revue le jury : « Une manucure soucieuse de l’apparence, ça tombe bien, Nick est joli garçon… Une grand-mère dévouée au Seigneur : bien… Un réfugié juif : les humiliations et les persécutions, ça le connaît… » Les manipuler ? Non, il s’agit pour lui de leur faire comprendre qu’un rien (une injustice, une discrimination) peut faire basculer un jeune homme. Ce sont les flash-back qui gênent — une construction que Ray, semble-t-il, ne souhaitait pas. Mais ce film, son deuxième après They Live by Night (Les Amants de la nuit), confirme son goût pour les pauvres types hantés par leur passé et les jeunes gens incapables de trouver leur place dans une société qui commence par les piéger, puis les fait chuter, pour mieux les condamner : John Derek est comme le frère de James Dean dans Rebel Without a Cause (La Fureur de vivre), que le cinéaste tournera dix ans plus tard. Ray réussit un dénouement choc, où se dévoile l’échec d’un monde fait par et pour les nantis. [Pierre Murat – Télérama.fr (mars 2017)]



L’histoire
Un policier est tué durant un cambriolage et Nick Romano, un jeune révolté qui a déjà un casier judiciaire, est jugé pour le crime. Il est défendu par Andrew Morton. un avocat qui le connaît depuis longtemps et croit en son innocence. Au cours du procès l’histoire de Romano nous est révélée, Orphelin de père, sans argent et aigri envers une société oppressive, Nick est devenu un délinquant juvénile. Morton tenta de l’aider mais Nick lui ayant volé de l’argent, il décida de ne plus intervenir dans sa vie tout en continuant à se sentir, d’une certaine façon, responsable. Nick rencontra une fille, Emma, qui avait une très bonne influence sur lui. Ils se marièrent mais Nick se mit à jouer pour offrir à Emma une vie plus agréable. Il s’enfonça davantage encore lorsqu’Emma fut enceinte. Celle-ci, désespérée, finit par se tuer. Fou de douleur et d’impuissance, Nick avait donc organisé le cambriolage qui s’était soldé par la mort d’un policier. Morton est sur le point de gagner l’affaire lorsque le procureur revient sur la mort d’Emma, pousse Nick à bout qui finit par avouer, c’est bien lui qui a tué le policier. Ebahi, Morton se lance pourtant dans un plaidoyer passionné où il s’attache sur le milieu et les circonstances qui ont conduit Nick au crime. Nick est condamné à mort et Morton vient lui rendre une dernière visite avant qu’il ne soit envoyé à la chaise électrique.



Knock on any Door (Les Ruelles du malheur) souffre d’u traitement trop explicite des problèmes sociaux. Certes. les films de Nicholas Ray sont généralement traversés par une conscience morale et politique aiguë mais il réussit toujours à leur donner une charge émotive qui entraîne le spectateur. En outre. il y a dans l’œuvre de Ray une complexité que l’on ne retrouve pas dans Knock on any Door à cause de la simplification du personnage de Nick Romano. C’est le seul protagoniste de Ray qui soit défini comme un pur produit de son milieu : Bowie dans They Live by Night et Jim dans Rebel Without a Cause ne sont pas réductibles à un schéma aussi unilatéral. Pourtant, Nick Romano reste un personnage fascinant. John Derek (dont ce fut le premier rôle au cinéma) interpréta une personnage assez semblable (Davey Bishop) dans un western de Ray, Run for cover (A l’ombre des potences). Ce film eut beaucoup plus de succès que Knock on any Door car la relation entre le jeune homme égaré et l’homme mûr, Mat Dow, tentant de le remettre dans le droit chemin y est plus trouble. presque névrotique. Mat Dow fait preuve d’une certaine faiblesse de jugement puisqu’il continue à avoir confiance en Davey Bishop, alors que le personnage similaire dans Knock on any Door, Andrew Morton. ne semble jamais essentiel à l’histoire .



Visuellement. c’est un des films les moins élaborés de Ray, surtout dans les scènes du procès, mais George Macready, dans le rôle du procureur, anime un peu les choses et le long plaidoyer de Bogart est fait avec conviction malgré la nature forcée du discours lui-même. L’annonce de la condamnation est le seul moment mémorable : la caméra s’élève pour redescendre sur le pitoyable Nick et le malheureux Morton. Il y a malgré tout une certaine sensibilité noire dans les flash-back évoquant les rues, les salles de billard et les taudis de la ville, ainsi que dans le gros plan sur Nick et le fondu enchaîné suivant la mort d’Emma. Enfin, Nick sape et contredit le sérieux du message lorsqu’il déclare pour finir : «II faut vivre vite, mourir jeune et avoir un beau cadavre. » [Encyclopédie du film Noir – Alain Silver et Elizabeth Ward – Ed Rivages (1979)]



LE FILM NOIR
Comment un cycle de films américains est-il devenu l’un des mouvements les plus influents de l’histoire du cinéma ? Au cours de sa période classique, qui s’étend de 1941 à 1958, le genre était tourné en dérision par la critique. Lloyd Shearer, par exemple, dans un article pour le supplément dominical du New York Times (« C’est à croire que le Crime paie », du 5 août 1945) se moquait de la mode de films « de criminels », qu’il qualifiait de « meurtriers », « lubriques », remplis de « tripes et de sang »…

NICHOLAS RAY
En apportant, dans le système hollywoodien, une vision romantique et désespérée de l’Amérique, Nicholas Ray s’est imposé comme l’un des auteurs les plus originaux de la génération d’après-guerre. Obsédé par la crise de la civilisation américaine et fasciné par la jeunesse, ce cinéaste romantique et écorché a laissé une œuvre qui, rétrospectivement, paraît singulièrement prémonitoire. Méconnu dans son propre pays, il est resté un mythe exemplaire pour bon nombre de cinéastes européens;

HUMPHREY BOGART : INSOLENT ET ROMANTIQUE
Smoking blanc, œillet à la boutonnière et verre de whisky à la main, dans le cabaret de Casablanca (1942), il égrène des souvenirs douloureux : le film, un des plus populaires au monde, a fait de Humphrey Bogart l’incarnation du romanesque hollywoodien dans ce qu’il a de meilleur. Borsalino sur l’œil, trench-coat serré, Bogart se passe dubitativement le pouce sur la lèvre. Un genre (le film noir), une époque (les années 1940) pourraient se réduire à cette icône.




THEY LIVE BY NIGHT (Les Amants de la nuit) – Nicholas Ray (1948)
« Ce n’est pas un film de gangsters, un récit sordide de sang et de misère, précise Nicholas Ray à ses producteurs, pour son premier film, mais l’histoire d’amour de deux jeunes gens qui n’ont jamais été correctement présentés au monde. » Terrifiés par le pamphlet social qu’ils sentent en filigrane (l’action se situe dans les années 30, en pleine crise économique), les responsables du studio RKO repoussent, remanient, censurent le scénario.

IN A LONELY PLACE (le Violent) – Nicholas Ray (1950)
Si Nicholas Ray est reconnu pour son intégrité et sa sensibilité rares, en particulier avec les acteurs, aucun de ses films n’est plus abouti ni plus profond que In a Lonely Place (Le Violent). Parmi les deux douzaines de longs métrages qu’il a réalisés, chacun contient des scènes inoubliables, à commencer par Rebel Without a Cause (La Fureur de vivre, 1955). Mais plus d’un demi-siècle plus tard, c’est In a Lonely Place qui sort le plus nettement du lot et garde le plus de vitalité.

JOHNNY GUITAR – Nicholas Ray (1954)
Ce film, que les années ont transformé en « western classique », certains le considéraient en son temps comme un « faux western », ou bien comme un « super western », le genre n’étant là que prétexte pour mieux déguiser un manifeste contre le maccarthysme. Avoué ou implicite, le critère de jugement est la fidélité au western.

PARTY GIRL (Traquenard) – Nicholas Ray (1958)
L’œuvre de Nicholas Ray offre quelques réussites éblouissantes, dont le charme emporte les réserves que peuvent parfois susciter des conventions trop voyantes ou des facilités de scénario. Moins maîtrisé que le violent Johnny Guitar, moins constamment lyrique que l’envoûtant Wind across the everglades (La Forêt interdite), Party Girl (Traquenard), reste un de ses plus fascinants chef-d’ œuvre, grâce à la présence irradiante de Cyd Charisse, au comble de sa beauté.
- [la IVe République et ses films] LA QUALITÉ – LE CHARME VÉNENÉUX D’AUTANT-LARA (7/10)
- L’ESSOR DE LA COMÉDIE À L’ITALIENNE
- RIO BRAVO – Howard Hawks (1959)
- [la IVe République et ses films] LA QUALITÉ – L’HOMME AU PIÉDESTAL (6/10)
- [la IVe République et ses films] LA QUALITÉ – CALVACADES ET PÉTARADES (5/10)
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