Toute une frange des comédies musicales produites aux États-Unis au cours du XXe siècle répond à un principe très simple : exploiter la popularité d’un chanteur, qui se double pour l’occasion d’un comédien. C’est déjà le cas en 1927 pour Al Jolson dans Le Chanteur de jazz (The Jazz Singer), production de la Warner considérée comme le premier film parlant de l’histoire du cinéma. Et ce sera le cas pour toute une série de vedettes de la chanson devenues vedettes de l’écran, de Bing Crosby à Elvis Presley, en passant par Frank Sinatra et Doris Day. Si certains deviennent ensuite des acteurs à part entière, au point de tourner des filins non musicaux, beaucoup restent des chanteurs ayant fait un petit détour par le cinéma. C’est le cas de Cab Calloway et, plus généralement, des artistes noirs, pour lesquels une véritable carrière d’acteur est impossible avant les années 1960 – du moins à Hollywood, où les rôles qu’ils sont susceptibles de tenir se limitent à des emplois de chefs d’orchestre souriants ou de fidèles domestiques. Le seul créneau cinématographique où des chanteurs noirs peuvent tenir de vrais rôles est en fait le « race movie », une production marginale dont Hi-De-Ho, avec toutes ses qualités et ses faiblesses, s’avère un bon exemple…

Le film tourné en 1947 par Cab Calloway n’est pas le premier à porter le titre Hi-De-Ho. Le chanteur est en effet apparu dix ans plus tôt dans un court métrage musical dont l’affiche faisait elle aussi référence au refrain de sa plus célèbre chanson, Minnie the Moocher. Le « De Hi De Hi De Ho » du refrain est devenu la marque de fabrique du chanteur, qui a réutilisé ces onomatopées dans plusieurs chansons, et c’est tout naturellement que le producteur E.M. Glucksman décide de s’en servir à son tour en 1947. Glucksman vient de se lancer à l’époque dans ce que l’on appelle aux États-Unis les « race movies », c’est-à-dire les films destinés à la population noire, qui représente une part non négligeable du public. Ségrégation oblige, ce public voit les films dans des salles qui lui sont destinées, ou, dans les grandes villes du nord, dans des balcons réservés aux « gens de couleurs ». Apparus dès les années 1910 en marge de l’industrie hollywoodienne, les « race movies » ont beau être interprétés exclusivement par des acteurs noirs, ils sont en grande majorité produits et réalisés par des Blancs, qui investissent ce créneau pour des raisons purement commerciales.

En 1947, E.M. Glucksman et le réalisateur Josh Binney comptent déjà à leur actif plusieurs courts métrages musicaux mettant en scène des vedettes comme Dusty Fletcher et Lollypop Jones. Le tandem décide de passer à l’échelon supérieur avec Hi-De-Ho, un long métrage reposant tout entier sur la star Cab Calloway. Pour l’entourer, deux jeunes femmes bien connues du public noir sont engagées, Ida James et Jeni Le Gon. Le scénario du film, considéré d’emblée comme un simple prétexte à des numéros musicaux, se voit confié à Hal Seeger, un transfuge des studios Fleischer – studios pour lesquels Cab Calloway a tourné plusieurs cartoons de Betty Boop. Mêlant fiction et réalité, Seeger livre une histoire vaguement policière dans laquelle le héros, qui répond au nom de Cab Calloway, a écrit autrefois une chanson intitulée Minnie the Moocher... Contre toute attente, le morceau ne figure pas dans le film, en revanche le chanteur en interprète une « suite », Minnie’s a Hepcat Now. D’autres chansons, comme I Got A Gal Named Nettie et Don’t Falter at the Altar, ont été composées spécialement pour le film, mais l’orchestre de Cab Calloway interprète aussi l’un de ses grands succès, St. James Infirmary Blues, écrit en 1930 par Irving Mills.

Dans la dernière partie du film, qui constitue une sorte de long spectacle de music-hall, le « De-Ho Man » se voit épaulé par des guest stars de choix. Tout d’abord le trio vocal The Peters Sisters : Mattie, Anne et Virginia Peters, qui ont chanté au Cotton Club avec Duke Ellington, interprètent ici deux morceaux, Rainy Sunday et Little Old Lady From Baltimore. Elles poursuivront dans les années 1950 leur carrière en Europe, où elles se fixeront, appréciant d’y être moins discriminées. Elles se produiront notamment aux Folies Bergère, et apparaîtront dans plusieurs films en France et en Allemagne. Par ailleurs, Hi-De-Ho comporte un impressionnant numéro de claquette exécuté par The Millier Brothers and Lois, danseurs acrobates qui connaissent à l’époque un grand succès dans les cabarets de Philadelphie. Enfin, c’est par un impressionnant trio entre Cab Calloway, Ida James et le chanteur newyorkais Augustus Smith que se termine cette fantaisie musicalo-policière. [Collection Comédies musicales – Hi-De-Ho – Eric Quéméré (n°77)]


LA COMÉDIE MUSICALE
La comédie musicale a été longtemps l’un des genres privilégiés de la production hollywoodienne, et probablement le plus fascinant . Né dans les années 1930, en même temps que le cinéma parlant, elle témoigna à sa manière, en chansons, en claquettes et en paillettes, de la rénovation sociale et économique de l’Amérique. Mais c’est dix plus tard, à la Metro-Goldwyn-Mayer, que sous l’impulsion d’Arthur Freed la comédie musicale connut son véritable âge d’or, grâce à la rencontre de créateurs d’exception (Vincente Minnelli, Stanley Donen) et d’acteurs inoubliables (Fred Astaire, Gene Kelly, Judy Garland, Cyd Charisse, Debbie Reynolds). Par l’évocation de ces années éblouissantes à travers les films présentés, cette page permet de retrouver toute la magie et le glamour de la comédie musicale.
Programme musical (sélection)
Written by Buster Harding and Edgar De Lange
Sung by Cab Calloway with his band
Written by Cab Calloway and Elton Hill (uncredited)
Sung by Cab Calloway with his band
Written by Buster Harding, Cab Calloway and Jack Palmer
Sung by Cab Calloway with his band
Written by Irving Mills (1930)
Sung and Danced by Cab Calloway with his band



Portrait
Chanteur et chef d’orchestre, l’interprète du célébrissime Minnie the Moocher a été l’un des jazzmen les plus médiatiques de l’ère du swing. Parcours d’un monstre secret. Cabell Calloway naît le jour de Noël 1907 à Rochester, dans l’État de New York. Son père avocat et sa mère professeure lui font prendre des leçons de musique et, imitant sa sœur aînée, le jeune Cab délaisse vite des études de droit pour devenir un musicien professionnel. Faisant ses classes dans les clubs de Chicago, il y rencontre Louis Armstrong, qui l’initie à la technique du scat. Après avoir joué avec sa sœur dans le musical Plantation Days, Cab Calloway rejoint en 1930 le groupe The Alabamians, dont il devient à la fois le chanteur et le chef d’orchestre. Il ne lui faut alors que quelques mois pour décrocher un engagement au Cotton Club de New York. Il ne s’agit d’abord que de remplacer temporairement la formation de Duke Ellington alors en tournée, mais l’accueil du public est si enthousiaste que Cab et ses compagnons deviennent des résidents réguliers du club, dont les concerts sont retransmis chaque semaine à la radio.


Cette ascension éclair est due en grande partie au succès de la chanson Minnie the Moocher, qui se vend à plus d’un million d’exemplaires. Le célèbre scat du refrain vaut à Cab Calloway le surnom de « The Hi-De-Ho Man », et le personnage de « Minnie la parasite » réapparaîtra ensuite dans plusieurs morceaux. C’est également cette chanson qui permet à Calloway de faire ses premiers pas à l’écran, puisqu’il l’interprète dans un cartoon de Betty Boop réalisé en 1932 (le chanteur participera à trois autres films de la célèbre pin-up). Il côtoie aussi à l’écran des stars comme Bing Crosby (The Big Broadcast), WC. Fields (International House) et Al Jolson (avec qui il chante en duo dans The Singing Kid. Avec sa verve inimitable et son traditionnel smoking blanc., Cab Calloway est un showman charismatique., comme en témoignent les comédies musicales Symphonie magique (Stormy Weather) Hi-De-Ho. Après la dissolution de son orchestre à la fin des années 1940, il se produit à Broadway dans Porgy and Bess (1952), Hello Dolly ( 1967) et The Pajama Game (1973). Tout en continuant à donner des concerts jusqu’à sa mort, en 1994, cette légende du jazz se fait connaître des nouvelles générations en jouant dans des films comme St. Louis Blues, Le Kid de Cincinnati et Les Blues Brothers.

IDA JAMES
La chanteuse Ida James a connu l’un de ses grands succès avec le titre Shoo Shoo Baby. Également tentée par l’écran, la jeune femme tient en 1939 le rôle principal du film d’angoisse The Devil’s Daughter, une série B destinée au public noir. Cinq ans plus tard, elle chante en duo avec Nat King Cole le standard Is You ls, Or Is You Ain’t My Baby ? dans le court métrage du même nom. C’est également en 1944 qu’elle apparaît dans la comédie musicale hollywoodienne Trocadero pour y interpréter son succès Shoo Shoo Baby. Hi-De-Ho sera son dernier film.
JENI LE GON
Née en 1916 à Chicago, Jeni Le Gon devient chorus girl dès l’âge de seize ans. En plus de se produire au music-hall, elle entame en 1935 une carrière à Hollywood en dansant avec Bill Robinson dans Hooray for Love et Eddie Cantor dans Nuits d’Arabie. Tout en continuant à danser dans des films comme Vaudou et Stormy Weather, elle multiplie les rôles de domestique (Les Mille et une nuits, Parade de printemps, J’ai tué Jesse James… ). Devenue dans les années 1960 une professeure de claquettes réputée, Jeni Le Gon tourne son dernier film, Bones, en 2001.


STORMY WEATHER (La Symphonie magique) – Andrew L. Stone (1943)
«Don’t know why, there’s no sun up int he sky… Stormy Weather, since my man and I ain’t together… keeps raining all the time…» Ainsi commence l’une des plus jolies chansons de l’histoire du jazz chantée ici par Lena Horne et qui donne son titre au film. Film de jazz, film de danse, Stormy Weather est un moment extrêmement joyeux et entraînant, probablement la plus belle comédie musicale noire qui s’achèvera en une séquence explosive où les Nicholas Brothers, probablement les plus grands danseurs de Tap dance du monde, font une étourdissante démonstration de leur talent, à montrer impérativement à tous ceux que la danse inspire. Du pur bonheur !

CABIN IN THE SKY (Un Petit coin aux cieux) – Vincente Minnelli (1943)
Le 31 août 1942, Vincente Minnelli commence le tournage de Cabin in The Sky. Il est enfin, comme il l’écrit dans son autobiographie, « contremaître à l’usine ». L' »usine », c’est bien évidemment la M.G.M. dont Arthur Freed lui a fait patiemment découvrir tous les rouages. Cabin in The Sky est un musical, le premier des 13 musicals que réalisera le cinéaste. Il est important de remarquer que 12 des 13 musicals ont été produits par l’homme qui a le plus compté dans sa carrière, Arthur Freed.
- [la IVe République et ses films] LA QUALITÉ – LE CHARME VÉNENÉUX D’AUTANT-LARA (7/10)
- L’ESSOR DE LA COMÉDIE À L’ITALIENNE
- RIO BRAVO – Howard Hawks (1959)
- [la IVe République et ses films] LA QUALITÉ – L’HOMME AU PIÉDESTAL (6/10)
- [la IVe République et ses films] LA QUALITÉ – CALVACADES ET PÉTARADES (5/10)
En savoir plus sur mon cinéma à moi
Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.
Catégories :La Comédie musicale
