Étonnant exercice de style respectant les unités de temps et de lieu à la manière des drames antiques, le film à suspense de Roy Baker offre son premier grand rôle à Marilyn. Un an à peine avant son accession au statut de star…

Sans doute, Don’t bother to knock (Troublez-moi ce soir) est-il un des films les plus importants de la carrière de Marilyn. Baby sitter en blouse grise, mythomane hantée par le suicide, bien loin d’être, comme un Dorsday voulut alors le démontrer dans Les Cahiers, l’instrument passif de la misogynie yankee, elle incarnait, oh combien, tous les rêves et tous les espoirs, toutes les haines salutaires aussi. Hantée par un amour perdu qu’elle s’efforçait passionnément de recréer, elle écartait de son chemin les obstacles et spécialement ceux qui avaient le visage d’une fillette insupportable. Elle n’était monstrueuse qu’au regard d’une société craintive et incompétente. Marilyn, c’était, éblouissante, la folie qu’on enferme.

Marilyn Monroe : La beauté nue
« Vous n’avez encore jamais rencontré ce genre de fille» scandait en juillet 1952 la campagne de presse de Don’t bother to knock (Troublez-moi ce soir) à propos du rôle inquiétant tenu par Marilyn dans le film. Avec le recul, on serait tenté d’ajouter que l’on n’a pas non plus rencontré depuis lors « ce genre de fille » dans la filmographie de la star. Car le personnage de Nell Forbes, baby-sitter occasionnelle affligée de graves troubles mentaux, s’avère aux antipodes du registre outrageusement glamour qui sera par la suite celui de Marilyn. Or la simplicité lui sied également très bien : légèrement maquillée et vêtue d’une triste robe grise, la jeune femme n’en est pas moins belle. Surtout, aucun bijou scintillant, aucune robe au décolleté vertigineux ne viennent détourner le regard du spectateur de ce que l’actrice a en réalité de plus précieux à offrir: la sincérité de son jeu. Ce n’est pas le moindre mérite de Don’t bother to knock que d’avoir ainsi révélé un visage inconnu de la starlette Marilyn Monroe, juste avant qu’elle ne devienne pour l’éternité la plus sophistiquée des sirènes d’Hollywood … [Éric Quéméré – Les Légendes d’Hollywood]
Dans l’industrie hollywoodienne des années 1950, il est courant qu’un studio « prête » à un concurrent l’un de ses acteurs. C’est ainsi que Marilyn, sous contrat à la Twentieth Century Fox, est autorisée à tourner en 1951 Clash by night (Le Démon s’éveille la nuit), un thriller réalisé par le grand cinéaste Fritz Lang pour le compte de la Columbia. Au vu des louanges adressées par les journalistes à la jeune débutante qu’ils avaient déjà appréciée dans The Asphalt jungle (Quand la ville dort) et All about Eve (Eve), les pontes de la Fox se disent soudain qu’il faudrait peut-être songer à employer un peu mieux leur jeune recrue. Marilyn, qui jusqu’alors s’était vue confinée aux rôles de « ravissante utilité », est donc bientôt pressentie pour un projet intitulé Don’t bother to knock . Mais Darryl Zanuck, le grand manitou qui, depuis l’entrée de Marilyn à la Fox, se refuse à croire en elle, hésite longuement et finit par exiger des essais.





SECONDE CHANCE
Lorsqu’elle apprend la nouvelle, Marilyn est dans tous ses états. Quatre ans plus tôt, elle a déjà tenu un rôle principal dans Ladies of the chorus (Les Reines du music-hall), mais cette modeste comédie musicale n’a pas suffi à la lancer : il lui faut donc à tout prix décrocher cette nouvelle opportunité de prouver son talent. C’est une Marilyn « morte de peur » qui déboule alors chez sa répétitrice Natasha Lytess, pour lui demander de l’aider à se préparer au fameux casting. Pendant plusieurs jours, les deux femmes vont travailler d’arrache-pied, Marilyn s’installant même pour l’occasion chez Natasha. Cette dernière se souviendra par la suite de l’heureux résultat d’un tel effort : « sincèrement, je ne pensais pas que Marilyn était prête pour un rôle aussi exigeant, mais elle fit un bout d’essai si merveilleux que même Zanuck dut rédiger une petite note élogieuse sur elle. » Aux anges, Marilyn se lance donc dans l’aventure de Don’t bother to knock .
Thriller pour dames
Contrairement à ce que laisse présager son titre français, l’intrigue de Don’t bother to knock n’a rien d’une romance sirupeuse : le double sens de son titre original (« N’ayez pas peur de frapper ») évoque bien l’atmosphère trouble de ce film noir, où une charmante baby-sitter s’avère être une dangereuse psychotique. Écrit par Daniel Taradash, qui signera aussi le script de Rancho Notorious (L’Ange des maudits) de Fritz Lang et de From Here to Eternity (Tant qu’il y aura des hommes), le scénario de Don’t bother to knock est en fait adapté d’une nouvelle de Charlotte Armstrong, d’abord parue dans le magazine féminin « Good housekeeping ». Pour cette transposition à l’écran, l’accent est mis d’emblée sur le côté inquiétant de l’histoire, direction dans laquelle va également travailler le réalisateur Roy Baker. Ce Londonien fraîchement débarqué à Hollywood doit par ailleurs faire preuve d’ingéniosité pour compenser par sa mise en scène le budget plus que modeste du film. Mais sur le plateau, son plus gros souci n’est pas d’ordre financier…
L’INDISPENSABLE NATASHA
En effet, si Marilyn n’est pas encore une vedette, elle s’est déjà arrogé le droit d’arriver en retard sur le tournage, comme ce sera le cas tout au long de sa carrière. Mais plus qu’un caprice, il s’agit en fait d’une manière de fuir l’angoisse qui la prend à l’idée de jouer. D’autant que, suite aux démêlées de Fritz Lang et de Natasha Lytess sur le précédent film de Marilyn, Darryl Zanuck refuse que l’encombrante professeur d’art dramatique apparaisse sur le plateau. Livrée à elle-même, Marilyn est pétrie d’angoisse, persuadée qu’elle ne pourra pas jouer correctement. Elle passe donc les premiers jours de tournage à s’absenter à la fin de chaque scène pour téléphoner à Natasha, et finit par obtenir de Zanuck que sa coach termine le tournage à ses côtés. Au grand dam de Roy Baker, qui n’apprécie évidemment pas de s’entendre dire par son actrice principale que les indications qu’il lui donne ne suffisent pas … Modeste, Natasha Lytess déclarera pourtant à propos de ce tournage : « À vrai dire, je n’avais pas grand-chose à faire. Le projet entier terrifiait Marilyn, mais elle savait exactement ce que le rôle nécessitait et comment l’interpréter. Je me suis simplement contentée de lui donner confiance en elle. »







CHARISME DÉVORANT
Quant aux partenaires de Marilyn, ils oscillent entre l’agacement et l’admiration, comme le résumera Richard Widmark : « J’aimais beaucoup Marilyn, même si c’était l’enfer de travailler avec elle. On avait un mal de chien à la faire sortir de sa loge, et quand elle finissait par arriver sur le plateau, c’était une vraie boule de nerfs ! Au début, tout le monde pensait qu’elle n’y arriverait jamais, et on se disait tout bas : « c’est impossible, on ne peut pas filmer ça ». Mais ensuite, il se passait quelque chose entre l’objectif et la bobine, et quand on allait voir les rushes, elle crevait tellement l’écran qu’on n’existait plus à côté d’elle…». Marilyn elle-même, pourtant si critique envers son propre travail, jugera bien des années plus tard que le personnage de la terrible Nell compte effectivement parmi ses meilleures prestations. Et à découvrir aujourd’hui l’étonnante composition de l’actrice dans Don’t bother to knock , on ne peut que souscrire à une telle opinion…
« Marilyn Monroe apparaît dans Troublez-moi ce soir comme bien plus qu’une femme sexy : c’est une actrice qui promet. » (New York Daily Mirror)
PREMIERS PAS
Don’t bother to knock a grandement contribué à lancer la carrière de Marilyn, il reste également dans les annales du cinéma pour un autre motif : il s’agit en effet du tout premier film d’Anne Bancroft, qui joue ici la petite amie de Richard Widmark. Dix ans plus tard, l’actrice d’origine italo-américaine décrochera un Oscar pour le magnifique The Miracle Worker (Miracle en Alabama, Arthur Penn, 1962), avant d’épouser en 1964 l’acteur comique Mel Brooks. Mais son titre de gloire reste évidemment d’avoir incarné la fameuse « Mrs Robinson » dans The Graduate (Le Lauréat, Mike Nichols 1967).
Scène D’anthologie
Don’t bother to knock donne l’occasion à Marilyn d’une performance restée largement méconnue : la jeune actrice y incarne pourtant avec une grande sobriété une femme à la raison vacillante. Là où d’autres auraient eu tendance à surjouer l’hystérie, Marilyn s’en tient dans la plus grande partie du film à des regards et des gestes mesurés, sachant bien que la folie la plus inquiétante est celle qui ne se décèle qu’à peine, et parvient ainsi à humaniser un personnage que le scénario présente a priori comme monstrueux. Mais le sommet de son interprétation est atteint lors de la séquence finale, quand la gravité des actes de Nell Forbes vient enfin d’être découverte. Dans sa robe de modeste baby-sitter, le visage griffé et des larmes coulant le long des joues, Marilyn se traîne dans un couloir qui nous semble à nous aussi interminable, tant l’expression de sa souffrance est poignante. Dans le hall de l’hôtel, la manière dont Marilyn joue ensuite sur la gamme des émotions est impressionnante: pulsion suicidaire, élan passionné envers celui qu’elle prend encore pour son fiancé disparu, désarroi quand la réalité reprend ses droits … Certains dirent à l’époque que l’extrême nervosité de Marilyn au cours de ce tournage l’aida à composer son personnage. Peut-être, mais lorsque dans son tout dernier plan, on la regarde qui s’éloigne et se retourne de temps à autre, on se dit que l’on a surtout affaire à une grande actrice, guidée par un instinct des plus sûrs. Et que le cinéma ne pouvait tarder plus longtemps à lui réserver la place qu’elle méritait…
« Marilyn était quelqu’un de terriblement angoissé et elle avait une tendance manifeste de l’autodestruction. C’était un oiseau blessé… » (Richard Widmark)
L’histoire
Dans un hôtel à New York, une femme, Lyn (Anne Bancroft) semble attendre un homme. Il s’avère qu’elle est la chanteuse du bar de cet hôtel et entonne une chanson romantique pour la clientèle. Dans sa chambre du même hôtel, Jed (Richard Widmark) une lettre de rupture. Lyn et Jed étaient ensemble. Nell Marilyn Monroe) arrive à l’hôtel car son oncle Eddie (Elisha Cook Jr.) qui y est liftier, lui a trouvé un job de baby sitter pour la soirée. Elle va prendre soin de la petite Bunny (Donna Corcoran) pendant que ses parents sortent. Jed descend écouter Lyn. Ils discutent et Lyn lui reproche notamment son caractère froid et cynique: elle confirme qu’ils doivent se séparer. Au même moment, Nell a un comportement peu conforme car elle fouille dans les affaires de la mère de la petite – maintenant couchée – et essaye même des bijoux.



Retourné dans sa chambre, Jed aperçoit par la fenêtre une belle jeune femme également cliente de l’hôtel. C’est Nell. Ils entrent en contact par téléphone. Eddie la surprend portant un déshabillé de la mère absente ainsi que des bijoux. Il la somme de tout remettre en place. Jed, avec sa bouteille de Bourbon, vient frapper à la porte de Nell. Avant qu’elle n’ouvre, on peut apercevoir de bizarres traces sur ses deux poignets… Leur rencontre se développe sur un ton étrange où l’on apprend que Nell a perdu pendant la guerre son fiancé, pilote, mais cela finit par un baiser tout de même puisque Jed mentionne qu’il est pilote d’avion lui aussi. Ils sont surpris par la petite fille qui ne dormait pas. Cette apparition éveille quelques soupçons chez Jed qui croyait Nell seule et, ensuite, une tragédie est même évitée.



Les parents, insouciants, sont toujours à leur soirée. Découvrant des cicatrices aux poignets de Nell, Jed n’a plus aucun doute : il vaut mieux qu’il s’en aille rejoindre Lyn. Mais Eddie arrive et assène à sa nièce un « I thought you were getting better» assez révélateur (Je pensais que tu allais mieux). La situation s’envenime et l’oncle prend un coup. Des clients de l’hôtel viennent s’enquérir si quelque chose ne va pas mais Nell les rassure. Elle le peut, l’enfant, pour qu’elle ne crie pas, est attachée sur son lit. Jed part à son rendez-vous. Quelques minutes plus tard arrive la maman qui découvre sa fille martyrisée. Jed revient juste à temps pour séparer la mère et Nell qui se battent. Nell profite d’un moment d’inattention pour s’échapper. À la réception de l’hôtel, elle trouve des lames de rasoir. On peut craindre alors le pire mais Jed, de nouveau et en présence de Lyn, sauve la situation. Il n’est pas la brute que Lyn s’imaginait et ils partent boire un verre ensemble alors que la police emmène Nell vers un hôpital qui pourra la traiter.
Les extraits

MARILYN MONROE
Mélange explosif de candeur et de sensualité débordante, Marilyn Monroe est une actrice proche du génie. Sous le maquillage et les atours, elle restait une « petite fille ». Elle ne ressemblait à personne…








- LIFEBOAT – Alfred Hitchcock (1944)
- I DIED A THOUSAND TIMES (La Peur au ventre) – Stuart Heisler (1955)
- BARBARA STANWYCK
- ALL ABOUT EVE (Ève) – Joseph L. Mankiewicz (1950)
- [AUTOUR DE « L’IMPOSTEUR »] HOLLYWOOD S’EN VA-T-EN GUERRE
Catégories :Le Film Noir
Un film étonnant et Marilyn surprenante à différentes facettes de son talent. Tour à tour fascinante troublante et inquiétante dans ce film réussi. Sa meilleure prestation . Dommage que la vf n existe pas pour ceux qui ont du mal à lire les sous-titres.
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