Frankie sort de prison et retrouve son épouse, Zosh. Celle-ci est paralysée, à cause d’un accident de voiture que Frankie a provoqué sous l’emprise de la drogue. Car Frankie est un junkie. Il aimerait rentrer dans le droit chemin et faire partie d’un orchestre de jazz : mais le jeu et la came reprennent vite le dessus… La drogue était alors un sujet tabou. The Man with the golden arm se vit refuser son visa de sortie, puis, grâce à l’obstination d’Otto Preminger, remporta un grand succès, entraînant une remise à jour du Code Hays, cette charte d’autocensure appliquée par Hollywood.

Sur le strict plan documentaire (la drogue, mode d’emploi), le film a évidemment beaucoup vieilli. Il se complaît dans le mélo (le personnage d’Eleanor Parker est insupportable jusqu’au coup de théâtre final) et le happy end paraît largement artificiel. Ce qui n’a pas bougé, en revanche, c’est l’interprétation magistrale de Frank Sinatra — qui chipa le rôle à Marlon Brando —, qui rend avec brio, notamment dans une scène de manque, les démons intérieurs de son personnage. Plus que l’intrigue, c’est l’atmosphère, sombre et jazzy, qui fait le prix de ce classique du drame psychologique à l’américaine. [Aurélien Ferenczi – Télérama]

En 1955, Otto Preminger décidait d’assurer la production et la réalisation de The Man with the golden arm, en adaptant un roman de Nelson Algren sur la vie d’un toxicomane. En se lançant dans une telle entreprise, Preminger savait qu’il allait à l’encontre du Code Hays qui interdisait expressément tous les sujets touchant à la drogue et à son trafic. Il déclara, à l’époque : « je pensais que si le film respectait certaines normes, il contribuerait à modifier le code ou en serait l’exception ».

En fait, la MPPDA (Motion Picture Producer and Distributors of America) appliqua le Code à la lettre et refusa son autorisation d’exploitation au film de Preminger. Après avoir quitté l’association, l’United Artists distribua pourtant le film sans visa préalable, comme elle l’avait fait, en 1953, pour une autre production de Preminger, La Lune était bleue (The Moon Is Blue). The Man with the golden arm connut un beau succès commercial, démontrant ainsi que la MPPDA avait beaucoup perdu de son pouvoir.









Otto Preminger, qui ne craignait certes pas la polémique, semble dans ce cas avoir voulu la provoquer délibérément, malgré la surprise et la consternation qu’il manifesta publiquement : « j’étais persuadé d’avoir fait un film porteur de, ce que j’appellerai, une très forte leçon morale, ou, tout au moins, d’un équilibre moral. Je n’ai pas le sentiment d’avoir fait un film qui puisse de quelque manière que ce soit inciter quelqu’un à s’adonner à la drogue ».

Effectivement, les séquences les plus fortes sont celles qui soulignent l’horreur, la dégradation et la douleur inhérentes à la toxicomanie, et l’intervention de la censure paraît injustifiée sinon incongrue.

Dans une scène particulièrement démonstrative, Frankie, capitulant devant la drogue, nous apparaît vidé de toute volonté et de tout amour-propre tandis qu’il se dirige, comme en transe, vers la chambre du revendeur. Au moment où Louie injecte l’héroïne dans le bras de Frankie, Preminger nous montre en très gros plans le visage ravagé du drogué et la caméra semble presque participer à sa dégradation physique et mentale. Simultanément, l’inquiétant crescendo du thème de jazz d’Elmer Bernstein aboutit à une explosion sonore angoissante qui accompagne la plongée de Frankie dans un tourbillon d’hallucinations mentales. A la fin de la scène, Frankie jure que c’est bien la dernière fois mais, à nouveau, la caméra cadre son visage en gros plan : par ce seul effet de mise en scène, nous comprenons qu’il reste inéluctablement prisonnier de l’univers de la drogue.

Le point culminant du film est l’inquiétante séquence de la désintoxication « à froid » de Frankie. Enfermé dans le minuscule studio de Molly, Frankie arpente nerveusement la pièce, avale un verre d’eau d’un trait, tente de s’ouvrir les veines dans un moment de confusion et de désespoir, brise une chaise contre la porte dans un accès de rage impuissante puis tombe à terre, pris de convulsion.

La durée même de la séquence, filmée en contre-plongée, les travellings sur Frankie et l’étroitesse des lieux concourent à créer un fort sentiment de claustrophobie.

En dépit d’une présentation très crue du cauchemar du toxicomane le film n’est pas un simple essai de propagande contre la drogue. Preminger semble plus intéressé par l’évocation d’un milieu et par l’étude d’un personnage dont le dilemme n’est pas seulement lié à l’héroïne mais aussi aux grands problèmes de l’existence : les relations avec les autres, la carrière, la responsabilité morale. Preminger a d’ailleurs été très aidé par l’excellente interprétation de Frank Sinatra, convaincant aussi bien dans les manifestations de la crise de désintoxication que dans l’expression plus subtile de son conflit intérieur et de son angoisse.

Comme bien d’autres films de Preminger, celui-ci comporte aussi quelques personnages hauts en couleur, entre autres le pathétique Sparrow et les épaves humaines qui fréquentent les bars, les tripots et les boîtes de strip-tease. Quelques-uns tournent cependant à la caricature: le répugnant trafiquant, l’épouse acariâtre, le policier gras et corrompu. Si Preminger crée souvent une atmosphère d’une authenticité palpable, il restreint cette impression en confinant l’action dans une rue unique, trop manifestement reconstituée en studio. C’est peut-être là un choix délibéré destiné à renforcer l’aspect clos du monde de Frankie, mais ce microcosme artificiel tranche avec le réalisme du reste du film.

Le succès de L’Homme au bras d’or eut des retombées très importantes pour le monde du cinéma. En décembre 1956, près d’un an après la sortie du film, la MPPDA décida, pour la première fois depuis 1930, de modifier sa position en matière de censure. La toxicomanie (de même que l’avortement, la prostitution et le kidnapping) pouvaient désormais devenir des sujets de films, à condition que la réalisation respectât certaines limites. Il fallut attendre encore dix ans pour voir le code modifié plus profondément, mais le film de Preminger marqua une étape capitale dans la libéralisation du système d’autocensure hollywoodien. [La grande histoire illustrée du 7ème art – Editions Atlas (1983)]


OTTO PREMINGER
Viennois exilé, metteur en scène et producteur despotique, Otto Preminger a été, au cours de sa carrière, avant tout un homme de spectacle ; œuvrant dans tous les genres, il les marqua de sa culture et de sa sensibilité européennes. Il est l’une des figures les plus controversées du cinéma américain.
L’histoire
À Chicago, Frankie Machine (Frank Sinatra) revient dans son quartier après un séjour dans un centre de désintoxication. Là-bas il y a appris la batterie où un ami lui annonça qu’il avait un don pour les percussions. Enthousiasmé, il va tenter de contacter un impresario pour devenir batteur, ce que sa femme Zosh (Eleanor Parker), dans un fauteuil roulant depuis un accident de voiture, ne souhaite pas afin que Frankie reste auprès d’elle ; malheureusement, d’anciennes mauvaises fréquentations reviennent vers lui et le font rapidement replonger dans la drogue. Frankie est alors tiraillé entre les dealers envers qui il a des dettes et doit pour rembourser être donneur au poker pendant de longues veillées, sa femme qui sent que Frankie ne se soucie plus d’elle et qu’il va la quitter, et son amie Molly (Kim Novak) qui tente de le sortir de la drogue…

FRANK SINATRA
Frappé d’ostracisme par Hollywood et les sociétés de disques, abandonné même par ses agents, Sinatra, dans le début des années 50, faillit bien être mis aux oubliettes du monde du spectacle. Il ne fallut qu’un film, et un Oscar, pour le conduire au sommet de la gloire.

KIM NOVAK
Promue par Harry Cohn parce que Darryl F. Zanuck ne voulait pas lui prêter Marilyn Monroe ! Même si l’essentiel de sa carrière se déroula après 1955, Kim Novak est l’une des dernières « créatures » de l’ancien système des studios. Ses rôles dans Picnic (J955) et Vertigo (Sueurs froides, 1958) ont fait rêver des générations de cinéphiles. La manière dont la beauté froide de Kim Novak vibre devant la caméra reste probablement un mystère même pour les cinéastes !
Les extraits

LAURA – Otto Preminger (1944)
On ne peut pas citer Laura sans rendre hommage à Gene Tierney, l’une des comédiennes les plus belles et les plus sensibles de l’histoire du cinéma. Il faut aussi souligner le talent de Preminger, qui a traité cette histoire d’amour « noire » d’une façon totalement originale. La première scène d’amour n’est-elle pas celle de l’interrogatoire de Laura ? Plus le passé de Laura se dévoile, plus les questions de l’inspecteur, dont on devine la jalousie, deviennent violentes et cruelles. Le visage de Laura reste émouvant sous la lumière du projecteur. L’inspecteur finit par détourner cette lumière violente de son visage. Premier geste d’amour…

FALLEN ANGEL (Crime passionnel) – Otto Preminger (1945)
On ne change pas une équipe qui gagne : après le mythique Laura, Preminger retrouvait Dana Andrews pour cet autre polar. Au passage, un peu de mystère s’est envolé, mais Fallen Angel (Crime passionnel) garde cependant l’atout du classicisme parfait : c’est une véritable encyclopédie du film noir. Eric Stanton, le très typique mauvais garçon, est un escroc à la petite semaine qui débarque dans une ville tranquille, et même mortellement ennuyeuse pour la brune incendiaire condamnée à tenir le bar du coin.

WHERE THE SIDEWALK ENDS (Mark Dixon, détective) – Otto Preminger (1950)
Le principe de l’intrigue de Where the sidewalk ends peut se résumer en quelques mots : un policier qui, lors d’un interrogatoire, a tué sans Le vouloir un suspect récalcitrant essaie d’effacer cette « bavure » (d’autant plus absurde qu’il entendait prouver l’innocence de ce suspect). Mais il convient d’ajouter que cette volonté de faire disparaître un passé récent a pour effet de faire remonter un passé ancien, et ce paradoxe, qui trouve des échos dans La personnalité même du réalisateur Otto Preminger, renvoie à certaines constantes de son œuvre et à la définition du genre dit du film noir.

ANGEL FACE (Un si doux visage) – Otto Preminger (1952)
Dès la séquence d’ouverture, où Frank, l’ambulancier, est appelé dans la propriété de Diane, une menace plane. Cette sensation d’avancer au bord d’un précipice ne nous quittera plus jusqu’à la scène finale. Aussi fascinante que Laura, le grand classique de Preminger, cette histoire diabolique unit deux êtres très différents, mais qui ont en commun un certain mystère. Autant Mitchum, en chauffeur monolithique, intrigue par son caractère taciturne et son impuissance résignée, autant Jean Simmons déconcerte en offrant un visage double, maléfique et gracieux, intraitable et fragile.

CARMEN JONES – Otto Preminger (1954)
En transposant la célèbre histoire de Carmen dans le milieu noir américain, Otto Preminger avait scandalisé les héritiers et les éditeurs de Georges Bizet, qui s’opposèrent à la diffusion du film en France. Présenté en clôture du festival de Cannes 1955, Carmen Jones ne sortira sur les écrans français qu’en 1981. Avec un Don José transformé en caporal américain et un Escamillo troquant sa muleta pour des gants de boxe, l’adaptation aurait pu sombrer dans le ridicule. Il n’en est rien : tout est crédible, vivant, dramatique.
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Catégories :Le Film étranger
