Le Film français

L’ASSASSINAT DU PÈRE NOËL – Christian-Jaque (1941)

La veille de Noël, dans un petit village de Savoie. Un inconnu vêtu en père Noël est retrouvé assassiné. Premier film réalisé sous l’Occupation pour la firme allemande Continental par un cinéaste français, L’Assassinat du Père Noël n’est pas une oeuvre de propagande. La poésie, la sensibilité et le mystère qui se dégagent du roman de Véry trouvent ici une expression parfaite. Le cheval d’un cavalier tué jadis qui galope à travers la tempête, le brave Cornusse qui raconte des récits de voyages fabuleux, un jeune noble mélancolique et la jolie Catherine en mal d’amour… Tous ces personnages mais aussi les enfants émerveillés ou une houppelande ensanglantée participent à la magie délicate qui enveloppe cette enquête policière dans le huis clos du village isolé par la neige. Quant au dialogue entre Cornusse et le petit Christian, qui clôt le film, il a fait couler beaucoup d’encre. Une princesse endormie mais bien vivante (la France) et un prince charmant qui un jour la réveillera (de Gaulle). Métaphore volontaire ou interprétation d’après-guerre ? [Gérard Camy – Télérama (12/12/2015)]


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La mobilisation, la drôle de guerre, l’effondrement, la débâcle, l’occupation : tandis que bon nombre de cinéastes français se rendent en zone libre afin de continuer à tourner, d’où le renouveau des films provinciaux, Christian-Jaque rentre à Paris et en quatre ans présente six films dont certains figurent parmi les plus achevés de son œuvre.

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Christian-Jaque, en signant son contrat en octobre 1940, a réussi à imposer ses conditions. Il souhaite pouvoir réaliser un film, Premier Bal (1941), pour le producteur André Paulvé entre les deux productions Continental Films qui lui sont demandées. Greven accepte ses conditions; il ne fait aucun doute qu’il est soucieux de s’assurer le concours de ce metteur en scène en vue. Christian-Jaque impose également les sujets ses deux films ; outre L’Assassinat du Père Noël qu’il préparait déjà avant-guerre avec Pierre Véry, il apporte une biographie romancée du compositeur Hector Berlioz, La Symphonie fantastique (1942). Il précise également différentes clauses pour s’assurer que ses œuvres ne seront pas dénaturées.

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L’Assassinat du Père Noël est défini comme « une énigme policière féerique » par la Continental. La distribution est prestigieuse, avec Harry Baur dans le rôle-titre, Renée Faure, Fernand Ledoux et Raymond Rouleau. Christian-Jaque tient à la présence de Robert Le Vigan dans un petit rôle et il contacte le comédien. Il lui offre un cachet de soixante-cinq mille francs pour une période de deux mois et demi à trois mois. 

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Si Greven a souhaité employer la crème des metteurs en scène, il se montre tout aussi exigeant vis-à-vis des techniciens. Le patron de la Continental convoque le chef opérateur Armand Thirard pour un engagement à l’année. Thirard est un des rares opérateurs de l’industrie française qui est représenté par un agent, en l’occurrence Jean Dewalde qui travaille également pour Louis Jouvet et Edwige Feuillère. C’est aussitôt après l’engagement de Marcel Carné qu’il est convoqué par Greven. Étant récemment démobilisé et sans travail, Thirard accepte de discuter avec la société. Mais il met ses conditions concernant ses émoluments ; il connaît sa valeur sur le marché. Il reconnaît que les discussions ont duré plusieurs mois. Pour sa défense, il dit que ses collègues opérateurs ont pu profiter du précédent de son contrat pour réclamer de bons salaires aux producteurs français. 

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Guy de Gastyne est recruté comme décorateur pour L’Assassinat du Père Noël. Il a travaillé sur le dernier film réalisé en France par Julien Duvivier, Untel père et fils (1940), aux studios de la Victorine à Nice, peu avant le départ du metteur en scène pour les États-Unis. On le convoque à la Continental- tout comme Thirard – et comme il est sans travail, il accepte un engagement pour un film : « Bon, on va accepter. On va voir. On va tâcher de faire quelque chose de bien malgré tout, pour montrer qu’on sait faire un film.» Armand Thirard et Guy de Gastyne ne savent pas à ce moment-là qu’ils vont devenir des piliers du style Continental. Thirard y apporte ses éclairages en clair-obscur et sa rapidité d’exécution, et de Gastyne son talent d’architecte-décorateur capable de recréer aussi bien le passé qu’une atmosphère contemporaine. [Continental Films, cinéma français sous contrôle allemand – Christine Leteux – Ed. La Tour Verte (2017)]


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Dans L’Assassinat du Père Noël, la poésie est très sollicitée. Il est miraculeux qu’elle ne s’en effarouche pas et qu’elle persiste à auréoler les images et à nimber les portraits. Il y a le bonhomme Cornusse qui, à l’intention des enfants, peint des mappemondes fragiles et invente des récits de voyages fabuleux ; il y a un jeune baron, riche et mélancolique, dont le gant noir qui dissimule sa main peut cacher une tache de lèpre ; il y a la mère Michel qui traîne sa silhouette élancée et appelle d’une voix lamentable le chat Mistou ; il y a Catherine Cornusse touchante petite couturière en robes de poupées, qui souffre du mal d’amour; il y a les enfants, volontiers émerveillés et qui, à force de jouer avec les objets, en découvrent les charmes et permettent aux anneaux miraculeux, aux enseignes de verre, aux figurines de la crèche, de participer à l’action, d’envoûter les acteurs. 

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Le film, en 1941, ouvrait une voie nouvelle à la comédie policière. Les coups de feu étaient escamotés, l’enquête des gendarmes se déroulait à la cantonade, le village bloqué par les neiges étant inaccessible. En un lieu forcément clos, les habitants essayaient de tirer eux-mêmes des conclusions, les enfants sensibles à toute une magie quotidienne découvraient les secrets. Tous les éléments ténus mais remarquables du film de mystère étaient rassemblés : le rêve effaçait l’horreur, une joliesse, un peu appuyée, enjolivait des péripéties sordides. Dosage délicat à l’équilibre incertain et qui était sans doute condamné à rester en l’état de tentative. La sûreté de main, mieux l’élégance, de Christian-Jaque sauva ce que l’interprétation d’Harry Baur, un peu appuyée, enjolivait des péripéties sordides. Dosage délicat à l’équilibre incertain et qui était sans doute condamné à rester en l’état de tentative. L’atmosphère glacée du village, les intérieurs de chaque famille, le presbytère, la salle de classe, l’église un soir de Noël, et la farandole à l’auberge, que Christian-Jaque poussa jusqu’au paroxysme, anéanti par le cri d’un enfant.

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L’occupation n’en était qu’à ses débuts. L’Assassinat du Père Noël est, chronologiquement, le premier film entrepris par la Continental. Christian-Jaque avait été tout de suite, et en même temps que Marcel Carné, Georges Lacombe Léo Joannon d’autres encore, sollicité de travailler pour le compte de l’Allemagne. D’accord avec ses collègues, il n’accepta son engagement, sur les conseils de Guy de Carmoy, chef des services du cinéma dans les territoires occupés, que sous certaines conditions : la participation ou la collaboration devaient entrainer la reprise totale de la production française ; la propagande serait absolument exclue des films entrepris ; les films exécutés ne pourraient apporter aucune aide économique à l’Allemagne (compte tenu des marchés neutres). Le travail soumis à des règles strictes (l’organisation berlinoise) reposait avant tout sur les vertus de rapidité et d’efficacité. Christian-Jaque, qui avait signé pour trois films avec la Continental, s’arrangea, en tournant les clauses du contrat, pour être quitte au deuxième. L’un et l’autre furent de grands succès, mais est-ce par bravade, ou involontairement que le dialoguiste Charles Spaak écrivit les dernières répliques de L’Assassinat du Père Noël ? L’hommage à un certain général peut tout de même paraitre prématuré, ou tout au moins, incompréhensible aux spectateurs du moment. 

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Cornusse (habillé en père Noël) apporte au petit Christian une énorme mappemonde Christian (émerveillé) : Où elle est la Chine ?
Cormusse : Ici…
Christian : Et les petits Chinois, ils ont aussi un père Noël ?
Cornusse : Un père Noël… un père Cornusse… ils ont tout ce qu’il faut pour être heureux…
Christian : Et aux petits Chinois, on leur parle de quoi ?
Cornusse : De la France… et des petits Français… et puis aussi d’une certaine princesse très belle qui dormait dans son petit fauteuil… Il y avait longtemps, bien longtemps qu’elle était endormie… On aurait pu croire qu’elle était morte… elle était vivante, bien vivante. Et dans son sommeil, elle faisait un rêve, un rêve merveilleux… toujours le même… elle rêvait du « prince charmant » qui devait un jour venir la réveiller… la réveiller pour lui apporter le bonheur. « 

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Ici, un panoramique final tournait autour de l’arbre de Noël dans la maison et découvrait les fenêtres du château où l’on voyait le baron embrasser Catherine. Et il était plus facile d’imaginer que Raymond Rouleau incarnait le Prince Charmant, plutôt qu’un général parlant au micro de Londres… Ainsi va l’histoire de la Continental. [Christian-Jaque – Travelling 47 – Raymond Chirat, Olivier Barrot – Cinémathèque suisse (1978)]


L’histoire

Dans un village de Savoie cerné par la neige, le baron Roland (Raymond Rouleau), après avoir couru le monde, revient à son château à la grande surprise de la gardienne, Marie Coquillot (Héléna Manson), qui élève seule ses trois garçons dont l’un, Christian, est infirme. Le baron cache sa main droite sous un gant. Le père Cornusse (Harry Baur), fabricant de mappemondes, se prépare, comme chaque année à jouer le rôle du père Noël. Sa fille Catherine (Renée Faure) coud des robes de poupées en rêvant au prince charmant. L’instituteur Léon Villard (Robert Le Vigan) la demande en vain, en mariage. Dans l’église, le curé, aidé du sacristain Kappel (Jean Parédès), prépare la crèche où doit être accroché le précieux anneau de saint Nicolas. Un inconnu les attaque et s’enfuit. Le garde champêtre (Georges Chamarat) alerte le maire et on décide de protéger la crèche le soir de Noël. Le bruit court que le baron Roland est lépreux (la main gantée). Catherine va au château et s’offre à être sa servante. Le baron, touché par la beauté de la jeune fille, l’invite au réveillon à l’auberge. Cornusse, déguisé en père Noël, commence sa tournée, boit beaucoup à chacune de ses visites et arrive au château en état d’ivresse. Catherine vient de revêtir une des robes de « princesse» sorties par le baron de ses armoires. Elle quitte le château par-derrière pour aller à la messe de minuit. Un homme habillé en père Noël, qu’on prend pour Cornusse se glisse dans l’église pendant la cérémonie et vole l’anneau de saint Nicolas. Catherine attend en vain le baron à l’auberge. On le retrouve ligoté dans la maison de Cornusse. Il avait pris son habit de père Noël pour le remplacer, mais il a été attaqué et dépouillé de cet habit dont s’est servi le voleur. Le cadavre d’un inconnu assassiné est découvert la neige. Une atmosphère de méfiance et de peur règne sur le village. Les gendarmes, bloqués par la neige, arrivent enfin. Le brigadier (Bernard Blier) arrêté le pharmacien Ricomet (Jean Brochard) en fuite. C’est le meurtrier de l’inconnu, son complice dans le vol à l’église. L’anneau avait été dissimulé dans la mappemonde-enseigne du père Cornusse, que les gamins du village viennent de casser. Remis de son ivresse, Cornusse reprend le costume du père Noël pour aller faire un beau cadeau à Christian Coquillot, désolé d’avoir été oublié. Il convainc l’enfant de se mettre à marcher. Au château, le baron déclare à Catherine qu’elle est la femme idéale qu’il avait en vain cherchée dans ses voyages.



HARRY BAUR : DE SHAKESPEARE À SIMENON
Entre 1930 et 1940, Harry Baur fut sans doute, avec Raimu, le plus grand acteur du cinéma français. Avant le parlant, on ne le vit guère au cinéma. Par contre, il fut très vite, après ses débuts chez Antoine, une grande vedette des scènes parisiennes, où nombreuses furent ses créations mémorables.


Les extraits

LE CINÉMA FRANÇAIS SOUS L’OCCUPATION
Dès 1940, les Allemands entendent contrôler l’industrie cinématographique de la France occupée, et, surtout, favoriser l’exploitation de leurs propres films. Le cinéma français connaîtra pourtant une exceptionnelle vitalité. En juin 1940, après les quelques semaines de combats qui suivirent ce que l’on a appelé « la drôle de guerre », les Allemands occupent Paris, Le gouvernement du maréchal Pétain s’installe à Vichy, au sud de la Loire, et la France, coupée en deux, peut apparaître désormais comme un élément de l’ »Europe nouvelle » en cours d’édification…

1940-1945 : L’ESSOR SURPRENANT DU CINÉMA FRANÇAIS
Sous l’Occupation, le cinéma français, qui connait un surprenant essor, recueille quelques-uns de ses plus grands triomphes, et voit apparaitre une nouvelle génération d’auteurs de talent.

LES RISQUES DE L’OCCUPATION
En continuant à tourner dans la France occupée, les cinéastes s’exposaient à des risques divers : encourir les foudres de la censure national-socialiste, ou au contraire se voir accusés de « collaboration ».


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