Le Film étranger

IT HAPPENED ONE NIGHT (New York-Miami) – Frank Capra (1934)

Pour Capra, It Happened one night (New York-Miami) fut le film de la consécration. Rien au départ ne laissa pourtant jamais présager que ce « film d’autocar » (sous-genre peu réputé, car MGM et Universal venaient d’en sortir chacune deux sans succès), interprété par un Clark Gable puni par son studio d’origine et une Claudette Colbert non motivée, allait se voir décerner les cinq Oscars les plus prestigieux et faire de son réalisateur une vedette de la mise en scène. [Frank Capra – Michel Cieutat – Ed. Payot & Rivages / Cinéma (1994)]

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IT HAPPENED ONE NIGHT (Frank Capra, 1934)

C’est chez le coiffeur que Frank Capra découvrit la nouvelle « Night Bus » de Samuel Hopkins Adams. Voyant en elle le parfait sujet d’un prochain film, il tenta alors – en vain – d’y intéresser les principales actrices qu’il envisageait pour le rôle d’Ellie. Robert Montgomery, pour qui le scénario avait été écrit, déclina le personnage de Peter. Capra était alors prêt à abandonner le projet mais Louis B. Mayer téléphona à Harry Cohn, le patron de la Columbia pour qui Capra devait faire le film, en lui proposant Clark Gable. Mayer tenait en effet à punir Clark Gable qui venait de refuser plusieurs scénarios en l’exilant pour quelques semaines à la Columbia, une firme qui n’avait pas le prestige de la MGM. Clark Gable, sous contrat, fut obligé d’accepter et obtint grâce au film l’Oscar de la meilleure interprétation masculine de l’année… [La comédie américaine – Patrick Brion – Edition de la La Martinière (1998)]


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IT HAPPENED ONE NIGHT (Frank Capra, 1934)

Il faut se référer à Capra lui-même qui a tout raconté dans son autobiographie « The Name Above the Title » (parue en France sous le titre « Hollywood Story »). On peut y lire qu’Irving Thalberg demanda à la Columbia de prêter Capra à la MGM pour tourner le film mais que, Thalberg étant tombé malade, Louis B. Mayer refusa et le projet et la mise à l’essai du metteur en scène. C’est ainsi que Capra, finalement bien content de rester à la Columbia, demanda l’autorisation de tourner « Night Bus ». Le premier obstacle vint du titre : plusieurs films sur les bus avaient déjà été tournés, sans résultats satisfaisants au box-office. On changea donc le titre en It Happened one night.

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IT HAPPENED ONE NIGHT (Frank Capra, 1934)

Pour que l’intrigue fut adaptable à l’écran, il fallut récrire entièrement le sujet original afin d’approfondir les personnages principaux pour leur donner plus de poids. Cependant, même après ces remaniements, It Happened one night continuait à susciter des réticences. C’est grâce à l’intérêt que Harry Cohn portait au sujet que Capra put enfin se mettre au travail. A qui confier les rôles de Peter Warne et d’Ellie Andrews, les inoubliables protagonistes de l’histoire ? Côté femmes Myrna Loy, Margaret Sullavan, Miriam Hopkins et Constance Bennett firent savoir qu’elles n’étaient pas disponibles. La MGM, par suite d’un contrat concernant Capra, « devait » encore une star à la Columbia : Robert Montgomery ne voulut pas en entendre parler mais Clark Gable, en disgrâce auprès de Louis B. Mayer, fut envoyé à la Columbia en dépit de ses protestations. Il restait un problème : Ellie, problème qui fut résolu grâce à l’accord de Claudette Colbert, qui trouvait malgré tout assez peu plaisante l’idée de faire ce qu’elle appelait « un autre film d’autobus ». Pour la convaincre, il fallut doubler son salaire.

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IT HAPPENED ONE NIGHT (Frank Capra, 1934)

Toutefois personne ne s’illusionnait beaucoup sur les chances du film ; lors de la première de février 1934, la critique l’accueillit avec une certaine froideur, mais par contre le public lui réserva un véritable triomphe. L’année suivante It Happened one night obtint cinq Oscars : celui du meilleur film, de la meilleure adaptation cinématographique, de la meilleure mise en scène, du meilleur acteur et de la meilleure actrice. Claudette Colbert pouvait ainsi se féliciter d’avoir pris le risque de jouer dans « un autre film d’autobus ».

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IT HAPPENED ONE NIGHT (Frank Capra, 1934)

Ce film qui allait devenir un classique, fut le prototype de la comédie américaine des années 1930 : sans It Happened one night, il est presque évident que Mr. Deeds Goes to Town (L’Extravagant M. Deeds, 1936), pour prendre ce seul exemple, n’aurait jamais vu le jour. On peut aussi ajouter que It Happened one night tira sans doute des difficultés du tournage la vitalité, la justesse de ton et le brio qui firent son succès. Sur le plateau, pendant les premiers jours de tournage, le climat n’était pas très bon : Gable et Colbert semblaient se détester, et ce fut une chance pour le film : les scènes de dispute ont été ainsi réalisées dans un climat « favorable ».

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IT HAPPENED ONE NIGHT (Frank Capra, 1934)

Le film illustre l’affrontement brillant de deux fortes personnalités qui luttent moins pour se dominer l’une l’autre (ce n’était pas encore la guerre des sexes), que pour se prouver qu’ils sont capables de se débrouiller seuls face aux difficultés de la vie quotidienne. Le reporter part avec une longueur d’avance sur l’héritière, puisque celle-ci lui avoue ne s’être jamais trouvée seule avec un homme. Peter en profite pour faire étalage de son expérience de vieux bourlingueur. Otant sa chemise, il déclare d’un ton péremptoire : « Voilà comment un homme se déshabille ! » Au petit déjeuner, il lui fait tout un cours sur la façon de « tremper » sa brioche, mais il se trompe lorsqu’il prétend lui apprendre à faire de l’auto-stop : il glorifie la puissance et l’éloquence de son pouce mais les automobilistes, indifférents, passent à toute allure. C’est alors qu’Ellie, sous le regard étonné de Peter, se place au bord de la route, soulève sa jupe, fait semblant d’ajuster sa jarretelle. Le résultat ne se fait pas attendre…

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IT HAPPENED ONE NIGHT (Frank Capra, 1934)

La qualité du film est rehaussée par la complicité, faite d’ironie et de sympathie, qui unit les deux adversaires, le brillant reporter et la petite fille gâtée (c’est ainsi qu’il l’appelle). Par la justesse de l’approche psychologique, et sur ce plan, Capra est bien l’égal d’un Lubitsch ou d’un Cukor, le metteur en scène fait de l’histoire plus qu’une bluette : une analyse des rapports humains qui ne tombe jamais dans le sentimentalisme. En outre, il n’y a pas de moments superflus dans It Happened one night ; le plus petit événement, la moindre phrase ou le moindre geste sont parfaitement insérés dans la continuité narrative. Le film tire tout son impact de cette vivacité et de cette spontanéité, et l’ironie constante qui le nimbe en fait une des meilleures réalisations de Capra.

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IT HAPPENED ONE NIGHT (Frank Capra, 1934)

Preuve fut faite, enfin, qu’un acteur en disgrâce pouvait influencer les habitudes d’une nation entière. En effet, si l’on en croit les informations que donnèrent par la suite plusieurs magasins américains, la scène où il enlève sa chemise et montre qu’il ne porte pas de maillot de corps provoqua une grave crise dans ce secteur particulier de l’habillement masculin.

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IT HAPPENED ONE NIGHT (Frank Capra, 1934)

Alors que les films suivants de Capra témoigneront d’une volonté de message social et politique, It Happened one night demeure au contraire une pure comédie. Le milliardaire joué par Walter Connolly y est un brave homme plus lucide que sa fille, préférant Peter Warne à l’arriviste King Westley. On est loin des affairistes campés par Edward Arnold et autres dans les prochains films de Capra. Il en est de même en ce qui concerne le rôle joué par la presse. Celle-ci se contente de relater et de relayer les faits, sans tenter d’influer sur les goûts du public. C’est une presse libre et honnête qui fait scrupuleusement son métier sans courir après les scoops, ni déformer la vérité. Il n’en sera pas toujours ainsi dans les futurs films de Capra.

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IT HAPPENED ONE NIGHT (Frank Capra, 1934)

Le film joue enfin très franchement sur le thème de la sexualité. Ellie a épousé King Westley mais semble – sans doute – ne pas avoir consommé le mariage en question, son père l’ayant enlevée à temps. Les différents épisodes des « murailles de Jéricho » – une couverture tendue au milieu de la chambre pour séparer le lit de Peter de celui d’Ellie – sont autant de manières de se moquer avec ironie du code de production. Capra n’en montre pas moins la poitrine de Clark Gable et Ellie en combinaison. Lorsqu’il s’agit de faire de l’auto-stop – c’est la scène la plus célèbre du film -le galbe de la jambe d’Ellie l’emporte facilement sur le pouce impératif de Peter.

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IT HAPPENED ONE NIGHT (Frank Capra, 1934)

Et, à la fin, le son de la trompette aidant, les « murailles de Jéricho s’écroulent symboliquement, plus rien ne séparant désormais Ellie de Peter. On sait que le fait que Clark Gable apparaisse torse nu sans maillot de corps provoqua une brusque baisse de la vente de ceux-ci… Rappelons aussi que – selon Bob Clampett – manière dont Clark Gable mange une carotte aurait directement influencé la création du personnage de Bugs Bunny ! [La comédie américaine – Patrick Brion – Edition de la La Martinière (1998)]


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IT HAPPENED ONE NIGHT (Frank Capra, 1934)

L’équilibre du rythme est mis en valeur par le souci constant de réalisme dont fait preuve Capra : dans son refus d’utiliser la musique là où le commun des mortels de Hollywood l’eût employée (lorsque Colbert confesse son amour à Gable), dans la simplicité fonctionnelle des mouvements d’appareil, dans son découpage (perfection des raccords dans l’axe rendue possible, là encore, par l’emploi de deux caméras), dans I’évidente liberté d’action laissée à ses interprètes et dans l’improvisation autour de certains détails (comme dans la scène de la traversée de la rivière ajoutée par Capra pour profiter d’un reflet du soleil sur l’eau ou dans celle de l’auto-stop écrite la veille de son tournage). Ce naturel est permanent (voir aussi la qualité des acteurs de second plan), mais non systématique, évitant au film toute monotonie. Ainsi, de temps en temps, Capra demande-t-il à son directeur de la photographie Joseph Walker un plan très travaillé comme ce magnifique gros plan de Claudette Colbert en train de se dévêtir à contre-jour, près de la fenêtre du motel, une faible lumière n’éclairant que ses yeux. Capra et Walker soulignent de la sorte la gêne puritaine mais aussi la pureté fondamentale du personnage prisonnier d’une situation fortement érotique. It Happened one night est un véritable tour de force compte tenu de sa durée et de son très mince sujet. Avec ce film Capra prouvait à son tour au monde entier que le cinéma peut n’être qu’une simple affaire de style. [Frank Capra – Michel Cieutat – Ed. Payot & Rivages / Cinéma (1994)]


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IT HAPPENED ONE NIGHT (Frank Capra, 1934)
L’histoire :

Ellie Andrews (Claudette Colbert), fille du milliardaire Alexander Andrews (Walter Connolly), épouse civilement, sans le consentement de son père, King Westley (Jameson Thomas), un play-boy aviateur. Alexander Andrews juge que ce dernier n’est qu’un coureur de dot et il fait enlever Ellie. Celle-ci parvint à lui échapper. Elle rencontre dans un car le journaliste Peter Warne (Clark Gable) qui a été renvoyé par son patron. Peter aide Ellie dont la valise a été volée. Il découvre bientôt l’identité de la jeune femme et décide de profiter de ce qui va être pour lui un véritable scoop. Il la débarrasse de Shapeley (Roscoe Karns), un des passagers qui l’importunait. Ellie et Peter partagent une chambre dans un camping, la pièce étant séparée en deux par une couverture, devenue « les murailles de Jéricho ». Alexander Andrews offre dix mille dollars pour des informations permettant de retrouver sa fille. La presse publiant la photo d’Ellie, cette dernière et Peter sont obligés de continuer leur trajet à pied, la jeune héritière ayant été identifiée par Shapeley. Ellie et Peter dorment à la belle étoile puis font de l’auto-stop. Andrews finit par accepter l’union de sa fille avec Westley espérant ainsi la revoir. Celle-ci avoue à Peter qu’elle aime. Peter la quitte, endormie, pour tenter d’arracher de l’argent à son rédacteur en chef et épouser celle qu’il aime. Ellie croit alors que Peter l’a abandonnée et elle contacte son père qui vient la rechercher. Elle croit – à tort – que Peter a cherché à obtenir de son père le montant de la récompense. Andrews comprend au contraire que Peter est un type bien et c’est avec le plus grand plaisir qu’il voit Ellie refuser in extremis d’épouser Westley. Ellie rejoint Peter et les « murailles de Jéricho » peuvent – enfin – s’écrouler.

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IT HAPPENED ONE NIGHT (Frank Capra, 1934)
Les extraits

FRANK CAPRA
Frank Capra fut le cinéaste de l’ère rooseveltienne. Ses films utopiques et optimistes participèrent à l’effort de l’Amérique pour sortir » de la crise. Alors que d’autres réalisateurs œuvraient sur des sujets légers et brillants, Capra fut l’auteur d’œuvres basées sur une réalité vécue ou espérée par le public. Ce furent les films de l’idéalisme rooseveltien.




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