Le Film français

LES VACANCES DE MONSIEUR HULOT – Jacques Tati (1953)

Dans l’esprit de Jacques Tati, le facteur a fait son temps. Il pense déjà à un autre personnage, qui pourra se prêter à un plus grand nombre de situations. C’est un garçon coiffeur du 16e dragons qui a inspiré celui que nous ne connaîtrons jamais que sous son patronyme : M. Hulot. Hulot. C’est d’abord la silhouette de Jacques Tati. une silhouette sur laquelle on se retourne, tant elle prête à sourire : vêtu d’un imperméable, d’un pantalon trop court (un rien zazou) qui laisse voir des chaussettes rayées, une éternelle pipe au bec et un drôle de chapeau sur la tête, il a une démarche bien à lui. Son jeu de jambes est inénarrable : Hulot avance tantôt de manière décidée, à grandes enjambées, tantôt à pas hésitants, il se retourne, recule et change de direction. Autant François le facteur était droit comme un I, autant Hulot est le plus souvent penché, tour à tour curieux et courtois envers ce monde qu’il domine de sa haute taille. Mais le plus remarquable, chez Hulot, c’est son don pour provoquer des catastrophes alors même qu’il a les meilleures intentions. Dès les premières images, le style du personnage est donné. Au vélo Peugeot modèle 1911 du facteur a succédé une Amilcar 1914 pétaradante : ce léger progrès dans l’anachronique est le signe d’une inadaptation fertile en mésaventures.

LES VACANCES DE MONSIEUR HULOT – Jacques Tati (1953)

La petite plage de Bretagne (Saint-Marc-sur-Mer, près de Saint-Nazaire), son hôtel tranquille ses pensionnaires figés dans leur douillet ennui vont connaître quelques journées mouvementées. Hulot, tout souplesse et maladresse, ne laissera pas indifférent le petit monde des habitués. Dans Les Vacances de M. Hulot (1953), les impressions sportives deviennent impressions balnéaires, un univers. familier à chacun où la pêche, le tennis, le ping-pong et le bateau sont des activités de prédilection. Dès lors, les objets qui se trouvent au centre de toutes ces distractions, à commencer par cette voiture à laquelle Tati a donné une véritable personnalité, volent la vedette à Hulot. Tel est le désir de Tati : Hulot n’est pas un héros mais un personnage comme les autres, peut-être même moins affirmé que d’autres. Nous ne saurons rien de M. Hulot, nous ne pénétrerons pas dans l’intimité de sa chambre, nous n’assisterons pas à une intrigue avec la charmante Martine (Nathalie Pascaud), qui habite la villa voisine et qu’il enlacera avec autorité à la faveur d’un bal costumé. Aucun gros plan ne nous fera mieux connaître sa physionomie.

LES VACANCES DE MONSIEUR HULOT – Jacques Tati (1953)

André Bazin, dans un article pour la revue Esprit – qui saluait Les Vacances de M. Hulot comme « l’œuvre comique la plus importante du cinéma mondial depuis les Marx Brothers et W.C. Fields » -, a su d’emblée définir cet étrange personnage : « Le propre de M. Hulot semble être de n’oser pas exister tout à fait. Il est une velléité ambulante, une discrétion d’être. Il élève la timidité à la hauteur d’un principe ontologique ! »

LES VACANCES DE MONSIEUR HULOT – Jacques Tati (1953)

On peut être tenté de rapprocher Tati de Chaplin. Cinéastes complets l’un et l’autre, ils ont créé un personnage qui, divergeant par la taille, présente quelques similitudes. Mais si, tout comme Charlot, Hulot est un solitaire, un marginal, il n’aspire pas, contrairement a lui, à s’insérer dans la société. Cependant, loin de montrer l’agressivité de Charlot, Hulot recherche la sympathie de son entourage et se montre fort serviable à l’occasion Hulot, qui « subit » à la manière de Buster Keaton, est la première victime de ses gags involontaires. Dans un entretien accordé à André Bazin et à François Truffaut pour Les cahiers du cinéma, Tati précisera : « Le spectateur a un petit effort à faire, je crois, pour entrer dans le comique qui est créé par Hulot. S’il attend une trouvaille d’Hulot, il est forcément déçu. Il se dit : « Pourquoi ce personnage n’invente pas, ne se défend pas ? » Et c’est cette défense qui le fait rire. Dans la construction comique de Chaplin, vous avez une part de resquille, ce qui amuse énormément les spectateurs parce que, dans la resquille, il y a une invention. » Les gags de Tati procèdent directement de l’observation des choses, auxquelles il se refuse à ajouter l’artifice de la chute. comme dans les gags burlesques traditionnels. De même le cinéaste n’épuise-t-il pas les situations et, là où il pourrait se lancer dans une belle course-poursuite. il préfère l’ébauche d’une suite, la vérité en suspens d’un personnage, laissant le soin au spectateur de faire vagabonder son imagination. Jacques Tati sera toujours ainsi désireux de faire du public un complice.

LES VACANCES DE MONSIEUR HULOT – Jacques Tati (1953)

Ce qui distingue encore Tati de Chaplin, c’est l’usage que ces deux grands artistes du muet font des sons. Le dialogue a fini par l’emporter dans les films parlants de Chaplin. Chez Tati, le dialogue est à la mesure de son personnage. François le facteur n’avait pas la parole aisée, Hulot est peu disert – une pipe lui occupe la bouche. Distrait, en perpétuel déplacement, il n’appartient à aucune des conversations qui se forment. Mais que perçoit-il au juste, et nous avec lui ?

LES VACANCES DE MONSIEUR HULOT – Jacques Tati (1953)

Barthélemy Amengual a analysé dans son article « L’étrange comique de M. Tati » toute la richesse sonore du film, qui n’est nullement un simple bruitage ou une suite de borborygmes ainsi que certains ont cru l’entendre : « Non seulement ce qui s’y dit est parfaitement élaboré (.. ) mais ces dialogues, ces monologues, ces bruits et ces musiques, leur inscription dans l’espace, y sont restitués avec une qualité et une vérité acoustique remarquables. L’anomalie commence quand ce monde verbal et sonore cesse de coïncider avec le monde humain auquel ordinairement il est lié comme à son support. Cette « torsion » de l’univers des sons et de la parole favorise un décalage par où l’insolite s’introduit. Mais ce décalage n’est pas lui-même irréaliste. Il est au contraire l’aboutissement d’un réalisme excessif. » Tati dira de son côté : « J’ai donné plus d’importance sonore aux vagues de la plage qui se trouvent au second plan qu’à un petit effet sans importance qui est au premier plan. Parce qu’à ce moment-là ce que l’on a visuellement et auditivement, c’est bien la mer. C’est la vedette ! »

LES VACANCES DE MONSIEUR HULOT – Jacques Tati (1953)

Couronné par plusieurs prix français et étrangers, Les Vacances de M. Hulot inspireront quelques pèlerinages touristiques. Les Anglais, surtout, demanderont à réserver la chambre sous les toits où, lucarne ouverte, se profilait la tête de Hulot, dont Marc Dondey a écrit très joliment qu’il n’habitait pas l’Hôtel de la Plage, mais le traversait.

LES VACANCES DE MONSIEUR HULOT – Jacques Tati (1953)
« Hulot, avec nous ! »

la profonde bonté et l’exquise courtoisie de M. Hulot ne sont jamais prises en défaut. Surtout pas pendant les vacances. la politesse du personnage le conduit plus sûrement qu’une boussole ou un emploi du temps. Elle le guide vers l’illumination comique en l’isolant toujours de la trivialité. Aux snobs et aux conformistes, Hulot envoie le même salut amical, ne manque jamais de tenir une porte ou de rendre quelque service. En échange, il revendique certaines libertés : celle, par exemple, d’écouter comme il l’entend un disque de jazz avec son tonitruant solo de batterie. Le refus, par les occupants de l’hôtel de la Plage, de lui accorder ce simple plaisir, pourtant goûté dans une parfaite immobilité, pose la grande question de son appartenance à la communauté.

LES VACANCES DE MONSIEUR HULOT – Jacques Tati (1953)

Jean Louis Schefer résumait bien ce sentiment quand il écrivait que « le gag de Tati n’est jamais venu de l’idée de savoir comment faire du cinéma drôle, mais comment vivre ensemble » . Les Vacances de M. Hulot représente sans doute, au sein de l’œuvre du cinéaste, le moment d’équilibre – et donc guetté par l’instabilité – entre les tournées du père François, encore ancrées dans une ruralité de bon aloi, et les plus acides missions dans le nouveau territoire aménagé de la modernité française. Mais pour les voisins de Hulot comme pour les spectateurs, le temps des vacances n’est pas de tout repos.

LES VACANCES DE MONSIEUR HULOT – Jacques Tati (1953)

L’équilibre du personnage tient à la fois du miracle et de sa volonté propre. Si Hulot est ainsi penché en avant, c’est qu’il risque toujours de partir en arrière. La preuve en est donnée lorsqu’il se redresse : incapable de rester droit, Hulot se soutient fermement, les mains posées sur les hanches, doigts dans le dos – c’est l’une de ses grandes postures, qu’il adopte lorsque la situation exige l’examen ou la circonspection. La gentillesse de Hulot est le meilleur ennemi de cet équilibre précaire. lorsqu’il porte les bagages des arrivants, le moindre faux pas l’entraîne hors de la villa et il doit faire le tour du quartier, pour ainsi dire guidé par des valises mobiles.

LES VACANCES DE MONSIEUR HULOT – Jacques Tati (1953)

Sa galanterie même est cause d’exclusion. Quand Hulot endosse le sac pesant d’une jeune campeuse et qu’il grimpe à sa suite au refuge, il est accueilli par les vivats de la petite troupe : « Avec nous ! Avec nous ! ». Mais, partageant le verre de l’amitié avec ces joyeux drilles curieusement assortis (l’un porte un foulard en turban, l’autre un chapeau tyrolien), Hulot se l’envoie d’un coup trop sec et, poids du sac aidant, refranchit illico le seuil de convivialité, puis dévale la pente à reculons. Tenace, il a remonte et se joint aux libations nocturnes des campeurs : il est – pour cette nuit-là – des leurs, et son retour bruyant à l’hôtel ne fera que réveiller la réprobation de la communauté vacancière, aux yeux bouffis de qui ce fêtard de Hulot est à ranger parmi les trublions. Définitivement ?

LES VACANCES DE MONSIEUR HULOT – Jacques Tati (1953)

Vers la fin du séjour (et du film), les clients de l’hôtel se laissent attirer par la musique provenant d’une salle de bal dont Hulot, bandeau de pirate et blonde au bras, est au début l’unique danseur. Son culot rythmique, cette fois, les intéresse. Modeste revanche, atténuée par le caractère officiel de la fête. Au moment du départ, seuls deux estivants exprimeront d’ailleurs à Hulot un signe de connivence : l’Anglaise à lunettes qui s’extasiait sur son service du haut de la chaise d’arbitre, et le petit retraité toujours marchant à l’ombre d’une épouse imposante à la Dubout. Quant aux campeurs, adeptes éphémères d’un hulotisme tendance Bacchus (« Avec nous! Avec nous ! »), on ne les a plus revus. De toute façon, le brave et laconique M. Hulot – c’est là son seul trait commun avec l’ironique et bavard Groucho – ne tient sûrement pas à faire partie d’un club qui l’accepterait pour membre. Ce sera vrai à la ville comme à la plage. [Marc Cerisuelo et François Gorin – Tati – Quoi de neuf M. Hulot – Télarama (2002)]

Les extraits

JACQUES TATI
Doté d’un physique et d’un talent de mime exceptionnels, Tati s’est imposé comme un des plus grands comiques de l’histoire du cinéma. Il a su rendre, grâce à un don d’observation remarquable, la poésie mélancolique des personnages timides agressés par le monde moderne.

JOUR DE FÊTE – Jacques Tati (1949)
Des forains s’installent dans un calme village. Parmi les attractions se trouve un cinéma ambulant où le facteur découvre un film documentaire sur ses collègues américains. Il décide alors de se lancer dans une tournée à « l’américaine »…


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