Des forains s’installent dans un calme village. Parmi les attractions se trouve un cinéma ambulant où le facteur découvre un film documentaire sur ses collègues américains. Il décide alors de se lancer dans une tournée à « l’américaine »…

Un critique cinématographique menaça de défier en duel quiconque déclarerait préférer Jour de fête aux Vacances de M. Hulot (1952). Mais cette prise de position excessive ne connut pas de suite d’autant que Jour de fête, premier long métrage de Jacques Tati, est unanimement considéré comme son chef-d’œuvre. A la différence d’autres films du même réalisateur, Jour de fête ne présente pas une structure à épisodes, mais respecte les unités classiques de temps et de lieu. Le lieu, c’est la petite bourgade de Sainte-Sévère-sur-Indre, en Touraine ; le temps, c’est le jour où se déroule la fête annuelle du bourg, c’est-à-dire le jour le plus important pour la petite communauté. Le film commence par l’arrivée des chevaux de bois sur les remorques des roulottes et prend fin avec leur départ. Une petite vieille, bossue et propriétaire d’une chèvre dont elle ne se sépare jamais, présente au spectateur les personnages principaux et commente leurs actions, faisant ainsi office de chœur.

Tati n’a jamais caché son admiration pour le film de Jean Renoir, Une partie de campagne (1936), et Jour de fête, sans être un hommage déclaré au grand cinéaste, renvoie, d’une certaine manière, au monde poétique et sensuel de l’œuvre de Renoir. En 1949, tourner un film entièrement en extérieurs était encore relativement insolite, mais Tati parvint admirablement à rendre la tranquille beauté du paysage campagnard, la grande chaleur de l’été, et la grâce un peu rude des paysans. Le son fut enregistré au magnétophone, technique alors encore peu employée ; le dialogue, réduit au minimum et la plupart du temps inaudible, se superposait aux bruits de fond. Cela ressemblait fort à un reportage télévisé. Pourtant ce défaut technique tourna à l’avantage du film : à une époque où le cinéma comique usait et abusait des mots d’auteurs, Jour de fête renouait avec la grande tradition des gags visuels.

Tati a disposé pour ce film de moyens très modestes. L’équipe de comédiens et de techniciens s’est parfaitement intégrée durant le tournage à la vie des habitants, qui participent pour une large part à la distribution. Quelques caractères ainsi pris sur le vif, rehaussés de sons d’ambiance enregistrés au magnétophone, confèrent fraîcheur et authenticité au film. On a pu évoquer le cinéma-vérité de Farrebique de Georges Rouquier (1946), mais l’énorme succès que remporte Jour de fête après quelques problèmes de distribution traduit surtout les aspirations du public de la Libération, qui a besoin de divertissement. Le cinéaste vient combler le vide laissé par Max Linder, disparu en 1925. Aux mots d’auteur qui ont envahi le comique depuis l’avènement du parlant, Jacques Tati préfère les effets visuels, dans la plus pure tradition du burlesque américain – le gag de l’homme qui louche rend ainsi hommage à Ben Turpin.

Deux négatifs du film furent tournés, l’un en noir et blanc, l’autre en couleurs, ce dernier étant obtenu par la méthode expérimentale Thomson-Color. Des difficultés techniques empêchèrent la sortie du film en couleurs ; Jour de fête a donc été diffusé en noir et blanc jusqu’en 1995, comme aussi Les Vacances de M. Hulot. D’ailleurs Tati, qui a tourné ses autres œuvres en couleurs, n’est jamais parvenu à des résultats satisfaisants dans ce domaine.

Le réalisateur commença sa carrière comme mime de la revue que le Racing-Club de France – Tati appartenait à la section rugby et jouait en première division – mettait en scène chaque année. Les sportifs furent donc les sujets de ses premières imitations. Le succès fut tel que Tati fit bien vite ses débuts au music-hall et ne tarda pas à acquérir une réputation internationale ; pendant longtemps, Tati se contenta d’apparaître dans des courts métrages. En 1936, René Clément le dirigea dans Soigne ton gauche, un court métrage dans lequel on trouve déjà certains thèmes qui réapparaîtront dans Jour de fête. La carrière de Tati fut brutalement interrompue en 1939. Rappelé sous les drapeaux, il se réfugia à Sainte-Sévère après la défaite, et ce fut là qu’il eut l’idée de faire un film qui aurait dû s’appeler Mon Village ou Fête au village. Après la fin de la guerre, Tati fit patiemment « ses classes » dans le monde du cinéma. En 1947, Tati aurait dû tourner avec René Clément L’École des facteurs mais Clément étant pris ailleurs, la réalisation de ce court métrage fut confiée à Tati, qui put ainsi faire ses premières armes.

Mais il n’était pas facile d’être reconnu en tant que réalisateur. L’École des facteurs fut très mal distribué, et c’est ainsi que Tati décida de le transformer en long métrage en faisant participer toute la population de Sainte-Sévère. Le film fut terminé au bout de trois mois, mais les distributeurs l’ignorèrent. Si Tati et son producteur n’avaient pas eu l’idée de le présenter en avant-première dans une salle de Neuilly, où il eut un succès phénoménal, nous n’aurions probablement plus jamais entendu parler de François le facteur, ni même de M. Hulot. Pendant cinq ou six ans, Jour de fête vit sa popularité se maintenir, succès qui ne fit que croître après celui des Vacances de M. Hulot. La vague ressemblance existant entre la silhouette maigre et longiligne de François le facteur, accentuée par sa casquette, et celle du général de Gaulle, ne fut pas, non plus, étrangère au succès du film.

Jour de fête existe dans trois versions différentes : la version originale de 1949 ; la version de 1964 avec quelques plans nouveaux (présence d’un peintre dans le village), quelques plans coloriés au pochoir, une bande son réenregistrée et plus dynamique, la version en couleurs Thomsoncolor, restaurée de 1995 avec un montage de Sophie Tatisheff. Cette version utilise la bande sonore de 1964 dont les bandes magnétiques étaient disponibles. Certains plans n’ayant pas été tournés en couleurs, ils ont été colorisés de façon à respecter l’uniformité de l’ensemble. [La grande histoire illustrée du 7ème art – Editions Atlas (1983)]

L’histoire
Chaque année, le 3 juillet à 9 h 30, la foire commence à Sainte-Sévère. On installe le manège et les forains, observés par la plus vieille femme du village et par sa chèvre, montent les baraques autour de la place. François, le facteur du village, interrompt sa tournée et dirige la manœuvre pour soulever le mât sur lequel sera hissé le drapeau. Encouragé par ses amis, il s’arrête pour boire plusieurs petits verres de vin. Pendant ce temps, on projette sur le rideau du cinéma ambulant un documentaire qui présente ainsi le service postal américain : « Ni la neige, ni la pluie ou la chaleur, ni les ténèbres, rien n’empêche ces messagers d’accomplir leurs tâches rapidement. » Perpétuel sujet de plaisanteries, François finit par s’en aller. Il fait plus tard une rencontre désagréable avec une barrière, qui lui interdit de remonter sur sa bicyclette ; finalement, il s’endort dans un wagon. A l’aube, les moqueries reprennent et les forains lui font faire des exercices d’acrobatie sur son vélo. Décidé à montrer que le service postal français n’a rien à envier au service américain, François s’apprête à faire une tournée animée. S’arrêtant pour un rien, il pique les lettres sur les dents des fourches ou les jette dans les batteuses, et fait son travail de bureau dans la benne basculante d’un camion qui roule à toute vitesse. Pédalant comme un forcené, il dépasse même une course cycliste ; enfin, au paroxysme de la frénésie, il tombe dans une rivière. Il est repêché par la vieille à la chèvre, qui lui fait comprendre qu’il y a des choses plus urgentes que la poste. François retire sa veste et va rejoindre les moissonneurs. Chaque année, le 4 juillet, à 9 h 30, les forains quittent Sainte-Sévère…





Les extraits

JACQUES TATI
Doté d’un physique et d’un talent de mime exceptionnels, Tati s’est imposé comme un des plus grands comiques de l’histoire du cinéma. Il a su rendre, grâce à un don d’observation remarquable, la poésie mélancolique des personnages timides agressés par le monde moderne.


LES VACANCES DE MONSIEUR HULOT – Jacques Tati (1953)
Pour son deuxième long métrage, après Jour de fête, Jacques Tati dépêche un hurluberlu à la plage, où se côtoient sans se mêler les Français des congés payés de l’après-guerre. Mais ce Hulot que tout singularise (vêtements, posture, manières polies) est le seul à réellement désirer cette vacance. Le comique naît de ce que son engouement est en contradiction avec les choses ou les gens qui l’entourent. Ses moments de plaisir heurtent les clients de l’hôtel. Ses grands élans de courtoisie provoquent de petites catastrophes.

LE CINÉMA FRANÇAIS DE L’APRÈS-GUERRE
Tout de suite après la guerre, le cinéma français sembla revenir à ses thèmes traditionnels. Mais de nouveaux auteurs et de nouveaux ferments laissaient déjà présager le changement décisif qui allait intervenir.
- I DIED A THOUSAND TIMES (La Peur au ventre) – Stuart Heisler (1955)
- BARBARA STANWYCK
- ALL ABOUT EVE (Ève) – Joseph L. Mankiewicz (1950)
- [AUTOUR DE « L’IMPOSTEUR »] HOLLYWOOD S’EN VA-T-EN GUERRE
- JEAN GABIN : LE MAL DU PAYS
Catégories :Le Film français
Une merveille. De cinéma, de jeu, d’humanité.
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Le plus beau cinema de Tati,et un des meilleures de tous les temps
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