Les Réalisateurs

JACQUES TATI

Doté d’un physique et d’un talent de mime exceptionnels, Tati s’est imposé comme un des plus grands comiques de l’histoire du cinéma. Il a su rendre, grâce à un don d’observation remarquable, la poésie mélancolique des personnages timides agressés par le monde moderne.

Jacques Tati – Tournage de Playtime en 1966

Jacques Tatischeff, devenu Jacques Tati à l’écran, est né en France (au Pecq) le 9 octobre 1908. Son père, d’origine russe, tenait un atelier d’encadreurs et se faisait aider par le jeune Jacques, qui passait son temps libre à jouer au rugby, son sport préféré. Ce fut justement en imitant ses camarades de jeu que Tati découvrit son talent comique. Ses pantomimes – dans lesquelles il était à la fois l’arbitre, les deux équipes et le public – étaient si réussies que Tati décida d’abandonner le rugby pour tenter sa chance au music-hall. A vingt ans tout juste, il s’était déjà acquis une certaine réputation dans le genre. Avant la guerre, ses spectacles étaient très suivis à Paris. Il travailla aussi avec Edith Piaf et trouva une admiratrice passionnée en la personne de Colette. Il parvint même à monter des spectacles à l’étranger.

JACQUES TATI (1938)
Le génie de la pantomime à l’écran

Jacques Tati aborda le cinéma en réalisant un court métrage sur un de ses sketches les plus fameux : celui du tennisman. Ce numéro sera repris plus tard dans Les Vacances de M Hulot (1953). Écrit, réalisé et interprété par Tati, Oscar, champion de tennis (1932) était, techniquement du moins, assez raté mais il fournit à Tati l’occasion de mettre au point le personnage maladroit et sympathique qui donnera naissance ultérieurement à François, le facteur brouillon de Jour de fête (1949), et, par la suite, à M. Hulot.

Jacques Tati à la revue de l’ABC en 1936

Pour son deuxième film, Tati utilisa les services de deux professionnels, Charles Barrois et René Clément, qui le dirigèrent dans On demande une brute (1934) ; la « brute », c’était Tati, mari timide qui doit se faire passer pour un champion de lutte libre à la suite de toute une série de quiproquos. Ensuite sortit Gai Dimanche (1935), réalisé par Jacques Berr, interprété par Tati et par le clown Rhum. Il s’agit à nouveau d’un sketch composé de situations « renversées » : ce qui devait – être un pique-nique idyllique se transforme, à la suite d’une ronde époustouflante de péripéties culinaires, en un sauve-qui-peut général.

Jour de fête – Jacques Tati (1949)

Dans Soigne ton gauche (1936), réalisé par René Clément, et dans Retour à la terre (1938), entièrement réalisé par Tati, on peut déjà deviner, par l’intérêt que Tati manifeste pour la campagne, les enfants et un personnage de facteur (déjà !) particulièrement distrait, les thèmes de la poétique de Jour de fête.

ON SET – Jour de fête – Jacques Tati (1949)

La guerre allait interrompre le travail de Tati pendant six ans. Après la défaite, Tati s’installa à Sainte-Sévère-sur-Indre, le village qui servira de cadre à Jour de fête. En 1945, en collaboration avec Henri Marquet, Tati entama la réalisation d’un court métrage qui peut être considéré comme une première ébauche de Jour de fête : il s’agit de L’École des facteurs (1947), que l’auteur finança grâce aux cachets que lui valurent ses rôles de composition dans deux films d’Autant-Lara, Sylvie et le fantôme (1945) et Le Diable au corps (1947). Tati travailla pendant quatre ans pour préparer Jour de fête, présentant en avant-première plusieurs séquences de ses gags pour tester la réaction du public. Le film fut finalement présenté en 1949 au festival de Venise, où il gagna le prix de la meilleure mise en scène. En 1950, il obtint le Grand Prix du cinéma à Cannes.

Les Vacances de monsieur Hulot – Jacques Tati (1953)
Le nouveau héros de Tati

Mais les aventures du naïf facteur n’intéressaient plus Tati, qui se sentait attiré par un nouveau personnage, celui de l' »homme de la rue », un personnage qui offrait au talent du cinéaste plus de possibilités et qui pouvait se prêter à un plus grand nombre de situations. Cette recherche aboutit, après des années de travail marquées par des problèmes financiers et une préparation dans les moindres détails, aux Vacances de M. Hulot, qui allait lui valoir enfin la consécration internationale. Tati utilisa de nouveau des décors réels (le film fut tourné à Saint-Marc-sur-Mer en Bretagne) ; la satire, cette fois, visait le monde des vacanciers et mettait en vedette le personnage de M. Hulot, à la fois tendre et ronchonneur, qui se heurte à la vanité de l’univers balnéaire avec l’enthousiasme et la candide innocence d’un enfant. Bien qu’elles aient donné l’impression d’être improvisées, les folles péripéties de Hulot. avaient été minutieusement préparées bien avant le commencement du tournage. Les gags sont si nombreux dans le film que M. Hulot semble parfois passer au second plan : c’était précisément ce que Tati recherchait. A l’époque, un critique français s’y laissa si bien prendre qu’il écrivit : « Tati voudrait faire un film sur les aventures de Hulot dans lequel celui-ci n’apparaîtrait même pas. Sa présence serait simplement signalée par les bouleversements plus ou moins catastrophiques provoqués par son passage. »

Les Vacances de monsieur Hulot – Jacques Tati (1953)

Hulot, quoi qu’il en fût, poursuivit sa carrière et on le retrouva dans les autres films de Tati. Ce personnage est l’héritier direct de toute une génération de grands comiques de l’écran et tout particulièrement des comiques du muet : Linder, Keaton et Chaplin. C’est un inadapté qui cherche furieusement à s’intégrer. Sa maladresse maladive est la conséquence directe de son incapacité à comprendre un monde qui lui échappe. Hulot fait tout pour « s’insérer » – la partie de tennis des Vacances de M. Hulot ou de Mon oncle (1958) sont des tentatives frénétiques pour sauver au moins les apparences. Sa désinvolture particulière lorsqu’il manie la pipe ou le parapluie, l’inclinaison très étudiée de son chapeau, sa démarche aérienne – il semble toujours chercher la voie la plus sûre au milieu d’un gué invisible – montrent qu’au fond il ne s’inquiète pas de l’abîme au bord duquel le monde se trouve. Son anarchisme confine parfois à la misanthropie mais il est trop poli et trop sentimental pour vouloir ramener ses contemporains à la raison ; si ce sont de perpétuels insatisfaits, lui du moins connaît une sorte de sérénité.

ON SET – Mon oncle – Jacques Tati (1958)
Des satires de la technologie

Dans Mon oncle – qui sortit sur les écrans après neuf mois de tournage et un an de doublage et de montage -, Hulot ressemble presque à un ermite, se tenant soigneusement à l’écart dans son coin, tout en poursuivant ses tentatives d’intégration. Tati expliquait : « Ce film cherche à défendre l’individu. Je n’aime pas être enrégimenté. La mécanisation ne me plaît pas. Je crois aux vieux quartiers, aux coins tranquilles, plutôt qu’aux autoroutes, aux aéroports et à toutes les autres structures de la société moderne. Les gens ne peuvent pas être à l’aise avec toutes ces lignes géométriques qui les entourent. » Sur le mode comique, Mon oncle met en scène le malaise issu de la confrontation de deux conceptions antagonistes du monde : celle qui refuse de se détacher du passé et celle qui se tourne résolument vers l’avenir.

Mon oncle – Jacques Tati (1958)

Playtime (1968), qui réclama à Tati trois ans de travail et coûta plus de 700 millions d’anciens francs, ajouta à ce thème un accent absurde prononcé. Hulot erre comme un fantôme dans les cages de verre que sont les bureaux d’un Paris futuriste. Mais cette succession d’absurdités, toujours amusante, a quelque chose de répétitif et de forcé. Tout comme Michelangelo Antonioni, mais dans un autre registre, Tati s’élève contre les dangers de la ville (entièrement construite en studio), qui semble stérilisée et privée de toute vie; ce n’est plus qu’un labyrinthe où circulent d’étranges cobayes.

Playtime – Jacques Tati (1967)

Comme les estivants des Vacances de M. Hulot, ces échantillons d’humanité sont parfaitement « typés » : touristes américains, commerçants allemands, vieilles dames à la recherche de quelqu’un pouvant remplacer les ampoules grillées (et qui découvrent qu’à une époque de technologie sophistiquée personne ne peut plus le faire), le couple brouillon, les serveurs qui font tout pour ne pas s’occuper des clients. Hulot essaie de se lier d’amitié avec une jeune Américaine et lui offre un bouquet de fleurs en plastique. Intentionnel à n’en pas douter, c’est là le message mélancolique du film : ce bouquet de plastique, un des symboles les plus précieux et les plus agréables du degré de perfection atteint par le travail de l’homme, n’est en fait qu’un ersatz de la nature.

Le réalisateur Jacques Tati devant la maquette du décor récréant la ville moderne pour son film Playtime. [Bernard Allemane / Ina – AFP]

Avec Trafic (1970), Tati a l’occasion de renouveler son inspiration. Hulot doit transporter un nouveau modèle de camping-car de Paris à Amsterdam, où se tient un salon international de l’automobile. Plus impliqué que dans Playtime, mais toujours d’un détachement exemplaire, Hulot transige tellement avec le progrès qu’il emploie tout son bon sens pour régler les problèmes des automobilistes, les pannes, les embouteillages, les accidents, tandis que les gens s’éparpillent autour de lui, créant ainsi une série d’obstacles insurmontables.

Trafic – Jacques Tati (1971)

Tati ridiculise le comportement typique de l’automobiliste à travers une succession de gags visuels (exemple : celui où une forme indistincte, écrasée sous les roues d’une voiture, pourrait autant être un petit chien mort qu’une vieille veste) ; l’ironie est tempérée par une discrétion qui ne blesse personne. Mais la discrétion, après tout, n’est-ce pas justement la caractéristique essentielle du comique de Tati ? A une époque où l' »indiscrétion » est de règle (grâce au triomphe de l’information), peut-être faut-il savoir gré à Tati de continuer à pratiquer la retenue ?

Jacques Tati et Maria Kimberley pendant le tournage de Trafic

Après Trafic, Tati a réalisé Parade (1974), sorte d’équation filmique entre le monde du cirque et l’univers de l’enfance. Ce film, qui lui avait été commandé par la télévision suédoise (Sverige Radio T2), lui a valu, en 1975, le Grand Prix du cinéma français.

Parade – Jacques Tati (1974)

Le cinéaste se montrera passionné jusqu’au bout par le rôle de l’innovation dans la civilisation moderne. Confusion, le nouveau scénario auquel il s’attelle avec Jacques Lagrange, son collaborateur habituel, aura pour cadre le monde des ordinateurs et du matériel multividéo. Mais Jacques Tati sera emporté par une embolie pulmonaire le 4 novembre 1982, avant d’avoir pu le porter à l’écran. Sans connaître cette ultime étape de l’œuvre du cinéaste, Serge Daney écrivait en 1979, dans « Eloge de Tati », qu’« en fait, le grand sujet des films de Tati, à travers les avatars de la production (ou grâce à eux), c’est ce qu’on appelle aujourd’hui un peu facilement les médias. Pas au sens restrictif des « grands moyens d’information », mais au sens, plus proche de MacLuhan, des « extensions spécialisées des facultés mentales ou psychiques de l’homme », des prolongements de son corps, tout ou partie ».

JACQUES TATI

Six films seulement, dont cinq de fiction, tel est le prix payé par Jacques Tati pour son indépendance artistique. Ce cinéaste, qui aimait se définir comme un artisan parce qu’il pouvait en effet se pencher vingt fois sur le même geste, s’est toujours refusé à faire deux fois le même film. Il n’a jamais cédé à la facilité, qui aurait consisté à tourner « Totò et Tati », comme le lui offraient des producteurs italiens, ou à lancer M. Hulot dans des aventures toutes tracées. Exploiter les ressources de son « héros » n’intéressait pas Tati, et il semble que le public lui en ait voulu de l’avoir frustré d’un personnage qu’il avait su rendre si attachant. Guy Tesseire, dans son avant-propos à l’ouvrage de Marc Dondey, rappelle le souhait émis par le cinéaste de voir Hulot apparaître dans d’autres films que les siens. Seul François Truffaut l’exauça : dans Baisers volés (1968), on voit un faux Hulot plus vrai que nature rater son métro. Cet échec est révélateur : Hulot n’est rien sans Tati. Et Hulot est peut-être beaucoup plus pour Tati que celui-ci ne le croit. Cette silhouette puise dans son œuvre une force incroyable. Figure moins de la nostalgie que de l’espoir, elle est l’inscription en filigrane de la part de fantaisie et de rêve que chacun de nous porte en lui. [La grande histoire illustrée du 7ème art – Editions Atlas (1983)]

JACQUES TATI

JOUR DE FÊTE – Jacques Tati (1949)
Des forains s’installent dans un calme village. Parmi les attractions se trouve un cinéma ambulant où le facteur découvre un film documentaire sur ses collègues américains. Il décide alors de se lancer dans une tournée à « l’américaine »…



LES VACANCES DE MONSIEUR HULOT – Jacques Tati (1953)
Pour son deuxième long métrage, après Jour de fête, Jacques Tati dépêche un hurluberlu à la plage, où se côtoient sans se mêler les Français des congés payés de l’après-guerre. Mais ce Hulot que tout singularise (vêtements, posture, manières polies) est le seul à réellement désirer cette vacance. Le comique naît de ce que son engouement est en contradiction avec les choses ou les gens qui l’entourent. Ses moments de plaisir heurtent les clients de l’hôtel. Ses grands élans de courtoisie provoquent de petites catastrophes.


LE CINÉMA DES ANNÉES 1950 : EN ATTENDANT GODARD
A la veille de la nouvelle vague, le cinéma français se complaît dans un académisme suranné. Mais l’honneur du septième art est sauvé par de grands auteurs indépendants comme Renoir, Bresson, Ophüls ou Tati.



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2 réponses »

  1. Tati c’est du génie à l’état pur. Je ne m’en lasse jamais. j’adore.
    Il y a de très nombreuses années j’avais vu la très belle version en couleur de Jour de fête. Attention ce n’était pas du colorisé mais de la vraie pellicule couleur. je ne sais pas si on peut toujours la voir. J’espère que oui.

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