Du collant noir de Musidora à l’absence de dessous de Sharon Stone, l’accessoire ou son manque divinement souligné n’est jamais innocent et marque au fer rouge cette sublime pécheresse qui parcourt le cinéma, qu’il s’agisse du film noir hollywoodien qui en fit son égérie ou d’autres genres qu’elle hanta de son érotisme funeste. Car cette femme-là est fatale pour ceux qui l’approchent. Souvenirs de quelques figures mythiques entre Eros et Thanatos qui peuvent le payer cher dans un 7ème Art aux accents misogynes qui ne pardonnent pas.

Au commencement était la vamp
C’est d’abord une séductrice, à l’érotisme vénéneux, héritière de la vamp, en quelque sorte. Celle-ci est née avec le cinéma. Dans A Fool There Was (1915), Theodosia Goodman alias Theda Bara est une sorcière arachnéenne, comme la Française Musidora, tentatrice aux ailes de chauve-souris qui survole les toits en justaucorps charbon et qui tient autant de l’humain que de l’animal. Il faut garder cette origine en tête. Plus tard, Dietrich usera des mêmes sortilèges pour capturer ses proies. Car la femme fatale décide de ce qu’elle veut et de qui elle veut. Euphorisé par le désir, son corps est un appât tout aussi délicieux que monstrueux.

MarIene exhibe dans Der blaue Engel (L’Ange bleu, 1930) ses cuisses potelées et ses jambes interminables, haut de forme, culotte blanche froufroutante et bas noirs retenus par des jarretelles. Sa prise, un humble professeur, s’humiliera à l’aimer. Dans cet enclos qu’est le cabaret, elle est promise à un avenir de cocotte où lui joue au coq au propre comme au figuré. Mythe désormais consacré dans The Devil Is a Woman (La Femme et le Pantin, 1935), « véritable hymne à la femme fatale » comme le dit Kyrou, elle séduit et détruit tout autant derrière ses voilettes de faux matadors. Elle est alors, dans cette arène baroque et sulfureuse, magnifiée et sublimée par un Sternberg habité qu’il habille de capes et de rubans mais la fait toujours échapper à la mise à mort.

Dietrich est peut-être la première vraie femme fatale, blonde, mais dont la féminité frôle l’androgynie, le regard mâle, la cigarette aux lèvres et un complet veston, telle Greta, mystère mutique et divin, presque immatériel dans Mata-Hari (1931) car Garbo sera toujours Garbo, ou la cérébrale Lauren. Pourtant Bacall tombe amoureuse, c’est un peu son problème.

De The Big sleep (Le Grand sommeil, 1946) à Key Largo (1948), elle sauve la vie de Bogey, ou l’autre la sauve, peu importe, elle s’en éprend, s’imbrique en lui et ne parvient jamais à s’en soustraire. Avec son alter ego, elle forme un couple à la sensuelle insolence, ce qui l’éloigne de la femme fatale qui tient souvent de la garce comme les autres héroïnes du film noir dont on peut douter de la capacité a aimer.

Ainsi Gene Tierney dans Leave her to heaven (Péché mortel, 1945) tente de rendre son époux responsable de son assassinat qu’elle a amoureusement concocté. Pour cette femme-enfant, follement éprise de son père, l’homme n’est qu’une proie futile jalousée et convoitée, puis rejetée et piétinée. Une carnassière qui cherche en vain un gibier à sa hauteur.

Quant à Jean Simmons dans Angel face (Un si doux visage, 1952), elle sacrifie son amour en même temps qu’elle se sacrifie. Un coup de volant et hop ! Voilà, son amant précipité avec elle dans le ravin. Maudit soit celui qui voulait la fuir, car ses yeux de biche n’étaient que l’écrin trompeur de sa perfidie.

Tout comme la vénéneuse et capricieuse Jane Greer dans Out of the past (La Griffe du passé, 1947), elle préfèrera mourir avec lui que de vivre sans lui.

Loin des ingénues perverses, dans un genre plus « mature », Barbara Stanwyck assume en dame patronnesse du vice dans Double indemnity (Assurance Sur la mort, 1944) faisant accéder l’immoralité au rang de grand art. L’actrice s’en serait même plaint à Wilder, n’ayant jamais joué un si odieux personnage, une tueuse de sang-froid qui manigance le meurtre de son mari avec son amant pour toucher le pactole de l’assurance. Affublé d’accessoires (perruque blonde, lunettes de soleil énorme émeraude), ce démon du mal officie en toute tranquillité sans l’once d’un remord. Telle Bette Davis ou Joan Crawford habituées aux rôles de méchantes, Stanwyck entre dans le panthéon éblouissant des garces, « bad girls » incarnées en France par Mireille Balin ou Viviane Romance. [Isabelle Cottenceau – Le Facteur sonne toujours deux fois – L’Avant-Scène Cinéma (avril 2004)]

Féminine ou masculine ? brune ou blonde ?
La femme fatale se déguiserait-elle en homme pour mieux le piéger ? Et Gilda alors ? Une lointaine descendante de la vamp et l’archétype de la pin-up de par sa superbe plastique. mais un cœur d’artichaut. Car elle aime, elle souffre, elle est humaine. Trop tendre, pas assez mante religieuse. Et pourtant, comme les autres, elle pense que l’objet du désir n’est fait que pour accompagner sa propre déchéance. Car dans ce monde-là, les êtres sont nés condamnés, trahissant pour se sauver, se privant et se mutilant conjointement. Aucune issue heureuse là où se tuer revient finalement toujours à tuer l’autre. « Aimerais-tu savoir combien je te hais ? », demande Rita Hayworth à un Glenn Ford ahuri qui ne se voit jamais comme un pion. « Je te hais tant que j’aimerais me détruire pour t’entraîner dans ma chute. »

Jamais on n’a peint les relations amour-haine avec autant d’intensité. Et Marilyn ? Bazin doutait que celle qui semblait « toujours nue sous quelque chose » en fasse partie. Pourtant, sans culotte et avec sa robe rouge écarlate dans le funeste Niagara (1953), elle tente bien comme Lana Turner dans The Postman Always Rings Twice (Le facteur sonne toujours deux fois, 1946) de se débarrasser de son bonnet de nuit de mari avec l’aide de son amant.

Le sexe trop criard, aurait dit Hitchcock qui estimait qu’on ne torturait jamais assez les femmes. Pour lui, la puissance érotique résidait dans son absence apparente. Ces femmes qui vous déshabillent en un rien de temps, capables de vous arracher un baiser sans avoir l’air d’y toucher. La fameuse institutrice qui obtient tout de vous derrière ses lunettes, son chignon et son col Claudine. Féline, sans nul doute et plus précisément lionne, car c’est toujours elle qui part à la chasse.



Fausses innocentes inlassablement martyrisées mais toujours survivantes dans un cinéma sadique et fétichiste telle Grace qui cloue les hommes à leur fauteuil Rear window (Fenêtre sur cour, 1954), les poignarde dans le dos Dial M for murder (Le Crime était presque parfait, 1954) et les dévore tout cru avant de leur claquer la porte au nez To catch a thief (La Main au collet, 1955). Celle-là décide et ose tout. Une espèce de feu sous la glace alors ?

Si l’on veut, mais pas nécessairement blonde, comme on l’a vu, n’en déplaise à Hitch, ou excessivement, comme Barbara sous sa perruque ou Lana dont on teignit la chevelure à outrance dans The Postman Always Rings Twice ou encore comme cette ex-rousse de Rita qui sacrifia sa toison pour se soumettre aux desiderata de feu son Pygmalion dans The Lady from Shanghai (1946). « Oh, mon Dieu ! Qu’est-ce qu’a fait ce salaud ! » se serait écrié Harry Cohn, le grand manitou de la Columbia, en parlant de Welles. Là, cette créature machiavélique charge son amant de ses forfaits et finit par le payer, s’effondrant dans une palais des glaces où « les requins rendus fous par leur propre sang se mangent entre eux ». Lui, sentencieux, la laisse agoniser : « Tu as dit que le monde est mauvais, qu’on ne peut échapper au mal. Tu as dit qu’on ne peut pas le combattre, qu’on doit s’en accommoder. Le mal ne s’est-il pas accommodé de toi ? N’a-t-il pas trouvé de compromis avec toi ? » [Isabelle Cottenceau – Le Facteur sonne toujours deux fois – L’Avant-Scène Cinéma (avril 2004)]

Survivances hollywoodiennes
Et après ? Il y a un héritage aux Etats-Unis. Deux antipodes aujourd’hui, la blonde Stone et la brune Fiorentino. La première excelle dans Basic Instinct (1992), castratrice aux frontières du lesbianisme, elle croise et décroise ses jambes, dévoilant sa choquante nudité, alors interrogée par une nuée de mâles affolés. Est-ce elle qui a lardé le corps de ses partenaires de plusieurs coups de pic à glace ? Le rescapé Michael Douglas en doutera jusqu’à la fin. Auparavant, l’acteur décidément abonné aux rôles d’homme objet avait déjà souffert des avances pour le moins agressives de la gent féminine.

Comme dans Basic Instinct, il avait été confronté dans Liaison fatale (1987) à une rivale plus intelligente, plus sournoise, plus manipulatrice, plus mystérieuse et plus cruelle. Une créature vampirique qui déguste sa vengeance à froid. Comme si cette mangeuse d’hommes au sex-appeal démesuré échappait à un avenir soumis pour investir une nouvelle mission, celle sans nuance de dominer et de punir l’autre. Comme si cette héroïne-là qui n’est pas de celle qu’on épouse mais qu’on désire et qu’on se tue à vouloir gagner tentait de faire oublier cette vision longtemps machiste d’une femme immanquablement punie dans les films comme dans la vie en raison de sa différence.

Ainsi Linda Fiorentino, cette tacticienne amorale à la voix de velours et aux jambes fuselées, sublime héritière de la garce dans Last Seduction (1994) sort-elle victorieuse de ses mille et un forfaits et se dirige-t-elle à la fin, sourire aux lèvres, vers de nouvelles aventures. Comme les autres, elle aura usé de son pouvoir sexuel sur l’homme pour le faire ployer. Fantasme féministe et manipulatrice au cynisme hors pair, elle semble peut-être trop froide, trop évidente et tout compte fait trop parfaite dans le venin qu’elle distille. Car la meilleure définition de la femme fatale ne réside-t-elle pas finalement dans son insondable mystère ? [Isabelle Cottenceau – Le Facteur sonne toujours deux fois – L’Avant-Scène Cinéma (avril 2004)]


LES BEAUTÉS FATALES DANS LE FILM NOIR
Il est surprenant de lire, ici et là, que le film Noir est un genre exclusivement masculin, alors que la motivation du comportement de ses personnages est souvent le désir sexuel et que les drames y sont provoqués à cause d’une femme à la sensualité dévorante ou bénéficiant d’une beauté exceptionnelle.

THE BIG SLEEP (Le Grand sommeil) – Howard Hawks (1946)
Le vieux général Sternwood (Charles Waldron) charge le détective privé Marlowe (Humphrey Bogart) de résoudre une affaire de chantage dans laquelle est impliquée sa fille Carmen (Martha Vickers), une jeune femme aux mœurs très libres. L’enquête conduit le détective sur la piste d’un complot meurtrier dans lequel la jolie Vivian (Lauren Bacall), la seconde fille du général, semble jouer elle aussi un rôle obscur. En s’éprenant de cette dernière, Marlowe va devenir la cible de bandes rivales.

LEAVE HER TO HEAVEN (Péché mortel) – John M. Stahl (1945)
Tourné la même année que Duel in the Sun (Duel au soleil), Leave her to heaven est au film noir ce que le film de King Vidor, produit par David O. Selznick, est au western : une œuvre passionnée et fulgurante qui utilise avec génie les tons du Technicolor de l’époque, devenus ici un élément dramatique indispensable.

ANGEL FACE (Un si doux visage) – Otto Preminger (1952)
Dès la séquence d’ouverture, où Frank, l’ambulancier, est appelé dans la propriété de Diane, une menace plane. Cette sensation d’avancer au bord d’un précipice ne nous quittera plus jusqu’à la scène finale. Aussi fascinante que Laura, le grand classique de Preminger, cette histoire diabolique unit deux êtres très différents, mais qui ont en commun un certain mystère. Autant Mitchum, en chauffeur monolithique, intrigue par son caractère taciturne et son impuissance résignée, autant Jean Simmons déconcerte en offrant un visage double, maléfique et gracieux, intraitable et fragile.

OUT OF THE PAST (La Griffe du passé) – Jacques Tourneur (1947)
Le titre même du film évoque pleinement le cycle noir : le protagoniste Jeff, incarné par Robert Mitchum, marqué par le destin, porte sur son visage cette fatalité qui se lit dans son regard sombre et sans joie ; Jane Greer fait une très belle prestation dans le rôle de Kathie, la femme érotique, et destructrice ; le scénario de Mainwaring réussit, quant à lui, à , déterminisme implacable qui resserre le présent et le futur de Jeff, grâce au procédé du flash-back, enfin, les éclairages sombres du chef opérateur, Nicholas Musuraca, un familier des films noirs, soulignent parfaitement la sensibilité tragique de Tourneur.

DOUBLE INDEMNITY (Assurance sur la mort) – Billy Wilder (1944)
Billy Wilder choisit deux vedettes à contre-emploi. Barbara Stanwyck, l’héroïne volontaire et positive de tant de drames réalistes – et même de comédies – va incarner une tueuse, et Fred MacMurray, acteur sympathique et nonchalant par excellence, va se retrouver dans la peau d’un criminel.

GILDA – Charles Vidor (1946)
Si Gilda devient l’un des plus grands succès de l’année 1946 et entrera dans la mémoire collective des cinéphiles comme un classique du film Noir, il le doit à l’érotisme intense de son actrice principale. Rita Hayworth, ou plus exactement au strip-tease légendaire qui fit tourner la tête…

NIAGARA – Henry Hathaway (1953)
Tourné au pied des plus célèbres chutes du monde, le dix-huitième film de Marilyn lui permet d’accéder enfin au statut de star. Magnifiquement filmée par le vétéran Henry Hathaway, la comédienne y prouve qu’il va falloir désormais compter avec elle.

THE POSTMAN ALWAYS RINGS TWICE – Tay Garnett (1946)
Le cinéaste hollywoodien évoque, lui, la dérive intime de son pays. Dès les premiers plans, désaxés, inquiétants, l’ambiguïté suggestive s’affiche. Un écriteau à double sens « Man wanted » annonce le désarroi social et affectif de l’Amérique du bout du monde, où le chômage rime avec la misère sexuelle.

LE FILM NOIR
Comment un cycle de films américains est-il devenu l’un des mouvements les plus influents de l’histoire du cinéma ? Au cours de sa période classique, qui s’étend de 1941 à 1958, le genre était tourné en dérision par la critique. Lloyd Shearer, par exemple, dans un article pour le supplément dominical du New York Times (« C’est à croire que le Crime paie », du 5 août 1945) se moquait de la mode de films « de criminels », qu’il qualifiait de « meurtriers », « lubriques », remplis de « tripes et de sang »… Lire la suite

RITA HAYWORTH
Rita Hayworth fut une actrice magnifique, une vamp éblouissante, une pin-up d’anthologie, et pourtant la postérité ne lui rend pas justice. Mais ce personnage de sex-symbol castrateur, façonné par Harry Cohn, le patron de la Columbia, était à cent lieues de la véritable Rita…

LANA TURNER
Sept maris, un père bootlegger assassiné en pleine rue, un amant gangster poignardé par sa propre fille Cheryl : la vie de Lana Turner n’a pas été de tout repos ! Mais ce magnifique symbole du sex-appeal hollywoodien a su révéler une troublante sensibilité sous l’écorce soigneusement entretenue du glamour.

MARILYN MONROE
Mélange explosif de candeur et de sensualité débordante, Marilyn Monroe est une actrice proche du génie. Sous le maquillage et les atours, elle restait une « petite fille ». Elle ne ressemblait à personne…
- I DIED A THOUSAND TIMES (La Peur au ventre) – Stuart Heisler (1955)
- BARBARA STANWYCK
- ALL ABOUT EVE (Ève) – Joseph L. Mankiewicz (1950)
- [AUTOUR DE « L’IMPOSTEUR »] HOLLYWOOD S’EN VA-T-EN GUERRE
- JEAN GABIN : LE MAL DU PAYS
Catégories :Le Film Noir
La Femme Fatale ou comment montrer qu’une femme qui sait ce qu’elle veut est forcément quelqu’un de mauvais qui ne pense qu’à faire du mal…
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