Après une brillante carrière de scénariste, Billy Wilder, sans nul doute le meilleur disciple de Lubitsch, affronta la mise en scène avec une maîtrise éblouissante. On lui doit, en effet, quelques-uns des films qui marqué plusieurs décennies.

Billy Wilder est connu pour être un maître de la comédie américaine. Considéré comme l’héritier d’Ernst Lubitsch, il a poussé le comique de situation jusqu’aux limites de l’absurde. Plusieurs générations de spectateurs ont ri en regardant ses films et personne n’a oublié les quiproquos hilarants subis par deux musiciens déguisés en femmes dans Some like it hot. Et pourtant, il est difficile de classer Wilder parmi les grands cinéastes classiques de la comédie américaine. Ses films sont plus atypiques que ceux de ses contemporains, car il est moins humaniste que Frank Capra, moins raffiné que George Cukor et moins abstrait qu’Howard Hawks. Son humour est plus noir et gênant. Ses audaces à jouer de l’ambiguïté sexuelle avec des dialogues à double sens frisent la vulgarité. Sa vision du monde est cynique. Mais il sait faire rire. Pas seulement. Il a tourné aussi des mélodrames et des films noirs. Qu’il montre l’élaboration d’un meurtre, la lâcheté d’un alcoolique ou celle d’un gigolo vampirisé par une star du muet, les avatars ridicules d’un couple de musiciens recherchés par la Mafia ou ceux d’un flic naïf devenu proxénète malgré lui, le propos de Wilder ne varie jamais. Qu’il raconte la traversée solitaire de The Spirit of St. Louis, les combines de l’occupant américain dans le Berlin d’après-guerre et celles d’un directeur de Coca-Cola dans le Berlin de la guerre froide, il filme toujours la difficulté d’être. Que ses personnages se déguisent en fillette, en lord anglais ou en femme, qu’ils échafaudent des escroqueries ou des substitutions d’identités, qu’ils se prostituent au propre comme au figuré, tous finissent par trouver leur moment de vérité. Chacun de ses films est une fable où la méchanceté n’est qu’une fausse piste demandée par la pudeur. L’humour y est une politesse provocante afin de pointer le sordide. La critique sociale et idéologique y devient révélatrice de tendresses masquées ou trahies. L’obscénité sur- vient en ressac nécessaire du réalisme. Car Billy Wilder est d’abord un moraliste. [Billy Wilder – Noël Simsolo – Collection Grands Cinéastes – Le Monde / Cahiers du cinéma (2007)]

Dans le film de Mitchell Leisen, Hold Back the Dawn, (Par la porte d‘or, 1941), un gigolo (Charles Boyer) qui a fui l’Europe centrale déchirée par la guerre attend, avec impatience, à la frontière mexicaine un visa d‘entrée aux États-Unis. Avec d’autres réfugiés. Il fixe longuement le grillage qui marque le poste de douane, le bureau de l’immigration et, un peu plus loin, l‘arcade où s‘inscrit, porteur d’espoir, un nom, « États-Unis », une arcade qui rappelle d‘ailleurs l’auvent d‘une salle de cinéma située à Los Angeles, sur le Sunset Boulevard (le fameux boulevard du Crépuscule).

Hold Back the Dawn, adapté par Charles Brackett et Billy Wilder, est un des nombreux films réalisés à l‘époque pour sensibiliser l’opinion publique américaine aux problèmes de l’Europe en guerre ; c’est aussi le film le plus ouvertement autobiographique de Wilder. Celui-ci comptait effectivement au nombre de ces artistes et intellectuels qui quittèrent l’Europe au début des années 30 pour fuir le nazisme. Pour des réalisateurs comme Fritz Lang, Max Ophuls, Otto Preminger, Robert, Siodmak – et Wilder bien entendu – l’Amérique ne pouvait être que Hollywood. On comprend ainsi la portée symbolique de la scène que nous venons de décrire. A la fin du film d’ailleurs, le gigolo vendra sa propre histoire à la Paramount.

Les Européens fuyant Hitler allaient profondément influencer le cinéma américain, comme le cas s’était déjà produit au cours des années 20 avec d’autres émigrants, comme Ernst Lubitsch, Murnau et Viktor Sjöström. En quittant leur pays d’origine, ils avaient emporté avec eux tout un bagage de traditions et de cultures. La capitale découvrait des hommes complexes, raffinés, souvent plein d’entrain mais, plus souvent encore, marqués par les expériences traumatisantes qu’ils avaient vécues. Une vision nouvelle s‘imposait, moins optimiste que celle des réalisateurs nés aux Etats-Unis, tels Howard Hawks ou King Vidor. La sensibilité européenne imprégna bientôt tous les genres cinématographiques, la contribution de Billy Wilder, avec son incomparable série de films satiriques, de thrillers et de drames sentimentaux étant de loin la plus importante manifestation de cette bénéfique « contagion ». [La grande histoire illustrée du 7ème art – Editions Atlas (1982)]

Adaptations et mise en scène
Samuel (Billy) Wilder naquit en 1906 à Sucha, en Autriche (aujourd’hui en Pologne) au sein d’une famille juive assez riche. Après avoir achevé ses études à Vienne, il se lança dans le journalisme, réalisant un certain nombre de « scoops » remarquables grâce à des interviews de Freud, Richard Strauss et Arthur Schnitzer. En 1926, il gagna Berlin où il acquit une certaine réputation comme journaliste de faits divers et en dénonçant audacieusement un certain nombre de scandales. Il prétend lui-même qu’il fut un gigolo fort apprécié des clientes fortunées de l’hôtel Adlon… Berlin était alors le plus grand foyer culturel du monde avec tout ce que cela suppose d’invention et d’excès. Le cinéma allemand, implanté à Berlin dans les studios de l’UFA, était, tant du point de vue technique que stylistique, le plus avancé du monde. Si l’on excepte Menschen am Sonntag (Les Hommes le dimanche, 1929), qui constitue une sorte de défi lancé contre le style « UFA », les premiers films adaptés par Wilder furent le plus souvent des comédies légères et sentimentales qui, malgré leurs limites, laissaient déjà entrevoir ce que serait le futur le futur style « wilderien », notamment par l’humour viennois dont ils étaient empreints, le jeu sur l’équivoque et les échanges d’identité et par les nombreuses allusions à l’Amérique et à Hollywood.

Wilder fit ses valises pour Paris le lendemain même de l’incendie du Reichstag au mois de février 1933 (presque toute sa famille devait périr dans les camps de concentration). A Paris, il rencontra de nombreuses difficultés (il ne tint pas rigueur à notre capitale puisqu’elle devait servir de cadre à ses films les plus attachants). C’est pourtant là qu’il parvint à diriger son premier film Mauvaise Graine (1933), alerte comédie contant les aventures d’un fils de famille dévoyé qui s’est acoquiné à une bande de voleurs de voitures. A la fin du film, le héros repenti — et l’héroïne — s’embarquent pour l’Amérique. Billy Wilder n’allait pas tarder à suivre ses héros; il arriva aux Etats-Unis après être passé par le Mexique. [La grande histoire illustrée du 7ème art – Editions Atlas (1982)]

La voix du succès
En l’espace de cinq ans, Wilder acquit une position de premier plan à Hollywood. Faisant équipe avec Brackett, il signe coup sur coup les scénarios d’une série de chefs-d’œuvre : Bluebeard’s Eighth Wife (La Huitième femme de Barbe-Bleue, 1938), Midnight (La Baronne de minuit) et Ninotchka, tous deux de 1939, Hold Back the Dawn et Ball of Fire (Boule de feu, 1941). Ces brillantes réussites en font les scénaristes les mieux payés de toute l’industrie cinématographique. Cette association prendra fin en 1950 ; I.A.L. Diamond devient son collaborateur régulier à partir de 1957. Les quatre premiers films que Wilder dirige en Amérique : The Major and the Minor (Uniforme et jupon court, 1942), Fives Graves to Cairo (Les Cinq Secrets du désert, 1943), Double Indemnity (Assurance sur la mort, 1944) et The Lost Weekend (Le Poison, 1945), témoignent de sa capacité d’aborder les genres les plus divers et rencontrent un large succès tant auprès du public que de la critique. Soignant sa publicité personnelle, Billy Wilder devient rapidement un des plus brillants esprits de Hollywood : ses bons mots et ses réparties pittoresques font partie du folklore hollywoodien et ont alimenté trois « hagiographies », pas moins !

En dépit de quelques démêlés passagers avec la Paramount, la compagnie qui avait accueilli la plus grande partie des émigrés européens et pour laquelle il travailla de 1937 à 1954, Wilder ne commit jamais le moindre faux pas.

Mais malgré son grand succès des années 60 — il s’adjugea trois Oscars pour The Apartment (La Garçonnière, 1960) —, Billy Wilder connut, au cours de la décennie suivante, quelques difficultés : l’Universal annula en effet son contrat après The Front page (Spéciale Première, 1974) et le réalisateur dut revenir en Europe pour réaliser Fedora (1978). Bien que financé par l’Allemagne fédérale, le film ne bénéficia pourtant que d’une distribution limitée. [La grande histoire illustrée du 7ème art – Editions Atlas (1982)]

Souvenirs de la vieille Europe
Fondamentalement, les films de Billy Wilder reposent sur la différence structurelle qui oppose l’Europe et l’Amérique. Partagé entre l‘une et l’autre, le réalisateur exprime cette tension dans toute son œuvre. Ses évocations de l’Europe sont nuancées de mélancolie et seul l’humour le préserve de céder à la sensiblerie. Le Paris de la période précédant l’occupation allemande dans Ninotchka, l’évocation d’une Vienne digne de Lubitsch dans The Emperor Waltz (La Valse de l’empereur, 1948), le Berlin détruit par la guerre dans A Foreign Affair (La Scandaleuse de Berlin, 1948) et la même ville divisée entre le secteur occidental et le secteur oriental dans One, Two, Three (Un, deux, trois, 1961), le prouvent amplement. Le ton de ses films « parisiens » est toujours romantique, tandis que celui des films « berlinois » est plus grave, mais tous dégagent la même nostalgie.

La moitié environ de la production de Wilder a pour cadre des capitales européennes hautement symboliques ; à travers le choix de lieux liés à son expérience personnelle (Vienne, Berlin, Paris), il communique à ses films une réelle saveur d’authenticité. Toutefois, si l’on examine plus attentivement cette production, on s’aperçoit qu‘en réalité, Wilder explore une géographie plus psychologique que physique, une géographie liée davantage aux valeurs morales d’un lien donné qu’à son aspect réel. Paris, par exemple, est rarement filmé dans sa réalité, mais son atmosphère particulière est parfaitement rendue : Wilder préfère situer ses séquences dans une chambre d’hôtel et pour tourner Irma la douce (1963), il fait carrément reconstituer par Alexandre Trauner les Halles à Hollywood. L’Europe, tout au moins dans les films sentimentaux, sert de toile de fond à l‘éducation spirituelle des visiteurs venus du Nouveau Monde, un peu comme le faisait Henry James dans ses romans.

Souvent, les personnages des films de Wilder sont des Américains qui, une fois arrivés en Europe, découvrent une nouvelle dimension humaine. Nous en trouvons un exemple évident avec Avanti ! (1972), dans lequel un patron débordé (Jack Lemmon) se rend de Baltimore en Italie pour ramener aux États-Unis la dépouille de son père. Des complications administratives l’obligent à retarder son retour et lui permettent de découvrir un mode de vie qu’il était loin de soupçonner. Avanti !, film personnel profondément émouvant, est un chef-d’œuvre de délicatesse. C‘est dans cet esprit que Wilder a produit quelques-uns de ses meilleurs films, influencés dans une certaine mesure par le style de Lubitsch. A cette catégorie, ou peut également rattacher Sabrina (1954) — film trop méconnu — et Love in the Afternoon (Ariane, 1957) dont les personnages, campés par des acteurs typiquement américains — respectivement Gary Cooper et Humphrey Bogart — sont revus selon une optique très européenne. Toutefois, c’est à son côté le plus caustique, qui rappelle Erich von Stroheim, que Wilder doit la plupart de ses succès critiques.

Il est significatif que dans A Foreign Affair et dans One, two, three, les « forces d’occupation américaine » — l’armée dans le premier cas et le Pepsi Cola dans l’autre — ne parviennent pas à imposer aux Européens leur échelle de valeurs. Le processus de transformation ne fonctionne que dans un seul sens. [La grande histoire illustrée du 7ème art – Editions Atlas (1982)]

Une alternative morale
Les héros de Billy Wilder doivent choisir entre l’argent et le bonheur, et le signe de maturité du héros ou de l’héroïne (et de l’estime du metteur en scène) apparaît précisément quand ils préfèrent les sentiments aux biens matériels. Dans les films de ce genre, on peut inclure Double indemnity, un classique film noir adapté par Raymond Chandler, Ace in the Hole (Le Gouffre aux chimères / The Big carnival, 1951), Stalag 17, The Apartment (La Garçonnière), Kiss me, stupid (Embrasse-moi, idiot, 1964) et The Fortune Cookie (La Grande Combine, 1966).

Dans tous ces films, Wilder tend à prendre parti pour l’individu plus que pour le groupe, sans aller pour autant jusqu’à approuver tous les actes de ses héros. Si un personnage comme celui de Chuck Tatum (Kirk Douglas) dans Ace in the Hole parvient à secouer I’apathie d’une communauté, le coût de l’opération, tant au point de vue personnel que moral, est trop élevé. Tatum est un journaliste à scandale qui, pour stimuler l’intérêt de ses lecteurs, prolonge les souffrances d’un homme enseveli dans une ancienne mine. Le théâtre du drame es une aire désertique et isolée, aussi dure que ses habitants, où s’agglutine bientôt une marée humaine à la recherche d’émotions fortes. Bien que Tatum soit impliqué dans l’histoire (et il finira par mourir lui-même des suites de l’aventure dans laquelle il fut le premier à se précipiter), l’amertume de Wilder s’exerce contre la foule et peut—être même, au bout du compte, contre son propre public. Ace in the Hole fut projeté dans des salles quasi désertes et troubla les rapports de Wilder avec la Paramount.

Wilder réalise une commande de la compagnie Fox à laquelle Paramount l’a loué : The Seven year itch (Sept ans de réflexion, 1955), adaptation d’une pièce à succès de George Axelrod. La célébrité de ce film tient à son interprète, Marilyn Monroe, et à la scène de la bouche de métro où sa robe se relève haut sur les cuisses. Pourtant, Wilder n’aimait pas ce film qui raconte la rencontre d’une jolie blonde et d’un homme marié resté seul en été à New York. Car la censure l’a empêché de montrer l’adultère et il n’a pas pu imposer le débutant Walter Matthau dans le rôle principal. Contraint de prendre le créateur de la pièce, Tom Ewell, qui donne une direction vaudevillesque à l’ensemble, c’est par des touches burlesques ou cyniques qu’il nourrit le film afin de dépasser les stéréotypes et les édulcorations du texte, introduisant subtilement des images mentales par superposition dans une partie de l’écran Cinémascope. Il réussit aussi à exprimer franchement les pulsions sexuelles de son personnage central grâce à la présence de Marilyn qui vampirise le film par sa sensualité animale. Des années plus tard, il montrera ce que The Seven year itch aurait pu être par quelques séquences explicites dans Kiss me, stupid. [La grande histoire illustrée du 7ème art – Editions Atlas (1982)]

Amour à l’américaine
En 1964, Billy Wilder fut l’objet d’une violente campagne de presse à cause de l’image délibérément minable qu’il donnait de la classe moyenne américaine dans Kiss me, stupid alors que The Apartment s’était rallié tous les suffrages, sans doute parce que la féroce critique de l’éthique américaine du succès y atténuée par l’amour qui unissait ses victimes, Bud Baxter (Jack Lemmon) et Fran Kubelik (Shirley MacLaine). Il n’en reste pas moins que The Apartment, sous ses dehors de brillante comédie, est une impitoyable dénonciation de la solitude engendrée par les villes. A la fin, Baxter et Fran Kubelik se retrouvent sans toit et sans travail : peut-on vraiment parler de « happy end » ?

Mais Wilder ne s’est pas toujours laissé aller à l’amertume vis-à-vis de l’Amérique ; il a su aussi rendre hommage à la candeur et à l’exubérance américaine dans The Spirit of St. Louis (L’Odyssée de Charles Lindbergh, 1957), une biographie du célèbre aviateur traitée à la manière de John Ford, et dans son grand classique de la comédie : Some Like It Hot (Certains l’aiment chaud, 1959). Ce n’est pas un hasard, cependant, si ces deux films ont pour théâtre l’Amérique des années 20.

Some Like It Hot est probablement le film préféré de Wilder. Jack Lemmon et Tony Curtis incarnent les personnages de Jerry et Joe, deux musiciens qui, après avoir été les témoins d’une tuerie, se déguisent en femmes pour échapper aux gangsters… stratagème audacieux qui stimula le goût de Wilder pour les quiproquos et le déguisement.

Plus d’une fois, en effet, Wilder a eu recours à ce procédé spectaculaire : dans The Major and the Minor, où Ginger Rogers se transforme en gamine de douze ans, dans Witness for the prosecution (Témoin à charge, 1957), avec Marlene Dietrich dans une interprétation cockney, ainsi que dans Irma la douce, avec Jack Lemmon dans le rôle d’un lord anglais d’âge mûr. Mais ce qui intéresse Wilder ce n’est pas tant les effets — ô combien désopilants ! — qu’il pourra tirer du travestissement que ce qu’il révèle de la personnalité cachée de ses personnages. Les crises comiques d’identité de Jerry quand le côté féminin de son personnage l’emporte sur son personnage réel, dans Some Like It Hot, ne sont que des versions, sous une forme amusante, des tourments endurés par des êtres comme Fedora, comme Norma Desmond dans Sunset Boulevard (Boulevard du Crépuscule, 1950) et comme Sherlock Holmes dans The Private Life of Sherlock Holmes (La Vie privée de Sherlock Holmes, 1970), probablement son étude la plus profonde et la plus poignante sur le dédoublement de la personnalité et sur la cassure psychologique entre les rôles public et privé. [La grande histoire illustrée du 7ème art – Editions Atlas (1982)]

Certains aiment Hollywood
Hollywood est presque toujours présent dans les films de Wilder. Ace in the Hole, par exemple, peut être interprété comme une métaphore des méthodes en usage à Hollywood, et Kiss Me, Stupid l’est à coup sûr. Wilder procède par citations cinématographiques ou en utilisant les caractéristiques de certains acteurs : dans One, Two, Three par exemple, James Cagney, grand acteur des films de gangsters, applique des méthodes propres à ces derniers dans le commerce international du Pepsi Cola. Dans Some Like It Hot, Marilyn Monroe est tout fait conforme à son mythe. Cecil B. DeMille et Erich von Stroheim apparaissent dans leur propre rôle dans Sunset Boulevard : autant d’expédients qui révèlent tout l’intérêt que Wilder porte à la mythologie hollywoodienne.

Cet art de l’allusion et de la citation se manifeste tout particulièrement dans Sunset Boulevard et dans Fedora, deux fascinantes explorations du monde hollywoodien. Fedora est une éclatante récapitulation des thèmes chers à Wilder, qui transcende d’une manière surprenante l’amertume de la situation par l’élégance de sa mise en scène. Film aux atmosphères et aux perspectives en perpétuelle évolution, Fedora — dans lequel un producteur en difficulté cherche à convaincre une ancienne vedette de faire son retour à l’écran — jette un regard nostalgique sur le Hollywood d’antan, et un regard désabusé sur celui d’aujourd’hui. Le défi lancé aux modes actuelles, l’importance accordée à l’histoire et aux personnages font de ce film un des plus beaux du cinéma contemporain. Les spirituels jugements portés par Billy Wilder sur la faillite du « rêve américain », sur l’Europe, sur Hollywood et, d’une façon générale, sur les habitudes et les valeurs morales, montrent que le temps n’a pas émoussé l’acuité de son regard. Evoquant l’époque du cinéma muet dans Sunset Boulevard, Norma Desmond s’écrie : « N’est-il pas toujours merveilleux ? » quarante ans après, en songeant au Billy Wilder de Fedora en particulier, ne peut-on dire la même chose ? [La grande histoire illustrée du 7ème art – Editions Atlas (1982)]

Galerie d’affiches
Bonus
Le final de Sunset Boulevard – Wilder fait rarement usage de virtuosité sur le plan formel. Son apparente neutralité stylistique masque la subtilité de sa mise en scène. Il n’y a que quand la mort et la folie sont les points d’arrêt qu’il déroge ce principe. La fin de Sunset Boulevard en est l’exemple. Elle est conçue sur la (fausse) réalisation d’un rêve. Celui de Norma Desmond qui désire revenir devant les caméras et ignore que son crime va exaucer autrement cette idée fixe. L’homme qui l’avait découverte puis épousée avant de devenir son valet collabore avec les médecins et la police pour qu’elle quitte sa maison. Il lui dit qu’elle va tourner sa grande scène de descente d’escaliers du palais et transforme les caméras d’actualités en caméras pour la fiction. Il « dirige » alors Norma dans ses derniers instants de normalité, fermant ainsi les parenthèses d’une carrière qu’il avait provoquée, pour que nous assistions à son passage du réel à l’illusion, de la vie à une légende ternie par son meurtre. Tous l’entourent pendant cette lugubre mise en scène. Norma les contourne, pour qu’on la filme, puis elle devient une phalène guidée par la lumière éblouissante des projecteurs. Les plans se succèdent pour indiquer non seulement la folie de cette femme, mais sa cristallisation en fantôme de cinéma. Et elle devient cinéma, entend la musique de cette Salomé qu’elle cherche à faire tourner à DeMille pour son come-back à l’écran, puis ignore ce qui l’entoure pour aller vers la caméra, dans la caméra, se transformant en une image floue pour tous, un spectre hors du temps et du figuré. [Billy Wilder – Noël Simsolo – Collection Grands Cinéastes – Le Monde / Cahiers du cinéma (2007)]
Témoignages – (Samuel Fuller, réalisateur). Mankiewicz, Ben Hecht et Wilder sont les trois meilleurs scénaristes du monde. Et Mankiewicz et Wilder sont les meilleurs scénaristes-réalisateurs ! Un exemple de l’humour de Billy : Fellini était invité à Hollywood par la Director’s Guild. Il y avait une projection de Satyricon, suivie d’une discussion avec les réalisateurs. On m’a demandé si je voulais bien être sur scène. Ils avaient choisi deux personnes : Billy et moi. La discussion a lieu. Je ne dis rien. je n’avais rien à dire ; Billy non plus. C’est terminé. Les gens viennent saluer Fellini. Billy vient vers moi : « Sam, je suis d’accord avec tout ce que tu as dit. » [Il était une fois Samuel Fuller – Éditions Cahiers du cinéma (1986)]
Billy Wilder et le film noir – Ce ne sont pas les comédies qui ont consacré Billy Wilder comme réalisateur à Hollywood, mais ses films noirs, Le succès de Double Indemnity a contribué à imposer cette mouvance qui couvait depuis longtemps et trouva son épanouissement en 1944 avec les sorties d’autres films de cinéastes de la Mitteleuropa : Laura d’Otto Preminger, Phantom Lady de Robert Siodmak ou The Woman in the window de Fritz Lang. Marquée par le style germanique, chacune de ces œuvres avait la marque de son auteur et le sordide n’y apparaissait pas sous la même forme. Preminger y mêlait une sophistication de glace. Siodmak et Lang jouaient de l’onirisme ou en appelaient à la psychanalyse. Wilder, lui, optait pour un réalisme inquiétant, ayant eu soin pour y parvenir d’engager Raymond Chandler, un des écrivains venus de l’école littéraire du Black Mask. Son souci de placer la fiction criminelle au niveau d’un reportage donnait à son film un reflet de réalité et lui refusait tout romantisme. Son couple de crapules n’en était que plus fascinant. Car il était fait de deux monstres ordinaires et humains. (…)
Wilder a établi un des concepts essentiels du film noir : le réalisme sordide, mais il l’a si bien décliné dans d’autres œuvres que cela apportait une nuance morale à ces confessions de salauds ou de lâches qui peuplent tous ses films. Sachant que le film noir ne peut jamais fonctionner directement avec la comédie, il en conserva les principes, en les masquant, pour gonfler ses farces sociales ou burlesques d’un pessimisme cynique qui dépasse toujours le jeu des quiproquos et les situations de vaudeville. C’est ainsi qu’il fit des satires cruelles avec ce qui dégoûte ou effraie d’ordinaire. La Garçonnière est le prototype le plus abouti du film noir travesti sous un humour sombre, grinçant et méchant jusqu’à l’insupportable.
En revanche, quand il opte pour le film de gangsters – Some like it hot -, la parodie emporte le tout, car ce genre est trop codé pour se laisser subvertir de cette manière-là. Enfin, si Wilder démarque souvent les contes de fées, c’est qu’il est conscient de ce que Jean Cocteau affirmait : « Les contes de fées sont les romans érotiques des enfants car ils leur font peur », et la grimace d’un clown est, en réalité, plus effrayante que drôle. Le sarcasme est diabolique comme un film noir. [Billy Wilder – Noël Simsolo – Collection Grands Cinéastes – Le Monde / Cahiers du cinéma (2007)]
Témoignages – (Marlene Dietrich, comédienne). « J‘ai plus d’un tour dans mon sac » disait-il souvent. Écrivain, metteur en scène, il ne manquait jamais de ressources, et il adorait les défis qui l’obligeaient à se surpasser. Billy Wilder était comme un maître d’œuvre qui connaît ses outils et les utilise au mieux pour forger la structure à laquelle il suspend les guirlandes de son humour et de sa sagesse. [Marlène D – Marlene Dietrich – Grasset (1984)]
La comédie triomphante – Billy Wilder a donné un ton nouveau à la comédie américaine. Il sait comment faire rire le spectateur et alterne des dialogues hilarants avec des situations cocasses qui touchent souvent au burlesque. Son goût pour les travestis et les quiproquos sexuels lui vient sans doute de la fréquentation des cabarets berlinois sous la république de Weirnar. Lubitsch, un de ses maîtres, avait d’ailleurs subi la même influence, mais il en avait gommé la vulgarité et la grossièreté dans ses films américains. En revanche, il sut conserver le jeu des ambiguïtés qui en faisait toute la saveur et le sublima avec génie.
En travaillant avec Lubitsch, Wilder apprit donc à doser et à structurer les effets comiques pour mieux les raffiner. Il y ajouta néanmoins beaucoup de critique sociale. Ces comédies devinrent alors tout autant des farces que des satires. Le mensonge et le travestissement sont ses matériaux favoris pour faire rire le public. Il use aussi de l’inversion, plutôt que du renversement de situation. Ses personnages sont toujours contraints de changer d’identité ou de sexe pour se tirer d’affaire. Et, comme ce sont des entêtés, ils s’emberlificotent dans leurs manigances et sombrent dans la paranoïa ou la schizophrénie. C’est le propre des grands auteurs comiques que de procéder de la sorte. De Molière à Sacha Guitry, de Charles Chaplin à Jerry Lewis, ces génies ont amusé le public avec ces systèmes. En cela, Wilder est un classique. [Billy Wilder – Noël Simsolo – Collection Grands Cinéastes – Le Monde / Cahiers du cinéma (2007)]
L’art du scénario – Wilder a débuté au cinéma comme scénariste et, au fil des années, il a su assimiler les conseils de deux maîtres en la matière : Carl Mayer et Ernst Lubitsch. Mais il a toujours travaillé en tandem dans ce domaine, d’abord avec Charles Brackett, un homme en tous points différent de lui dans la vie, mais capable d’instaurer un dialogue productif dans l’élaboration des scripts. Au cours de leurs années de labeur commun, ils introduisirent le réalisme dans la comédie traditionnelle ou le drame avec un égal bonheur. L’origine sociale et la mentalité réactionnaire de Brackett décidèrent pourtant Wilder à l’écarter de Double indemnity et à prendre Raymond Chandler qui apporta une originalité indéniable aux dialogues.
Séparé plus tard de Brackett, Wilder engagera d’autres scénaristes avant de rencontrer I. A. L. Diamond dont il ne se séparera plus par la suite. Il expliquera leur méthode de travail à Jean Domarchi et Jean Douchet : « Parfois, nous écrivons, parfois nous discutons. Quand nous sommes désespérés, nous nous taisons. Il arrive que nous écrivions douze pages dans l’après-midi. Tout arrive. Nous restons dans ma chambre de 9 h du matin à 6 h du soir, aussi régulièrement que des employés de bureau. La difficulté n’est pas de trouver des idées à partir de rien, c’est de partir de millions d’idées dont la plupart n’ont rien à voir avec ce qu’on doit faire. Le premier grand travail est de mettre au panier tout ce qui est inutile » [Cahiers du Cinéma (n° 134, août 1962)].
Wilder cherche d’abord ce qui va porter sur le public de façon imparable, mais non racoleuse. Un écriteau accroché dans son bureau est révélateur : « Comment Lubitsch aurait-il fait ? » Il est intéressant de savoir que les deux scénaristes butaient sur la dernière scène de Some Like It Hot. Diamond avait lancé la réplique « Personne n’est parfait » qui avait pris place au milieu de la séquence. Aucune idée ne leur venant pour la réplique finale, ils déplacèrent cette phrase en conclusion de la scène, mais de façon provisoire, espérant trouver mieux avant qu’elle soit tournée. N’y réussissant pas, ils la conservèrent dans la perplexité et furent étonnés de constater son extraordinaire impact comique sur le public. Wilder n’a jamais cru à l’improvisation d’une scène au tournage. Son scénario est non seulement l’architecture du film à venir, mais il est déjà tout le film. La mise en scène n’en est que l’orchestration selon les tempi des comédiens et la cadence de l’ensemble. Décors, musiques et montage sont dépendants de cette base écrite où la spécificité cinématographique est le seul vecteur qui justifie les trouvailles de dialogues ou de situations. Mais ce contrôle absolu ne suffit pas à atteindre l’efficacité recherchée. Billy Wilder le sait depuis ses débuts de cinéaste : il constata l’inutilité des scènes finales de Double indemnity et son erreur stratégique dans l’ouverture à la morgue de Sunset boulevard. Il évita ensuite la redondance ou le décalage trop marqué. [Billy Wilder – Noël Simsolo – Collection Grands Cinéastes – Le Monde / Cahiers du cinéma (2007)]
Le final de Some like it hot – Ici, il s’agit de deux relations amoureuses : Tony Curtis et Marilyn Monroe, Jack Lemmon et le milliardaire, qui sont compromises par le travestissement. Tout le comique de cette situation est exploré jusqu’à la scène finale où Tony Curtis révèle sa vérité masculine. On le retrouve, installé avec Marilyn à l’arrière du canot, tandis que Lemmon et le milliardaire sont à l’avant. Wilder reste en plan fixe et base sa mise en scène sur le dialogue. Les arguments invoqués par Lemmon sont tous rejetés par son « fiancé ». Lemmon avoue enfin qu’il est un homme et ôte à son tour sa perruque. La révélation ne change rien à l’affaire. Le milliardaire persiste dans sa volonté d’épouser Lemmon. Dans les deux cas, le rejet du travestissement provoque la création d’un couple et révèle la nature profonde de chacun. Lemmon était bien la partie femelle du couple qu’il formait avec Curtis. Si « personne n’est parfait ». on peut penser que « personne n’est dupe », à commencer par le milliardaire. [Billy Wilder – Noël Simsolo – Collection Grands Cinéastes – Le Monde / Cahiers du cinéma (2007)]

Catégories :Les Réalisateurs
il avait une bonne tête et surtout un grand réalisateur !!
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Un grand parmi les grands !
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intéressant le fait que samuel baldinger affirme avoir étè lui-même gigolo à berlin et son goût pour les travestis et les quiproquos sexuels qui remonteraient à sa fréquentation des cabarets de la république de weimar,et par là même l’homosexualité thémes chers et trés présents également dans le cinéma de billy wilder comme chez blake edwards
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