Le Film Noir

ROBERT SIODMAK

Au cours de sa carrière hollywoodienne, Robert Siodmak dirigea une série d’excellents « thrillers » dans lesquels la tradition expressionniste de sa patrie d’origine se fondait parfaitement avec le style du film noir américain.

Robert Siodmak, 1944
Robert Siodmak (1944)

Robert Siodmak naquit dans le Tennessee mais sa famille retourna en Allemagne au cours de sa première année. Après avoir abordé le cinéma comme traducteur (de sous-titres) et monteur, il persuada le producteur Seymour Nebenzahl de financer un film sur une idée de son frère, Curt (qui deviendra célèbre notamment avec son roman « Le Cerveau du nabab »). Un jeune écrivain, Billy Wilder, collabora à la rédaction du scénario et c’est ainsi qu’en 1929 Les Hommes, le dimanche (Menschen am Sonntag), dirigé par Robert Siodmak et Edgar G. Ulmer, avec le concours de l’opérateur Eugen Schufftan assisté de Fred Zinnemann, apparut sur les écrans. On y voyait un chauffeur de taxi, un commis voyageur, une vendeuse et un jeune mannequin passant leurs loisirs du dimanche dans un parc des faubourgs de Berlin. Au cours de cette innocente promenade se succèdent de menues intrigues amoureuses, des petits faits sans importance dignes d’un film de Lubitsch, le tout dans un décor qui rappelait par le contraste ville-campagne le film de Murnau : L’Aurore (Sunrise, 1927). La référence explicite à ces deux grands metteurs en scène allemands n’est d’ailleurs pas surprenante si l’on songe qu’au milieu des années 20 ils faisaient déjà partie des « grands » de Hollywood ; il était inévitable que les jeunes cinéastes germaniques les prissent pour modèles.

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Menschen am Sonntag (Les Hommes le dimanche) – 1929 – Robert Siodmak

Après avoir vu le film, Erich Pommer, producteur en chef de l’UFA, engagea Robert Siodmak. Il connut son premier succès au sein de cette firme avec L’homme qui cherche son assassin (Der Mann, der seinen Mörder sucht, 1931), un film non dépourvu d’humour noir, racontant l’histoire d’un aspirant au suicide qui engage un tueur anonyme afin qu’il l’exécute, mais auquel il cherche, par la suite, à échapper.

Robert Siodmak sur le tournage de "La vie parisienne" (1936)
Armand Thirard (directeur de la photographie) et Robert Siodmak sur le tournage de « La vie parisienne » (1936)

Dans le film suivant : Autour d’une enquête (Voruntersuchung, 1931) – dont la version française était dirigée par Henri Chomette -, l’influence de Lang et des expressionnistes allemands est évidente. Une prostituée est assassinée et c’est le propre fils du magistrat chargé de l’enquête qui est soupçonné. La séquence de la découverte du crime est réalisée avec une exceptionnelle maîtrise : la caméra saisit tout d’abord, en premier plan, les pieds de la victime puis recule par la porte entrouverte, s’arrête un moment sur le palier et ensuite à chaque étage, tandis que la nouvelle du meurtre se répand parmi les locataires de l’immeuble. Le sentiment d’angoisse et de peur qui, tel un incendie, se propage dans toute la maison annonce l’atmosphère du Maudit (M. Eine Stadt sucht einen Mörder) qui sortira un mois plus tard.

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MOLLENARD de Robert Siodmak (1938)

Avec la montée du national-socialisme, Siodmak, dans l’impossibilité de pouvoir travailler en Allemagne, se réfugia à Paris, où il retrouva Billy Wilder et Eugen Schufftan. Son départ fut précipité par Goebbels qui avait attaqué le metteur en scène, l’accusant de « corrompre la famille allemande » pour avoir quelque peu insisté, dans Brennendes Geheimnis (1933), sur une mésentente conjugale.

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Pièges – Robert Siodmak (1939)

L’atmosphère parisienne stimula le côté frivole de Robert Siodmak qui, en 1936, dirigea La Vie parisienne, assez lourde version de la célèbre opérette d’Offenbach, une comédie : Mister Flow (1936), et plusieurs films assez moyens, excepté l’excellent Mollenard. Mais c’est Pièges (1939), qui nous montre comment la police peut amener un vieil homme (Pierre Renoir) à s’accuser des crimes de Jack l’éventreur, qui demeure son meilleur film réalisé à cette époque.

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SON OF DRACULA (Le Fils de Dracula) – Robert Siodmak (1943)

L’occupation de la France par les Allemands, poussa Siodmak à émigrer. Il arriva à Hollywood bien après Lang, Wilder et Ulmer. Il trouva du travail à l’Universal fondée par l’émigré allemand Carl Laemmle qui avait déjà accueilli nombre de ses compatriotes.

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The Spiral Staircase (Deux mains la nuit) Robert Siodmak (1948)

Dans cette compagnie, dont le style des productions était fort proche de celui de l’UFA, Siodmak se trouva parfaitement à son aise. Entouré d’autres réfugiés allemands, il commença les prises de vues du Fils de Dracula (Son of Dracula 1943), suite du Dracula de 1931 interprété par Bela Lugosi , premier grand film d’horreur de l’Universal.

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Ella Raines, Charles Laughton et Robert Siodmak sur le tournage de « The Suspect » (1944)
Film noir, thriller et horreur

Toutefois, c’est avec Phantorn Lady (Les mains qui tuent, 1944) que Siodmak amorça le passage de l’expressionnisme au style particulier du film noir hollywoodien des années 40. Construit sur une série « d’absences » (un témoin en fuite, un chapeau disparu, une preuve anéantie), le film nous montre comment Kansas – secrétaire et maîtresse d’un homme accusé injustement d’homicide -part à la recherche de la seule preuve qui pourra disculper l’être aimé, précisément cette femme-fantôme qui donne son titre original au film.

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ON SET – PHANTOM LADY (Les Mains qui tuent) – Robert Siodmak (1944) avec Franchot Tone, Ella Raines

Le chef-d’œuvre de Siodmak est sans doute Deux Mains, la nuit (The Spiral Staircase, 1945) qui offre toutes les qualités du film noir auxquelles s’ajoutent des éléments propres au cinéma d’horreur. Siodmak plonge le spectateur dans le monde silencieux d’une jeune sourde-muette persécutée par un maniaque ; la terreur muette de l’infirme rejoint celle des héros des anciens films d’épouvante contemporains du Cabinet du docteur Caligari (Das Kabinett des Dr. Caligari, 1919) et de Nosferatu le vampire (Nosferatu, eine Symphonie des Grauens, 1921).

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Robert Siodmak, Ava Gardner et Ethel Barrymore sur le tournage de « The Great Sinner » (Passion fatale, 1949)

La rencontre entre la psychologie du film noir et le nouveau souffle réaliste du cinéma américain situe l’œuvre de Robert Siodmak dans une perspective aux limites mal définies ; ce qui apparaît nettement dans La Proie (The Cry of the City, 1948) aussi bien que dans Pour toi, j’ai tué (Criss Cross, 1949), après une première esquisse dans Les Tueurs (The Killers, 1946), d’après une nouvelle d’Hemingway.

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CRY OF THE CITY (Robert Siodmak, 1948) – Richard Conte et Hope Emerson

Avant de regagner l’Europe, Siodmak réalisa encore quelques films à Hollywood. Le Corsaire rouge (The Crimson Pirate, 1952), tourné en Angleterre et en Espagne et bien enlevé par Burt Lancaster, est un film d’aventures maritimes, spirituel et haut en couleur, aux antipodes ou presque du style hollywoodien de Siodmak, Ce fut aussi son dernier succès international. Après une brève et décevante parenthèse parisienne, le cinéaste regagna l’Allemagne où il réalisa quelques œuvres excellentes, bien que peu connues. Les Rats (Die Ratten, 1955), auquel les ruines de Berlin servent de décor, est une allégorie de la société malade que le metteur en scène retrouve à son retour en Allemagne, Les S.S. frappent la nuit (Nachts wenn der Teufel kam, 1957) conte au contraire dans un style délibérément réaliste l’histoire de Bruno Ludke qui, pendant la guerre, assassina quatre-vingts femmes. L’ombre du Maudit revenait, menaçante, sur l’horizon cinématographique. Après L’Affaire Nina B (1961), évocation réussie d’un fait divers qui secoua la République de Bonn (le film était dialogué par Roger Nimier), Siodmak se mit à tourner n’importe quoi, et la fin de sa carrière ne présente plus d’intérêt, suivant une courbe exactement parallèle à celle de son compatriote William Dieterle. Robert Siodmak est mort d’une crise cardiaque le 10 mars 1973 dans un hôpital suisse, seul, ruiné et quasiment oublié.

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Robert Siodmak dirigeant une scène avec Burt Lancaster et Yvonne De Carlo dans « Criss Cross » (Pour toi j’ai tué, 1949)
A voir également

MOLLENARD (1938)
PIÈGES (1939)
PHANTOM LADY (1944)
THE DARK MIRROR (1946)
THE KILLERS (1946)
CRISS CROSS (1949)
CRY OF THE CITY (1948)
L’AFFAIRE NINA B (1961)

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